Le Cirque Divers 1977-1999

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Retour sur l’expérience d’une vie:
Témoignages variés des fondateurs du Cirque Divers.

Un matin, tôt, Jacques Jaminon a déboulé dans ma petite piaule en Roture. « J’ai négocié un bail pour les entrepôts sur la place ! Qu’est-ce qu’on fait ? Un cabaret-théâtre ? Vous marchez avec moi ? » « Et si on faisait un Cirque ? », j’ai proposé. « D’accord, ont dit les autres, mais alors un Cirque… divers ! » Le projet était né ! (Brigitte Kaquet)

Jacques Jaminon. Instigateur du projet. Amoureux fou de musiques et de nature. Ex-mayeur de la Commune Libre de Roture. Enthousiaste en mode interrogatif. C’est aussi le plus politisé des cinq membres fondateurs.

« Si on retourne à la source, déjà, j’hésite à naître, à Liège, juste après-guerre ! Depuis toujours, je porte en moi un point de vue interrogatif sur le monde qui m’entoure. Tout de suite, je me suis dit : « C’est quoi ce foutoir ? Y’a un stuut quelque part ! » Le questionnement a toujours été mon moteur, et l’aventure du Cirque Divers participe de ça.

Je viens d’une famille de classe moyenne pleine de certitudes et d’optimisme… Mais dès que possible, j’ai cherché à fuir tout ça. Je me réfugiais déjà dans la nature. Et, bim, bam, boum, il y a eu 1968 ! Alors, j’ai voyagé en Europe. J’ai suivi des mouvements militants émergents, comme les anti-nucléaire. J’ai fait des manifestations à l’étranger… J’ai même fait la sortie des usines avec des tracts. Je me suis bien amusé, et je voulais comprendre les courants, tout ça. Mais c’était trop théorique et trop petit-bourgeois pour moi.

On aspirait à quelque chose de plus concret. D’où l’idée d’ouvrir un lieu original, un lieu de questionnements collectifs, avec une scène, et un bar pour doper les finances et les débats d’idées !

J’habitais en Roture, et un peu par hasard – déjà l’idée d’un lieu –, je me suis retrouvé à m’occuper de l’Annexe 13. C’était une gargote à côté du futur Cirque Divers. Brigitte Kaquet et Antaki y travaillent déjà un peu avec moi. Avec Antaki, on s’était croisé d’abord en études d’architecture, sans vraiment se fréquenter. Mais c’est quelque chose qui nous relie : on s’interroge tous les deux sur le rapport entre les hommes et leur environnement. L’architecture, c’est quand même quelque chose qui touche tout le monde au quotidien. Et à l’époque, l’architecture des villes était pesante… D’ailleurs, un des premiers projets qu’on fera ensemble, ce sera la Petite maison unifamiliale.

C’est peut-être aussi pour ça qu’on se sentait bien en Roture (au cœur des vieilles ruelles de Liège, ndlr). À l’époque, la rue était comme un village, une sorte de petite réserve. On rentrait là, on passait la grille de la cage aux lions et on se sentait chez nous, entre nous. Il y avait des soixante-huitards et des artistes, du jazz dans les caves, la galerie Yellow et les bistrots où on avait nos habitudes…. Mais c’était essentiel pour nous aussi que le projet du Cirque Divers, dès le départ, c’est-à-dire dès la « Cérémonie d’ouverture », s’allie à la culture populaire et au folklore d’Outremeuse. Le 15 août et l’enterrement de Mâti l’Ohê sont devenus pour nous et plein d’autres des moments incontournables. Je suis même devenu le mayeur du quartier pendant un bon moment. Et avec la fête du Cul et d’autres activités que nous avons organisées chaque année, on a recréé une espèce de folklore aussi, à notre manière !

Quand j’ai pu négocier la location de ce lieu extraordinaire un peu à l’abandon sur la place Roture, j’ai foncé, avant même d’avoir un vrai projet en tête. Un cabaret ? Un salon de « space thé«  ? J’ai naturellement demandé à Brigitte Kaquet et Antaki de me suivre, et puis ensemble, on a recruté Lizène et Lemaire. La belle équipe ! On a trouvé un nom, Cirque Divers, écrit le Manifeste, fait les travaux et développé l’idée de « Théâtralisation du quotidien » assez vite. Ça a tout de suite marché, et c’était extraordinaire. On s’est bien amusés !

