Ziguinchor Attraction

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J’ai connu Bob il y a bien longtemps. Ado, il travaillait déjà pour se payer des InteRails. De la place Cathédrale fin des années 80 1 à Ziguinchor moitié des années 10, il est en éternel mouvement. De New York à Porto Escondito. De Pragues à Damas. De Banjul à Zinguinchor. C’est 30 ans de fuite en avant.
Gamin, j’allais souvent lui rendre visite dans sa grande maison vide. Enfant de famille nombreuse, j’étais séduit et effrayé par la liberté que ça offrait ; une enfance et une adolescence faites de solitude. Bob l’a comblé tout sa vie par la communauté ou le voyage. La seule fois où j’ai travaillé comme mandaye en agence d’intérim, c’était pour me payer un billet pour New York où Bob campait depuis un an dans East Village. Et les voyages avec Bob, c’est toujours une histoire. Je vous en conte une ici. Direction la Casamance, au Sénégal.

Préambule

J‘ai fait toutes mes humanités sans parler à personne. Sans voir personne. Prendre le bus, rentrer, dormir. Pas de maman, pas de frère, pas de sœur. Juste mon père qui n’était jamais là. J’étais seul à la maison. Je n’avais pas d’ami à l’école.

J’étais déjà différent de tout le monde. Ma grande différence, c’était mon homosexualité. Même si c’est très banal, c’est pour moi une différence de taille. C’est génétique. Je suis né comme ça. L’homosexualité, ça ne s’invente pas. Ça m’a influencé toute ma vie, cette différence-là.

Le village de Diembéring

Je suis fils unique, mon père a divorcé de ma mère quand j’étais gamin. Je suis resté avec mon père, que j’ai choisi. Il paraît que je suis le premier à avoir fait ça. Il y aurait même un article de loi qui porte mon nom ! Il y a un juge qui m’a demandé mon avis, à 9 ans. « Tu veux vivre avec ton père ou avec ta mère ? », qu’il m’a dit alors que j’étais seul dans son bureau. J’ai dit « mon père ». Le juge a dit que ça faisait jurisprudence et c’est devenu un article de loi… Les enfants de moins 16 ans pouvaient décider, si le juge estimait que l’enfant était sain d’esprit et que les parents étaient viables. Donc j’ai dit « papa » et j’ai tué ma mère. Fallait que je tue un des deux. C’est déjà un fameux choc à cet âge-là. C’est incroyable, ce jour-là, je m’en rappelle très bien. Le juge me dit « OK », me fait sortir du bureau et fait entrer mes parents. Puis je les revois sortir, ma mère en pleurs et mon père, évidemment, avec un grand sourire. Et ma mère qui me demande : « Pourquoi tu m’as fait ça ? » T’imagines, ce sont eux qui divorcent, mais c’est à moi qu’on demande des comptes ! Vaffanculo, va. Moi, j’ai juste choisi le plus confortable. Mon père gardait la maison, donc je gardais ma chambre, mon univers. Puis, en partant avec ma mère, j’aurais dû me coltiner un beau-père. Non, c’était une question d’instinct, j’ai choisi le mot « père ». Mais bon, ce jour-là, j’ai tué ma mère. Elle est toujours morte, je ne l’ai pas revue depuis. Enfin, je l’ai vue une fois ou deux.

Mon père était toujours absent, mais s’il m’a donné quelque chose, c’est le goût de voyager. Quatre ou cinq fois par an, il m’emmenait aux quatre coins du monde. C’est quelque chose qui est resté. Dans ma vie, il faut toujours que j’aie comme objectif un voyage. Tu sais, je me lève à 5h du mat’, je vais au boulot à vélo sous la pluie et ensuite je passe ma journée dans un camion à ramasser des poubelles. C’est pas pour me payer une maison ou des brols. C’est pour un voyage, toujours. Et maintenant, c’est pour l’Afrique que je me lève le matin. Mais il y a eu d’autres destinations. Il y a eu New York, un voyage fondateur. Pour la sexualité, le fait d’être à l’aise, de développer un sens de l’humour particulier. J’ai rencontré quelqu’un d’extraordinaire là-bas. J’adore New York.

