Contre-culture échec cuisant ou dynamiques en mouvement ?

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On ne peut pas évoquer le projet et le parcours du Cirque Divers sans faire référence au mouvement des contre-cultures dans les années 1970. À C4, on s’est souvent demandé si les stratégies développées par celui-ci ont été un échec ou si, au contraire, les contre-cultures ont gagné des batailles. On a abordé ces questions avec Christophe Bourseiller. Comédien et journaliste, il explore depuis plus de 30 ans les cultures minoritaires et est devenu la personne ressource incontournable dès qu’il est question de contre-culture(s).

Considérer la ou les contre-cultures comme ayant purement échoué serait vraiment réducteur. Bien sûr, la société nouvelle tant désirée n’est jamais arrivée, mais n’est-ce pas l’essence des contre-cultures que d’être vouées à la récupération par la culture de masse ? On pourrait presque les considérer comme des cultures en devenir… En tout cas, il faut plutôt les considérer comme une dynamique et un ensemble de comportements que comme un projet.

Quand on voit le trajet réalisé par les mouvements de libération des femmes ou des homosexuels issus des contre-cultures de 1968, et le relais qu’ils trouvent aujourd’hui dans les médias et la culture dominante, c’est étonnant. C’est loin d’être des échecs ! Des campagnes comme « Balance ton porc » ou la défense du mariage pour tous sont relayées en première page des médias mainstream. On est loin de l’underground ! Que ces thématiques soient aujourd’hui discutées dans la culture de masse, c’est une belle victoire. Même si le discours initial de libération sexuelle s’est normalisé, les aspirations minoritaires d’hier se sont tellement intégrées à la culture majoritaire qu’aujourd’hui, on en arrive à des postures culturelles hybrides. Certains voient dans la revendication du droit au mariage – fût-il pour tous – ou dans la dénonciation de la drague lourde une dérive puritaine des idéaux de départ. Tout ça relève d’une dynamique complexe et parfois paradoxale. L’histoire n’est décidément pas une ligne droite.

De quoi parle t-on exactement ?

Pour moi, la contre-culture, c’est quand un mouvement générationnel et global entre en opposition avec une culture dominante. Dada dans les années 1920 ou les zazous dans les années 1940 sont des cultures minoritaires et contestataires intéressantes, mais sans ce côté global. Pour qu’il y ait une contre-culture, il faut qu’il y ait une culture et des médias de masse, et un début de mondialisation. Selon moi, ça commence au XXe siècle.

Aujourd’hui, le rap constitue une culture globale et générationnelle. Par contre, il n’y a pas de volonté de construire des dispositifs alternatifs à la culture mainstream… La dernière tentative a peut-être été l’altermondialisme, mais bon, on manque de recul.

Selon moi, les deux seuls mouvements que l’on peut qualifier de contre-cultures sont d’abord le mouvement hippie et soixante-huitard des années 1960-1970, puis, en réaction, les mouvements post-punk, new wave et alterno des années 1980.

Le mouvement de libération des mœurs et des idéologies qui explose en 1968 est à la fois une continuité de la Libération et une rupture avec la société productiviste, consumériste, impérialiste, paternaliste de l’après-guerre. Il y a le Vietnam, les luttes de libération nationale, les droits civiques, etc. En quelques années émerge une réaction internationale et générationnelle commune qui est anti-militariste, anti-autoritaire, anti-conformiste. Cette génération s’exprime à travers de nouveaux journaux, des groupuscules politiques, des festivals, des communautés, des pèlerinages… Elle crée un nouveau folklore, une nouvelle culture en somme.

Au fil du temps, certains thèmes soixante-huitards underground vont se diluer dans la culture dominante. Et à son tour, la génération suivante, celle des années 1980, du punk et de la première révolution informatique, va s’opposer globalement à la culture Peace and Love de leurs parents. C’est une espèce de « contre-contre-culture » face aux illusions perdues du Summer of Love. La jeunesse se rase ou se dresse les cheveux et crie « No Future » sur fond sonore d’introspection ou d’apocalypse. Elle crée à son tour ses salles de concerts, ses fanzines, ses squats, ses manifestations, son cinéma… David Lynch est un bel exemple : avec Eraserhead, il réalise en 1977 un classique de la culture underground, tandis qu’avec Twin Peaks, il passe dans la culture pop globale.

Une kyrielle d’éléments des contre-cultures de la seconde moitié du XXe siècle font partie intégrante de nos cultures quotidiennes actuelles, dans le cinéma, la musique, la littérature, les mœurs… Moins dans l’économie.

Aujourd’hui, malgré la mondialisation, tout a l’air plus segmenté, plus en prise à une accélération permanente aussi. Il y a plein de cultures minoritaires et de foyers de contestation, bien sûr. Mais l’environnement n’est pas propice à un mouvement global. Jusqu’à la prochaine fois ?

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