Mais le monde nous échappe. Le monde à deux vitesses est ahurissant. Le capitalisme bouffe tout. Les ressources surexploitées et la démographie qui explose, c’est dingue!

Je crois vraiment que toute chose est éphémère. Avec le temps, les choses s’estompent, c’est naturel ! Et comme le truc fonctionne, même dans ce type de projet décalé, on devient malgré soi fonctionnaire… Alors, pour moi, personnellement, le Cirque Divers aurait pu s’arrêter après le premier bail 3-6-9, en 1986. En tout cas, moi, j’ai commencé à faire autre chose. Tout en laissant les autres libres de continuer.

Partir en Ardennes, c’était un vieux projet. Je suis depuis toujours fasciné par la biocynétique, les relations entre les différentes formes de vies, et puis l’homme qui vient perturber tout ça.

L’expérience citadine a été pour moi une bonne chose du point de vue des connaissances artistiques et sociales, mais à un moment, j’ai eu d’autres envies. Le Cirque Divers avait déjà connu une première faillite après l’épopée Écoutez, c’est du belge !, un festival de tout ce qui comptait alors en musique en Belgique, de Jo Lemaire au Grand Jojo, et du jazz le plus pointu à Claude Barzotti… On avait vu un peu grand, et on s’est plantés ! On était endettés jusqu’au cou. J’ai carrément dû remettre l’Annexe 13 pour combler une partie du trou, et ça a pris encore du temps… Ça explique peut-être pourquoi après, on s’est tourné plus sérieusement vers les pouvoirs publics, pour avoir des rentrées sûres et organiser sans trop de risques ce genre de choses. Un truc comme le festival Voix de Femmes était impossible à monter sans subsides !

Donc, un peu plus tard, quand je lèverai le pied, en tant qu’instigateur du projet, je tenais absolument à partir avec tout en ordre, sur des rails. Et à l’époque, c’était le cas. Le Lion s’envoile et le bar marchaient du tonnerre ! C’est un peu comme un fils, on ne le laisse pas comme ça, sans questions. Et pour le projet comme pour moi, c’était le bon moment.

Pour moi, ça a été la rupture totale, puisque je suis devenu garde forestier. Je suis passé de la frénésie du Cirque Divers à la solitude d’un coup ! Mais je ne refusais jamais de donner un coup de main.

Après, encore, il y a eu l’époque de C4. C’est sûr qu’au départ du projet, on n’avait jamais envisagé de s’engager de cette manière-là. Et peut-être que ça a été une erreur ? Ou pas ? Le monde avait changé entre-temps. Mais quand même, on était à l’origine un cabaret-théâtre, avec une salle de concert jazz qui était aussi une discothèque populaire à Liège. Ce tournant politique radical était un peu en décalage, je crois. Notre spécificité était du côté du poétique ! Les visites des centres fermés, le soutien au Collectif contre les expulsions, le Réseau des mères de disparus, c’était très bien: je suis pour, c’est pas le problème ! Mais c’était changer de registre. Personnellement, je reste du côté poétique, j’organise plutôt l’Académie Internationale des Nutons. J’essaie plutôt d’emmener les gens dans un autre univers !

Une dernière anecdote, en lien avec ce qu’on vient de dire : on avait racheté aux trotskistes, qui ne savaient pas s’en servir, leur machine offset. Et qu’est-ce qu’on a fait avec ? La bédé de Dunbar sur la vie de Staline (rires sonores) ! C’est quand même autre chose… »

Jean-Marie Lemaire. Barman psychiatre. Carabin et guindailleur à l’époque. Boucher des arts, charcutier de l’esprit et tripier de la libido, selon ses propres mots. Membre fondateur du Cirque Divers.

« L’entonnoir retourné, symbole du Cirque Divers, avec la psychiatrie, il y a une certaine parenté, non ? De mon métier de psychiatre, j’essaie d’être fier. En cohérence avec ma démarche de toujours, où j’essaie de faire basculer les personnes avec qui je travaille de la honte de ce qu’ils sont à la fierté ! Et ça ne me semble pas si loin de la démarche dans laquelle s’inscrivait le Cirque Divers, où chacun pouvait s’exprimer, quoi qu’il fasse, sans honte. C’était un moment où on était quand même bouleversés par tout un tas de choses. On n’était pas très fier de ce que nos parents avaient fait. Il fallait dès lors faire des moments difficiles de la vie des occasions. Et le Cirque Divers reflète ça !