Mais maintenant, c’est l’Afrique. Dans dix jours, j’y serai. C’est la dixième année que je pars en Afrique mais, à chaque fois, j’hallucine de savoir que dans quelques jours, je serai dans un univers totalement différent. Un univers de fête. Alors oui, l’Afrique, c’est beau, fait chaud, tout ça, mais je m’en fous un peu, en fait. Il y a là-bas une vraie nonchalance. Et j’aime la nonchalance.

Dans dix jours, j’atterris à Banjul, la capitale de la Gambie. Je prends alors un taxi-brousse et en trois heures, je suis à Ziguinchor, dans le Sud du Sénégal. C’est les vols les moins chers pour la région, vu que la Gambie est une dictature. Cette année, on m’offre une belle maison à garder. Avec eau courante, électricité, wifi même. Mon amie espagnole vient de se marier avec un Sénégalais et quand j’arriverai, ils seront partis en Espagne pour deux mois. Chaque année, les conditions sont différentes et cette année, elles sont particulièrement bonnes. Bon, on m’a piqué ma moto. C’est une moto que je laisse à la nana pendant mon retour en Belgique, mais elle a disparu cette année. Ça peut paraître un détail comme ça, mais vous verrez, cette moto a une histoire !

Tout le monde est noir !

La première fois que j’ai débarqué au Sénégal, c’était avec mon père, en 2007. Il m’a invité à passer deux semaines de vacances là-bas, dans un camp pour touristes. Voilà comment ça s’est passé. Je suis dans un TGV avec lui en direction de Paris. Comme de coutume depuis bien longtemps, on allait vivre le résultat de l’élection présidentielle. Nicolas Sarkozy vs Segolène Royal. Durant le trajet, mon père me dit, tout excité : « J’ai découvert un endroit fabuleux ! » Moi je l’écoutais à peine, c’était une période où je prenais beaucoup d’héro et je rêvassais en regardant le paysage défiler. Mais j’ai tilté sur les mots « endroit fabuleux ». Il me parlait de Cap Skirring. Déjà le nom, il claquait bien, mais je n’avais aucune idée d’où ça pouvait bien se trouver. « J’y retourne dans deux mois », qu’il me dit. « Je veux y être », que je réponds du tac au tac. Je prends alors quelques congés et m’en vais avec lui. Je ne savais même pas que j’atterrissais en Afrique. Avec un nom pareil, je pensais débarquer, je sais pas moi, en Nouvelle-Zélande. C’est la nuit. Les portes de l’avion s’ouvrent et une chaleur humide envahit l’appareil. Des amis espagnols de mon père viennent nous chercher dans cet… on ne peut même parler d’aéroport, ça ressemble à un terrain de foot. Bref, ils nous emmènent alors manger un bout dans un boui-boui. Et là, je vois que tout le monde est noir ! Chaleur étouffante, moustiques d’un centimètre de long, nonchalance… Coup de foudre total. J’ai senti qu’il se passait quelque chose dans mon corps, une métamorphose. Dès les premières minutes. Cap Skirring est un minuscule bled touristique, mais si tu sors des balises, y a plus une seule route en goudron, la nature et les gens sont merveilleux. Et puis, il y a la langue. J’ai beaucoup voyagé dans ma vie mais là-bas, dans ce minuscule bled pourri, tout le monde parle français ! Ça aide à créer des liens forts, tout de suite. Toute ma vie, j’ai été à Maastricht mais j’ai pas un seul ami hollandais. C’est la première fois qu’un voyage si lointain m’a permis de faire des rencontres aussi rapidement.

Bizness plan

Je suis resté deux semaines avec mon père avec l’envie d’y retourner le plus vite possible. Mon père avait tellement flashé sur le coin qu’il voulait construire un campement pour touristes et m’envoyer comme éclaireur. J’ai repris des crédits-temps chez mon patron et suis reparti très vite. Mes crédits-temps finançaient une partie de mon voyage et mon père allongeait le reste. Il voulait bazarder son boulot pour aller vivre là-bas. J’imaginais pas une seconde mon père gérer ce genre de biz, mais bon. Tous les Blancs ont au moins une fois cette idée quand ils débarquent là-bas, mais ça ne marche jamais. Enfin soit, je suis évidemment parti de bon cœur. Mon père m’a acheté un 4X4 et une moto. C’était un projet impossible et mon père a douillé pour que je vive là-bas à ne rien faire. Enfin, rien faire de ce projet. Et évidemment, ça ne s’est pas fait. Je m’étais installé à Diembéring, au nord de Cap Skirring, toujours sur la côte. Et un jour, je rencontre mon premier amant africain. Ça m’a pris un certain temps. J’osais pas trop m’aventurer dans ce genre de plan, tous les Blancs que je connaissais là-bas me disaient de faire gaffe, que c’était un pays musulman, etc. Bref, je rencontre mon premier amant. Et ça a été le déclic. Je me suis dit, bon sang, si en plus je peux avoir des amants ici, je reste.

