Préambule

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«C’est quoi ce cirque ? » Ce Cirque, divers !? On n’aurait pas pu trouver de titre plus approprié pour décrire l’épais dossier dans lequel nous vous invitons à plonger. Vous y trouverez des dizaines de témoignages, d’analyses, de documents et de contributions en tous sens, qui racontent l’histoire d’un lieu et d’un projet culturel original qui s’est tenu à Liège entre 1977 et 1999  : le Cirque Divers. On y évoque différentes époques, on y développe divers point de vue. Le tout dans une diversité certaine, et toujours d’une certaine gaieté.

Au final, vous trouverez dans ce dossier plus de questions que de réponses ! C’était difficile de faire autrement. Comme ce qui se faisait au Cirque Divers, c’est dans l’accumulation des singularités qu’on peut peut-être trouver une cohérence.

Si nous avons réalisé ce dossier aujourd’hui, c’est en parallèle à l’exposition qui se tient jusqu’au 16 août 2018 au Musée de la Vie wallonne à Liège : Le Jardin du Paradoxe – Regards sur le Cirque Divers. Une très belle expo à l’initiative de la Province de Liège qui réussit le pari de replacer cette expérience dans le paysage de l’art contemporain de l’époque, à Liège et au-delà. Le catalogue édité par Yellow Now à l’occasion de cette exposition est à la hauteur : on y découvre des analyses pertinentes, mais surtout une tonne de documents et de photos tous plus étonnants et touchants les uns que les autres.

Pourtant, une telle rétrospective ne peut pas englober toute la complexité et tous les aspects d’un projet aussi riche, multiforme et aussi long : on y fait surtout la part belle à la toute première partie de l’épopée du Cirque Divers, autour de la « théâtralisation du quotidien ».

Et il restait encore beaucoup à dire, des pans entiers à explorer…

À travers ce dossier, nous avons essayé d’envisager le projet dans son quotidien et dans son évolution à travers le temps. Nous avions envie de parler des expériences théâtrales, de la place de la musique, de l’écriture… Et surtout, nous souhaitions faire de la place aux souvenirs et aux expériences personnelles.

Avec, en filigrane, plusieurs questions transversales  : quels rapports lient le Cirque Divers aux institutions et aux pouvoirs subsidiants ? Qu’en est-il du rapport au politique et à l’engagement ? Comment le lieu s’inscrit-il dans le mouvement de la contre-culture des années 1970, et quel bilan peut-on en tirer ?

Jongler avec les projets

Ce dossier comprend trois parties, qui correspondent à peu près aux trois périodes communément admises, bien que sans frontières bien définies :

d’abord les toutes premières années – celles de la « théâtralisation du quotidien », du cabaret-théâtre autoréflexif dont les usagers du lieu sont les acteurs.

Puis la phase où le Cirque Divers prend un autre rythme et atteint d’autres publics, quand il devient un pôle culturel expérimental de premier ordre : Liège accueille alors des pointures de la contre-culture, en musique, littérature ou théâtre, d’Allen Ginsberg à Laurie Anderson, d’Arrabal et Topor à Fred Frith… Pour certains, c’est le moment où le projet « fonctionne », s’institutionnalise un peu, et où il deviendrait plus programmateur que créateur. Mais c’est aussi l’époque des ateliers de recherches, des classes d’impro, des éditions Papier Journal, du mail art et du Petit Mensuel. L’époque où le Cirque Divers se dédouble aussi, en ouvrant dans la maison d’à côté le Lion s’envoile, local de répétitions et d’expérimentations les après-midis, boîte de jazz les soirs de semaine, et discothèque world music les week-ends.

Enfin, il y a clairement une troisième phase, avec deux gros projets qui influent sur la dynamique générale  : le festival Voix de Femmes, et le lancement d’un magazine papier, C4, un journal « réalisé par les chômeurs pour les chômeurs », le « mensuel qui vous pend au nez » depuis maintenant 232 numéros  ! Au cours de cette période plus « engagée », le Cirque Divers se penche sur le féminisme, les précaires, les migrants, les solidarités internationales…

Cependant, rien de linéaire ni d’univoque  : l’esprit du Cirque Divers est fondamentalement labyrinthique et ouvert à tous vents. Chaque témoignage, chaque interprétation est unique. Et très souvent, la parole des uns vient relativiser, voire contredire celle des autres…

Au travers d’analyses, de souvenirs, de textes littéraires ou de poèmes, les intervenants du dossier nous livrent leurs meilleurs moments, ou ceux où ils voient personnellement une rupture : alors que certains l’aperçoivent dès le début des années ‘80 avec la reconnaissance en Éducation permanente, d’autres la placent plus tard, quand s’imposent de gros projets et une dépendance de plus en plus importante aux institutions subsidiantes.

Comme sur la scène du Cirque Divers, tout le monde a droit de cité et tout est possible.

Mais il existe au moins un point sur lequel tout le monde est d’accord : le projet du Cirque Divers est dans son essence « soixante-huitard », non pas tant au sens militant qu’au sens générationnel, dans le mode de vie « bohème » et l’esprit de liberté qu’il génère. Mais entre les projets des débuts (« l’autonomie de l’art » et « l’art du dé(sen)gagement »…) et ceux de la fin (C4, Réseau des Mères et proches de disparu-e-s, etc.), où est la cohérence ? Sûrement dans la manière d’interroger et de tenter de comprendre toujours le monde. C’est qu’entre 1977 et 1999, le monde a changé  !

En 2018, le monde est encore différent, et il y a chez nous, héritiers du Cirque Divers, une question qui revient sans cesse : comment fait-on aujourd’hui pour être encore d’une certaine gaieté ? Comment être encore aujourd’hui dans la dérision ? Et comment assumer le rôle de bouffon ?

D’autant qu’en 40 ans, les liens entre nos milieux de prédilection, notre public, et les institutions, la politique ce sont vraiment distendus. Comme s’il n’y avait plus de socle commun à renverser et dont on pourrait se moquer…

Pour faire œuvre de bouffon, il faut un roi  ! Mais à l’heure où nos politiciens sont eux-mêmes des bouffons, que faire ? Comment être provocateur et populaire sans être populiste ?

Tant qu’à parler de bouffon, il y en a plusieurs déclinaisons dans ce dossier, mais il y en a un surtout, grand présent/absent, qui traverse l’ensemble de ces pages, une figure incontournable, indissociable du Cirque Divers  : Michel Antaki. Ce bouffon, ce roi-sultan a su incarner le projet et en a été la « locomotive ». Celui dont l’une des obsessions ces dernières années était le travail sur la mémoire la perd peu à peu… C’est l’ultime pied de nez de ce Grand Jardinier du Paradoxe !

Tout ce cirque fut fantastique ! Il fut un entonnoir qui recueillait toutes sortes de liquides. Quant à savoir précisément l’essence de la goutte qui en est ressortie…

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