Je fréquentais déjà Roture avant, comme étudiant en guindaille, pas comme intello. Puis j’ai habité sur la place Roture, au-dessus du restaurant Calabaza. Il y avait la Maison Jaune, la Galerie Yellow et l’Annexe 13 avec Jaminon… J’y croisais donc du monde. Il y avait en Roture une dimension relationnelle qui n’était ni la famille nucléaire, ni le collectif. C’était plutôt un clan.

Mais je me souviens très bien, je faisais la médecine tropicale, et au retour des Antilles après plusieurs mois, je reviens en Roture sur ma moto… et là, Antaki m’arrête pour me demander si je voulais bien être de leur projet de cabaret-théâtre. Et j’ai accepté.

Avec le recul, je pense qu’Antaki est venu me trouver pour deux choses. D’abord, j’étais bon bricoleur – c’est moi qui ai fait nombre d’installations électriques en Roture, et jusqu’ici rien n’a brûlé ! Étudiant, je gagnais ma vie en électricien autodidacte. C’est Lizène et moi qui avons coulé le béton au Cirque, les tensiomètres aussi. Ensuite, je représentais sûrement pour lui, à tort, le fils de bourgeois liégeois avec ses réseaux ! Alors que j’étais en rupture avec le monde de mon père, médecin et franc-maçon. Mais tout ça n’est pas grave, et je me suis lancé dans le projet avec entrain. Il faut dire qu’Antaki a toujours été attiré par les personnalités, les institutions, la reconnaissance, dès le début. Et ce n’était pas le trait de personnalité que je préférais chez lui.

En 1969, à dix-huit ans, j’ai été à Prague où il y avait toujours les tanks russes. A l’époque je n’avais même pas lu Debord, j’étais juste un guindailleur sans appartenances. C’est récemment que je me suis intéressé aux expériences anarchistes et tout ça – par mon fils !

Ma connexion principale a toujours été davantage avec Jacques Lizène. Il avait pour moi la position la plus radicale et cohérente, loin de toute appartenance. Il apportait avec lui Duchamp et tout ça. J’adorais partir avec lui en virée. Je me rappelle, c’est Lizène et moi qui avons amené les statuts de l’asbl aux greffes, mais on a mis des heures et on est rentrés complètement pétés ! Antaki était furieux. On s’amusait bien à provoquer ses colères !

À partir du moment où le spectacle du quotidien n’est plus payé par le flux de bière, ça m’intéresse moins ! Parce qu’on n’est plus indépendants. Il y a eu des concessions. Antaki a toujours joué de séduction avec les institutions. Pourtant, il y a de la jubilation à savoir qu’on ne dépend de personne ! Et encore aujourd’hui, les structures dans lesquelles je travaille, la Clinique de Concertation en tête 1, sont complètement autonomes.

Quand on marche sur une crête de montagne et que les gens tombent d’un côté, j’ai toujours eu tendance à me jeter de l’autre. « Quand tu es pour quelque chose, c’est parce que tu es contre les gens qui sont contre », me disait mon père.

Mais tout ça n’a pas toujours été facile, ni en interne, ni avec l’extérieur. Chaque année, on me menaçait de me virer de mon poste d’assistant, parce qu’être à la fois psychiatre et servir des bières (à un patient peut-être), c’était estomper la norme ! Le décloisonnement des dispositifs est un héritage…

En 1980, pour des raisons professionnelles, je pars en Italie, puis en 1993, c’est l’ex-Yougoslavie en pleine guerre civile. Et je travaille toujours maintenant sur des terrains de conflits – armés, parfois. Et c’est pour moi un héritage du Cirque Divers. Les situations les plus hors-cadre construisent du cadre. Quand j’anime en 1978 une soirée avec cinq machines à laver et que les gens viennent faire leur linge sur scène, on interroge les frontières entre le collectif et l’intime. Et c’est toujours ce que je fais maintenant en tant que psychiatre.