Ma rencontre avec Moïse

J’habitais dans les dunes, Moïse aussi. Pour s’y rendre, on ne pouvait aller qu’en 4X4 ou alors à pied. Donc lui se postait toujours à la sortie du village avec ses gros sacs à attendre qu’une voiture passe. Un jour, je le prends et, durant le trajet, alors que je roulais comme un malade dans les dunes pour ne pas m’ensabler, il me met la main sur la cuisse. Ça ne peut pas être un hasard que je me dis, pourtant j’étais super discret, je suivais les conseils de mes amis espagnols… « Incroyable, enfin, quelque chose arrive ici ! » Et là, je mets ma main sur son sexe, déjà gonflé à mort, et, je sais pas, ça m’a rendu sénégalais d’un coup. J’ai su tout de suite que j’allais passer beaucoup de moments de vie là-bas, pas spécialement avec lui, mais quand même. C’était un catholique pas très rigolo, mais il baisait bien. On s’est vu tout un temps, seulement la nuit. On habitait tous les deux sur la plage, mais à deux kilomètres de distance. Je le rejoignais dans sa case, sans lampe de poche, sans allumer la lumière. C’était incroyable. Ça faisait un an et demi que je n’avais pas baisé.

Tous les voleurs sont gros

Là où les emmerdes ont commencé, c’était avec mon deuxième amant, Augustin. Je lui apprenais à conduire avec le 4X4 jusqu’à ce qu’un matin, alors qu’on était complètement ivre, il confonde la marche arrière avec la marche avant.

Il est 5h du mat’, je suis avec Augustin et quelques amis belges venus me rendre visite. Après une nuit bien arrosée, les Belges sont crevés et veulent rentrer à l’hôtel. Fidèle à moi-même, je décide de continuer à faire la fête. Je file les clés du 4X4 à Augustin en lui demandant de les raccompagner. Tout le monde monte dans la bagnole et il démarre en trombe. Sauf que la marche arrière était mise, et il a embouti une maison et détruit le mur en banco. C’était une vieille de 80 ans qui habitait là. Il était 5h et la vieille était déjà aux champs ! Si elle avait été au lit, comme n’importe quelle personne normale, ben, elle serait clairement morte. Et on aurait souffert. La famille a flairé l’affaire et l’a fait passer pour morte, j’te jure, je sais même pas comment c’est possible. Donc, y a eu un procès. Je me retrouve devant le juge. Un gros gaillard bien gras, plein de fric, à qui on avait déjà graissé la patte avant le début de l’audience. Il faut savoir que tous les gros dans cette région sont des voleurs. Ce n’est pas possible d’être gros ici, sauf si tu es juge, flic, bourgmestre ou quoi. Ils sont tous gros, ces gens-là. Bref, mon avocat appelle la morte à la barre, qui n’était plus morte, mais blessée seulement. Quand le juge, qui avait sous les yeux le rapport du médecin, lui demande où elle a mal, elle ne se rappelle plus, ou elle donne de fausses informations. Tu m’étonnes, elle était à 8 km de là dans son champ. On a bien rigolé, mais ça nous a quand même coûté douze jours de tôle, ce machin-là. Quand j’y repense, c’était une chouette expérience, mais sur le moment, j’étais quand même accusé de meurtre, je m’attendais à passer dix ans dans ce trou. Dans la cellule, où on était bien quarante, il y avait un vieux, qui devait avoir au pif 70 ans. Il était là parce qu’il avait piqué un mètre carré de terrain à son voisin pour planter des cacahuètes. Mais il refusait de payer le juge pour ça, alors il croupissait là depuis sept ans, assis comme ça, comme un vieux sage.