Au début, ce qu’on faisait était incompatible avec toute capitalisation, alors que par la suite, il y a eu capitalisation de ce qui se faisait au Cirque Divers, avec subsides, comptes à rendre, etc. Avec le festival Voix de Femmes et C4, qui sont par ailleurs de très beaux projets et qui nécessitent des budgets conséquents, on rentre dans d’autres dynamiques de subsidiation et on n’est plus vraiment maîtres du jeu.

Mais en voyant l’expo de la Province de Liège, j’ai été très ému ! C’est vrai qu’on était perturbé par tout ce qu’on prenait. Moi, surtout l’alcool ; pour ce qui est des psychotropes, j’étais déjà assez fou comme ça ! Mais l’époque de la Maison Jaune, puis les débuts du Cirque Divers, c’était extraordinaire. Et je reste fidèle à l’esprit.

Quand je quitte peu à peu le Cirque Divers au début des années 1980, par opportunité professionnelle, c’est sans rancune et sans bruit. Juste avec un peu de nostalgie par rapport au tout début. Mais je continue à aller en Roture. C’est là que j’ai rencontré les deux mères de mes enfants ! J’ai énormément de sympathie pour Jaminon ou pour Stas. Je regrette juste un peu que toute cette bande du Cirque Divers n’ait pas vu dans mon travail ultérieur une continuité avec ce qu’on faisait ensemble. J’ai toujours été intéressé par les gens un peu bizarres et par l’estompement de la norme. Les frontières entre normalité et pathologies se renforcent de plus en plus, et je travaille justement sur la perméabilité entre ces deux pôles. Moi-même, je me suis retrouvé dans des situations limites en Roture !

Aujourd’hui, théâtraliser le quotidien, c’est beaucoup plus difficile. Parce que le quotidien nous saute tout le temps à la gueule ! Le chantier est immense. Je suis convaincu que s’il y a un espace pour le désordre, c’est dans le champ culturel, mais il faut de nouveaux lieux. Là, en Italie, je travaille avec l’Accademia della follia, et, depuis longtemps, ici à faire des créations publiques avec le club André Baillon.

Je finirais en disant que je suis redevable au Cirque Divers et que j’ai du plaisir à parler de ça avec vous aujourd’hui. Je n’ai jamais eu l’impression que le Cirque Divers, c’était terminé. Et j’essaie encore dans ma vie de tous les jours d’insuffler aux gens « une certaine gaieté ». »

Jacques Lizène, artiste en dessous de tout, Petit Maître liégeois de la troisième moitié du XXe siècle… Membre fondateur du Cirque Divers.

« Finalement, on a tous travaillé derrière les bars de Roture d’abord, à la Maison Jaune ou à l’Annexe 13. C’est là qu’on s’est tous retrouvés ! À l’Armée en Allemagne, j’avais déjà officié en tant que barman. On m’avait mis à l’ASC, l’Association Sociale et Culturelle ! J’avais donc de l’expérience. Et comme c’était juste en face de la Galerie Yellow, je pouvais presque faire les deux boulots en même temps, d’un œil je surveillais s’il y avait des visiteurs d’un côté ou de l’autre.

J’avais vu les pavés dans le local, et je savais qu’au Cirque d’hiver de Paris il y avait le même genre de pavés. Alors quand on a commencé à chercher un nom, comme Brigitte voulait monter un cirque itinérant et que l’idée d’un projet diversifié était déjà là, en jouant sur les mots on est arrivé au nom Cirque Divers… Et comme j’aimais déjà les sous-titres, c’est moi qui ai rajouté « D’une certaine gaieté ». D’une certaine gaieté, ce n’était pas une gaieté certaine ! Comme ça si jamais c’était un peu loupé, on ne pouvait rien nous reprocher puisqu’on annonçait en quelque sorte un amusement relatif… C’est étonnant que quarante ans plus tard, l’association qui a survécu au Cirque Divers et qui édite C4 s’appelle encore comme ça. À l’époque de la fin du Cirque, Antaki m’a d’ailleurs téléphoné pour me demander s’il pouvait appeler la nouvelle structure avec ma formule.

Le Jardin du Paradoxe, par contre, c’est une formule d’Antaki, mais la Banlieue de l’Art, par exemple, c’est du Lizène. Dans le Manifeste du Cirque Divers, il y a un peu de nous tous !

J’aime l’esprit taquin d’Antaki. Quand il nous appelle « ses petits nègres belges » et se proclame Sultan de Bouillon, il renverse les perspectives. Il crée des situations nouvelles ! Et je sais que Jaminon avait lu les situationnistes. Le concept de « théâtre du quotidien » vient sûrement de là. Subvertir la vie quotidienne, c’est une idée des situs, de Lefèvre, etc. Et puis, il y a Brigitte Kaquet qui veut faire du théâtre, donc ça débouche sur l’idée de « théâtraliser le quotidien ». Et puis tout ce qui est happening et théâtre de rue est à la mode dans nos milieux artistiques et contestataires. C’est donc cohérent, et c’est le moteur de toute l’histoire.

Il fallait être cinq pour constituer une asbl, trois administrateurs et deux membres. Moi j’étais un peu la caution artistique, et comme j’avais rencontré et dragué un peu Brigitte à l’Esquinade et qu’elle m’avait trouvé sympathique…. Alors je me suis joint à eux. Selon les versions, c’est Jaminon ou Antaki qui ont pensé à moi. Peut être pensaient-ils aussi que j’avais un fichier. Et c’est vrai que j’avais celui de Yellow ! Il fallait quand même bien un artiste. Je sortais de l’Académie et j’étais déjà sûr de vouloir être artiste professionnel. Enfin, professionnel… C’est amusant que quelqu’un comme Charlier, qui à l’époque était un artiste amateur puisqu’il travaillait à la Province, se comportait quant à lui comme un artiste professionnel, à courir les galeries à Bruxelles et Anvers, alors que moi qui étais un artiste professionnel, je me suis toujours comporté en amateur !

Mais je n’ai jamais été très collectif. Les autres étaient fâchés contre moi parce que dès le deuxième jour des travaux, je ne suis pas venu. La veille, j’avais fait du béton toute la journée, on avait bien travaillé, on a donc fêté ça ! Et moi j’ai bu un peu plus que les autres. Alors le lendemain, je ne me suis pas levé pour travailler à l’ouverture du lieu…

Les artistes aiment signer leurs œuvres, regardez mon copain Ben (Vautier, ndlr), il ne fait que ça ! Quand on a fait a Petite maison unifamiliale, j’ai peint un mur avec les traces d’une ancienne maison. Et j’ai voulu la signer, mais on m’a dit, non, c’est collectif ! L’idée du cercueil sur scène, où les gens s’allongent, prononcent leurs derniers mots et se font photographier avec un polaroïd, c’est du Lizène aussi. Après, l’idée va être déclinée de plusieurs manières, avec le trône par exemple. Mais je ne leur en veux pas !

Après l’expo Fluxus, j’ai commencé à prendre un peu mes distances. Par la force des choses. Je menais mes projets personnels. Parce que j’aime ne pas trop en faire aussi. Mais il n’y a jamais eu de rupture, et j’ai continué à fréquenter le Cirque avec plaisir jusqu’à la fin. Je n’ai démissionné de mon poste de trésorier qu’en 1984, je crois, par hasard.

Et puis j’ai suivi le projet quand Antaki et Brigitte ont mené seuls la barque. Quand le Cirque Divers a commencé à accueillir des spectacles et qu’il a commencé à être de plus en plus subsidié, c’était bien, ça leur permettait de continuer. J’ai bien été un peu surpris quand le projet a été reconnu en Éducation permanente, mais j’étais content pour eux.

Et quand C4 a été lancé, j’étais content pour Antaki, je savais qu’il avait toujours eu des désirs d’édition et de journalisme. Et le voilà rédacteur en chef, d’un beau projet en plus ! Tout ça est très bien ! Ça me rappelle ma jeunesse ! »

Michel Antaki, aka El Noyau, aka Explorateur syrien en Pays de Liège, aka Sultan de Bouillon, aka Grand Jardinier du Mensonge et du Paradoxe Universels… Éditeur irresponsable du Petit Mensuel, puis du magazine C4. Il est membre fondateur et locomotive du Cirque Divers. Pendant 22 ans il a eu – au moins – une idée par jour !

« Je ne me souviens plus très bien… Mais n’exagérons rien ! »
(…) « De toute façon, je vous emmerde ! » (…) «Vous avez du f-feu ? »

Il y aussi Brigitte Kaquet, le cinquième élément – féminin – de cet attelage original et qui a joué un rôle fondamental et continu dans l’aventure du Cirque Divers.