Mon père a dû arroser tout le monde, juge compris, pour nous faire libérer. Quand on est sorti, mes amis espagnols étaient là, ils m’ont toujours soutenu, c’est par eux qu’a transité l’argent. Tout le village était venu, c’était incroyable. Puis vers 22h, dans l’euphorie de la fête, j’ai eu mon père au téléphone qui me dit : « C’est bon, tu rentres tout de suite. » Ça faisait quand même un an que j’étais là. Je lui ai dit : « Non, justement, maintenant je sais ce qu’il ne faut pas faire, ça va aller, je veux construire une maison… » Et il l’a financée.

On ne sait jamais !

Ce n’est pas exactement Moïse qui m’a révélé. C’est Abdou. Mon amour de toujours, celui avec qui je suis toujours maintenant. C’est peu après Moïse que j’ai rencontré ce petit mince solitaire que j’aime comme un fou. Il y aussi Ibrahima, mon mari n°2. Ce ne fut pas simple de mettre en place cette relation à plusieurs. J’ai déjà dû leur apprendre l’homosexualité. Enfin, ils l’étaient, mais c’est tellement réprimé dans ce pays qu’ils ne s’en rendaient peut-être pas compte. Puis j’ai dû leur expliquer la polygamie, l’idée que l’on puisse être amoureux de plusieurs personnes, au même niveau, et qu’il fallait mettre la jalousie au placard. Sinon, oui, ils se connaissent et s’apprécient. Bon, maintenant, le Sénégal, c’est un pays polygame, enfin, c’est au choix. Quand tu te maries, au moment de signer – enfin je parle des hommes, évidemment –, quand tu signes, tu dois cocher si tu veux un mariage mono ou polygame. Je raconte cela parce que j’ai été plusieurs fois témoin pour des mariages mixtes, et je revois encore ces deux cases à cocher, monogame ou polygame. Et bon, souvent, le marié coche polygame, on ne sait jamais ! (rire).

La malaria

Je gardais la maison de mes amis espagnols, dans les dunes. Ils étaient partis une semaine, je sais plus où. Un soir, la fièvre a commencé à monter. 39, puis 40º. Je restais au lit à suer. Je ne me levais même plus, je pissais dans une bouteille à côté du lit. Le thermomètre est monté à 41°, mon cerveau était en train de bouillir, je ne dormais même plus, je vivais comme dans un cauchemar permanent. J’étais en train de me déshydrater. Un moment, j’ai essayé de me lever pour aller à la cuisine et je suis tombé par terre. La carrelage était un peu plus frais. Mais plus moyen de me relever. Ça devait faire trois jours que j’étais dans cet état. Je restais par terre, à me pisser et chier dessus. Et il n’y avait personne, j’entendais juste le bruit des vagues dehors. Un jour,  la voisine, Martaba, une Ukrainienne mariée à un gars du coin, passe devant la fenêtre de la chambre. Je l’entendais chanter. J’ai essayé de l’appeler, mais aucun son ne sortait de ma bouche, c’était horrible. Je crois même me rappeler qu’elle a dit «  bye  », vu que la lumière était allumée. Elle repartait à la fête du village, j’entendais les tambourins au loin. Et moi, je couinais sans succès.

Je dois ma survie à un pêcheur qui passait vendre son poisson dans le campement. Je l’ai vu entrer dans la chambre, me prendre dans ses bras, et il m’a porté jusqu’au village à pied, dans les dunes sur 3km. Quand j’ai dit au médecin que j’étais comme ça depuis cinq jours, il n’en revenait pas que je sois encore en vie. Ce n’est vraiment pas habituel que les Noirs entrent comme ça dans les maisons des Blancs. Lui m’a expliqué que ça faisait quatre jours qu’il passait et qu’il a trouvé bizarre que la lumière de la chambre soit en permanence allumée. Il s’est décidé à aller jeter un œil, et il a bien fait. Avec le recul, c’est une expérience qui m’a changé. Tous mes amis sénégalais ont eu une malaria costaude comme ça. Je ne parle pas de la malaria des aéroports. Ici, c’était vraiment du sérieux. Mais j’ai presque honte d’en parler. Dans ce pays, tout le monde a ce type de malaria. Dans le dispensaire, j’en voyais, tout suants, souffrant mais restant dignes, bien droits, à attendre leur tour. Moi, fallait me tenir pour ne pas que je m’effondre comme une loque. C’est fou, Abdou a la malaria chaque année, les Espagnols aussi. La malaria, c’est à vie, faut juste qu’un moustique femelle restimule tout ça.

Une brique dans le ventre

J’ai cru naïvement que je pourrais vivre dans un village animiste avec mon homosexualité, mon alcoolisme chronique… et avec Vieux ! Vieux, c’est son prénom, très courant par là. Encore un autre dont j’étais fou amoureux. Il avait un terrain en plein milieu du village et j’ai cru que ça pourrait fonctionner. Et bon, ça n’a pas fonctionné mais on a vécu une année de fou. On l’a construite, cette maison, ainsi qu’une cafétéria et des chambres pour touristes. On a tout fait nous-mêmes, les briques, par exemple, c’était des bancos, un mélange de sable, de feuilles d’arbres séchées et je ne sais plus quoi, que tu laisses durcir au soleil. Des briques qui peuvent durer mille ans. Mais dans mon cas, ça n’avait pas beaucoup d’importance. Mon homosexualité m’a vite rattrapé. Je ramenais des gars la nuit, au milieu de toutes ces maisons serrées, et ça s’est vite su. C’est pour cela que j’habite en ville maintenant. Même mes potes espagnols sont partis. C’est dur pour un Blanc de vivre dans un village. Il y a une promiscuité incroyable, on entend le voisin péter la nuit. T’imagines, il fait tellement chaud qu’il n’y a de fenêtre nulle part, juste des grillages. Avec leur gros sexe, c’est difficile de baiser en silence, t’imagines bien. Donc, ces allers-retours de garçons, le père de Vieux n’a pas apprécié. C’est lui qui nous avait donné le terrain.

Intérim

La maison que j’avais construite était à même pas cent mètres de l’école du village. Un matin, y a une bande de gamins de CM2 qui débarquent chez moi en trombe. J’avais un gars dans mon lit, mais ils ne s’en souciaient pas. Ce qu’ils voulaient, c’était un instit’. « Qui, moi ? », je fais, tout tremblotant. « Oui, le maître est absent… » Il faut savoir que les enfants du village, s’ils ne vont pas à l’école, ils doivent aller aux champs. Tout autour du village, ce n’est que champs de riz et d’arachides, tout le monde vit de ça. Moi, j’ai commencé à suer avec ma gueule de bois, mais je me suis habillé et j’y suis allé. Parce que je les ai déjà vus travailler aux champs, ces petits bouts, c’était pas cool pour eux, donc j’ai pris mon courage à deux mains et  suis parti. Sur le chemin, je me disais : « Bordel, donner cours de quoi en fait ? »

La plage de Diembéring

J’entre dans la classe, t’as quarante mômes qui se lèvent comme un seul homme en disant « Bonjour monsieur ». J’ai regardé ces petites têtes noires en me disant : « Mais qu’est-ce que je vais faire ? » Puis j’ai vu le tableau où des phrases étaient écrites avec une tonne de fautes d’orthographe. Me suis dit qu’on allait commencer par ça, corriger les fautes d’orthographe de l’instit’. Puis j’ai vite repéré qu’on avait foutu les analphabètes derrière et les gosses de riches devant. Alors, j’ai mélangé les enfants. Dans le fond de la salle, t’avais les Dialoas et les Mandingues, ils ne savent ni lire ni écrire et tout le monde s’en fout. C’est une histoire de castes, c’est les gardiens de vaches, style leurs parents sont pauvres, n’ont pas accès aux livres, etc. Et puis devant, t’as les castes plus riches, les Wolofs et les Peuls, très musulmans, cultivés, qui eux savent lire, écrire. C’est très compliqué, ces histoires d’ethnies et de castes… Bref, après dix minutes, je me suis dit, ce n’est pas possible, il faut mélanger tout ça. Un qui sait écrire à côté d’un autre qui ne sait pas. Un Mandingue à côté d’un Peul, héhé. Même la prof d’à côté est venue rouspéter, mais moi j’avais rien à perdre et je l’ai remballée. J’ai dit : « Bon, prenez votre stylo et votre cahier ! » Mais ils n’avaient ni stylo ni cahier. Ils avaient juste une ardoise mais pas de craie. J’ai filé à la boutique acheter des craies puis suis revenu. Puis j’ai fait toutes sortes de petits exercices. C’était dur mais j’aimais bien. Et puis, le niveau est tellement merdique que je pense que je donnais des meilleurs cours que leur instit’. À la fin de la journée, j’avais plus de voix, et j’étais plein de craie partout. J’en pouvais plus et encore une fois, c’est mon père qui m’a sauvé. J’en étais au quatrième jour, je maudissais l’instit’ qui avait disparu. C’était un Wolof qui avait dû retourner dans le Nord du pays pour une histoire de décès. Et y a mon père qui débarque ! Je lui dit : « Papa, j’ai un truc à faire en ville, tu veux pas me remplacer dans l’école, je donne un petit cours pour les gamins ? » Il a accepté… Je me suis barré à Ziguinchor une semaine… Je le revois encore en rentrant, tout transpirant avec les gosses (rire). Mais c’était une chouette expérience. Je le referais si je pouvais.