Brigitte Kaquet est comédienne, auteure, féministe. Elle a vécu le projet du premier au dernier jour. Outre l’Atelier de Recherches Théâtrales, elle est la créatrice et directrice du festival Voix de Femmes. Membre fondatrice du Cirque Divers.

Elle a préféré s’exprimer ici, directement, à travers deux textes : le premier est un extrait d’un roman qu’elle est en train d’écrire et qui nous replonge dans l’énergie des premiers temps du Cirque Divers (« Le cirque de verre »). Le second traite des Ateliers de Recherches Théâtrales qu’elle a organisés au Cirque Divers.

COMPAGNE DE ROUTE DE L’AVENTURE, Françoise Safin

Entretien avec Françoise Safin. Ancienne conservatrice du Musée d’art moderne et d’art contemporain de Liège.

Elle n’était pas une figure incontournable des tabourets du bar du Cirque Divers, mais elle a toujours été là, à croiser sa vie avec celles de Brigitte, Antaki et les autres… Elle était là, en Roture, avec la compagnie de marionnettes Bergamasque avant même la création du Cirque. Elle a vu « la ruelle populaire se vider peu à peu de ses vieux habitants, des Liégeois d’Outremeuse pur jus et des immigrés, et se remplir en quelques années d’étudiants, d’artistes fauchés… et puis de restaurants ». Elle a été là comme voisine et amie, étudiante en Histoire de l’Art à Liège au début des années 1970. Puis elle fera à plusieurs reprises des collaborations avec le projet, en tant que directrice des musées d’art moderne de Liège, à côté de l’Académie des Beaux-Arts d’abord, puis à la Boverie. Et ce, pendant les 22 ans, et au-delà ! Depuis l’expo Fluxus de 1980 jusqu’au projet Mémoire et Transmission en 2005 et à la reconstitution du salon d’Antaki dans le musée, en passant par un festival Voix de Femmes et la grosse expo sur les 18 ans du Cirque Divers !

Aujourd’hui jeune retraitée, Françoise Safin est bénévole à la Galerie Rature, au KulturA, là même où se tenaient les bureaux du Cirque Divers. Et D’une Certaine Gaieté, qui édite C4, est partenaire du projet. La boucle est bouclée. Retour aux sources !

« On était soixante-huitard dans nos modes de vie très bohèmes. « On fait ce qu’on veut ! », mais très peu politiques, et encore moins militants. On prônait une liberté d’esprit totale, ce que le Cirque a perpétué. Les fondateurs, je les connais depuis toujours. Antaki a fait son stage d’architecture chez mon père ! J’habitais dans la rue, jusqu’à ce que ça devienne juste un lieu de fête. J’étais là quand Brigitte et Antaki se sont mariés, qu’il puisse définitivement rester en Belgique. J’ai aussi participé aux travaux d’aménagement, il y avait une belle énergie. Au théâtre de marionnettes Bergamasque, on avait déjà un bar, un snack même, et des expos… Il y avait une continuité. Après, quand je suis rentée à la Ville et qu’on a organisé l’expo Fluxus, avec une collaboration avec le Cirque, je jouais ma place ! Après, j’ai été moins au Cirque Divers parce que mes copains étaient soit trop occupés, soit trop bourrés ou fatigués ! Mais je savais qu’il s’y passait toujours quelque chose, au début comme à la fin, et j’ai continué à fréquenter toute la bande en dehors. Une anecdote ? La venue d’Alechinsky au Musée St-Georges ! Il restait à Liège deux jours. Le vendredi, il me demande d’aller dans un endroit sympa, et je l’emmène en Roture… Il y rencontre Antaki et s’amuse comme un fou ! À tel point que le lendemain on avait prévu un truc dans un restaurant étoilé de Tilff, et qu’il n’en a pas envie. Il veut retourner au Cirque Divers ! Alors, on a tout annulé. Le Bourgmestre n’est pas venu, fâché ! Et Alechinsky a été manger chez le libanais de Roture. Il est devenu Président d’honneur du Cirque Divers ce week-end là, et leur collaboration a duré jusqu’à la fin… »

Notes:

  1. www.concertation.net

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