Vous êtes tous des imbéciles !

Mon hospitalité sexuelle a fini par me rattraper au village. Du moins, c’est ce que je croyais. Ça m’a valu un procès, mais pas avec la justice. Un procès de village. C’était quelque chose… On était dans l’espèce de centre culturel, il y avait le bourgmestre (gros), puis le chef du village et quelques vieux influents. Tous portaient le bonnet rouge, le bonnet des personnes importantes. Mon père est venu spécialement de Belgique pour assister à cela, ainsi que mes fidèles amis espagnols. On est tous les quatre en rang d’oignons et j’ai le vieux Silla, le père de Vieux, avec sa grande djellaba, en train de hurler en me dévisageant et en pointant sa canne sur moi. Il n’était plus question de parler français, tout le procès se déroulait en diola, la langue locale. On ne comprenait pas ce qu’il racontait mais on se doutait bien que ça parlait d’homosexualité. Mon père, grand débonnaire, essayait de faire de l’humour sur le sujet mais ça tombait un peu à plat. Puis, coup de théâtre, il y a un de mes « fils » qui débarque dans la salle. C’est René, un gamin de quatorze ans que j’ai pris sous mon aile à cette époque. On ne parle pas de sexe ici. C’était un gamin loin de ses parents qui vivaient à Dakar. Lui était chez des oncles mais ça ne marchait pas, c’était une forte tête. La première fois que je l’ai rencontré, c’était sur la plage, j’étais en train de pêcher et il a voulu que je lui montre. On a passé la journée à pêcher. Puis, on est venu me trouver et on m’a dit : « Attention, c’est René, le voleur, il va te détrousser. » J’ai compris que personne ne l’aimait, alors je me suis dit tout de suite que ça allait devenir mon ami. Je l’ai recueilli, je lui ai appris à faire ses devoirs, à nager, à pêcher. Il m’a tout de suite plu, il n’en avait rien à foutre des traditions animistes, c’était le punk du village. Quand il est venu habiter chez moi, je lui ai montré où je planquais mon fric, mon gsm, etc. Je lui ai dit : « Voilà, il n’y a que nous deux qui savons où se trouve le fric. S’il disparaît, je saurai que c’est toi. » Et il ne m’a jamais volé. Même quand il faisait mon linge et qu’il y avait des sous dans les poches, il me les rendait. C’est tellement facile de rendre les gens voleurs ou bons. C’est vraiment trop con.

Bref, v’là René qui débarque dans l’assemblée. Je le revois encore, il dit : « Vous êtes tous des imbéciles ! Vous insultez ces Blancs dans une langue qu’ils ne comprennent pas. » Nous, on a fini par se lever, on a jeté les clés sur la table, on a presque dit « fils de pute », parce qu’il faut bien comprendre que le vieux, le père de Vieux, c’est un Peul, un de ces commerçants qui veulent faire du fric sur tout. Il m’avait bien repéré, il a juste attendu que nous ayons fini la maison, planté les baobabs, etc. pour commencer à lancer des rumeurs sur moi. Le gars, il m’attendait à l’aube, devant chez moi. Je le voyais là, quand je sortais pour aller pisser, tout nu. Puis évidemment, après, il voyait un garçon sortir pisser… Sauf qu’à cette époque, c’était René, mon fils. C’est pour ça qu’il les a insultés. Nous, sur le moment, on pensait qu’il parlait d’homosexualité, mais en fait, le vieux racontait que je violais ce gosse. Ça m’a fait du bien de voir le gamin fendre la foule pour rentrer dans le bâtiment, se foutre au milieu et les insulter en racontant que jamais je ne l’avais touché, et que je l’avais aidé, etc. D’ailleurs, je l’aide toujours, je viens récemment de lui payer le permis de conduire poids lourd. Bref, les officiels m’ont dit que je pouvais rester sous certaines conditions, mais je les ai envoyés chier. Je me voyais mal continuer à vivre dans ce village. D’ailleurs, je n’y ai plus jamais remis les pieds.

Une rue de Zinguinchor

Les bars de Ziguinchor

J’ai quitté mon village et mes amants pour Ziguinchor à 60km plus à l’est. Il y a deux choses qui rapportent de l’argent à Ziguinchor. La culture des arachides, mais là, tu dois souffrir, ou alors l’alcool et les putes. Ziguinchor, c’est bourré de bars. Des bars qui ne ferment jamais. Et dans ces bars, il y a des putes, toujours, enfin, souvent. C’est fou, c’est un pays musulman, tous les barmen s’appellent Mustapha ou Abdou, la mosquée gueule Allah Akbar juste à côté, mais y a des bars à putes partout. Où on bouffe du porc grillé dans les arrière-cours, cuisiné sur des braises par des femmes. Pour 1000 francs CFA (1,50 euro), t’as une assiette de porc grillé. Ça te permet d’un peu déssoûler. Faut dire que là-bas, une bouteille de Gin coûte un euro, t’imagines vite l’état dans lequel tu te retrouves. Et puis, il y a les putes. Elles sont là, assises en enfilade, et elles veillent sur moi. Les putes de Ziguinchor, ce sont mes grandes amies et aussi mes protectrices.

C’est la folie furieuse, ces endroits. Les bars sont grillagés, tu passes les sous par un trou dans la grille et tu reçois ta bière. Il s’en foutent de ce qui se passe dans le bistro, c’est une ambiance particulière. Combien de fois l’une ou l’autre pute ne m’a pas ramené mon portable que j’avais laissé tomber. Souvent Ibrahima ou Abdou, vers 5h du mat’, en ont marre et rentrent, mais moi, je bois jusqu’à plus soif, je m’endors sur le bar et elles veillent sur moi, sur mes affaires. Elles me prennent les clés de la moto pour pas que je conduise dans cet état. Bon, je leur rends service aussi. En fait, là-bas, il faut un permis de pute… Comment on dit encore, un passeport pute, enfin je sais plus… Pour être pute, il faut être déclarée pute, quoi. Donc, t’as un carnet de santé et t’es obligée d’aller tous les mois à l’hôpital faire des tests et mettre le cachet. C’est tip top à 8h du mat’, ils le font exprès, ils savent bien qu’elles bossent jusqu’à cette heure-là… Et si t’arrives à 8h10, tu perds ta licence pendant un mois. Combien de fois ça m’est pas arrivé que l’une ou l’autre me demande à 7h50 de l’amener à moto à l’hôpital régional. T’auras dû voir ça, moi avec ma chemise jaune sans manches, grande ouverte, suant tout mon alcool dans la circulation matinale avec, accrochée à ma taille, une nana à talons et minijupe rouge en cuir et gros seins. Nom de dieu…

Jules Bocandé

Je n’allais pas seulement dans les bars à Ziguinchor, il m’arrivait également d’aller dans les clubs. Un que j’ai particulièrement apprécié, c’était le Rubis Night. Il était tenu par Jules Bocandé, l’ancienne star du FC Seraing. Alors, imagine quand un Liégeois entrait dans son club ! Pas moyen de payer quoi que ce soit. C’était un grand monsieur. Je l’ai connu, puis paf, un an après, il mourait d’une rupture d’anévrisme ou je ne sais pas quoi. Il a débuté sa carrière à Casa Sport, le club de Zinguinchor, champion du Sénégal en 2015 en finale contre Dakar, à la maison, je crois, en tout cas j’y étais (en fait, ils ont perdu la finale de la coupe, en 2015 et 2016. NDLR). Il était trop sympa, le Jules. Quand j’étais trop bourré, il me laissait aller dormir dans la réserve.

La malaria, le retour

Je l’ai eue une deuxième fois à Ziguinchor, mais là, j’ai tout de suite compris et j’ai été au dispensaire chercher le médoc. C’est dingue, tu prends ce médoc et ça s’arrête tout de suite. En fait, je ne m’en suis pas rendu compte seul. J’étais avec mon pote espagnol, fin de journée, on entre dans un bar, la barmaid ouvre deux bouteilles de bière et nous les dépose devant nous. Je la refuse. Mon pote me regarde gravement. C’est le signe qui ne trompe pas en Afrique. Si tu refuses une bière, c’est que le paludisme n’est pas loin ! Et il m’a amené illico au poste de santé.

Totti et Loulou.

C’est une vieille histoire avec cet ancien couple de Barcelonais. Je les connais depuis mes premiers jours au Sénégal. Des gens incroyables qui ont dû quitter l’Espagne pour une histoire de trafic d’héroïne. Genre le gars a vingt-cinq ans et se fait choper en revenant de Thaïlande avec quelques kilos sur lui. Ils ont dû tout quitter et choisir un pays qui n’avait pas d’accord d’extradition avec l’Espagne. Ils sont arrivés au Sénégal par hasard. Elle avait un super boulot à la télévision espagnole, comme monteuse. Lui était caméraman. Mais ils ont aussi leur côté artistique, rock’n’roll. Ils ont créé un camp pour touristes il y a dix ans et c’est là que j’ai atterri. Et quand ils m’ont vu, ils m’ont tout de suite pris sous leur protection quand ils ont vu ma vie, mon homosexualité. Ils se sont dit : « Celui-là, il a besoin d’un peu d’apprentissage, sinon il va se faire tuer » Puis les années ont passé et eux aussi ont fini par aimer les Noirs. Je veux dire, lui, les femmes noires et elle, les gars. J’ai vécu leur séparation en direct, c’était déchirant. Maintenant, ce sont les meilleurs amis du monde, Totti a fait deux gosses de son côté, et tout. Ils m’ont vraiment fait progresser là-bas, je les adore.

Ils vivent maintenant grâce à une ONG. Pourtant, ils détestent les ONG, ils ne supportent pas les gens « qui viennent sauver l’Afrique », mais ils travaillent là-dedans. En fait ce sont des cinéastes, ils font de la com’ pour les ONG, ça s’arrête là.

La gangrène

Pendant la saison des pluies, tu passes ta vie avec les mollets dans la boue ou dans l’eau. Dans certains endroits de la ville, ce sont de véritables marécages et eaux stagnantes. Il suffit d’une piqûre de moustique pour que ça dégénère et c’est ce qui m’est arrivé. Une piqûre sur le tibia. Tu te grattes, tu commences à saigner et c’est parti. Et ça a commencé par un petit truc. Je me rappelle René me dire : « Fais gaffe à ta piqûre. » Et moi, je lui réponds : « Tracasse pas, je cicatrise très bien. » Tu parles, un mois après je ne savais plus marcher. J’ai été voir un marabout pour me soigner, j’ai même sacrifié un poulet. Mais rien, ça empirait. Tous les soirs, il y avait une métisse qui me nettoyait la plaie. Puis un jour, elle m’a dit : « Regarde (on voyait l’os du tibia) ! Je crois qu’il est temps que tu rentres dans ton pays. » Je suis rapatrié à Zaventem et transféré à Anvers, à l’Hôpital des maladies tropicales, où je me retrouve entre deux tout vieux médecins avec leurs lunettes au bout du nez, pris de nostalgie coloniale : « Hé, viens voir, tu te rappelles cette maladie à Goma en 1953 ? Vous avez de la chance, monsieur, à l’époque, on vous aurait coupé le pied… »

Macky Sall

J’étais à Oussouye, à mi-chemin entre Cap Skirring et Ziguinchor, un jour où j’étais témoin pour un mariage d’un de mes amis espagnols. J’étais avec Abdou, on sortait de la réception complètement bourré et on s’apprêtait à monter sur la moto. C’était une période où on était super amoureux et on passait du temps sur cette moto. On a même réussi à faire l’amour sur l’engin, je n’ai jamais compris comment il a réussi à baisser mon froc, mais soit. On sort de la réception en titubant et on voit la foule. Macky Sall était attendu pour un meeting, juste là, devant nous. Moi, je ne savais même pas qui c’était. On prend la moto et on essaye de fendre la foule, mais à un moment, la police nous chope et nous demande de nous mettre sur le côté. Et c’est à ce moment qu’on voit la voiture de Macky Sall avancer au pas avec lui sortant du toit ouvrant pour saluer la foule. Moi je tentais tant bien que mal de tenir la moto en équilibre… et puis, paf, il arrête tout le convoi à notre hauteur. Je commence à flipper, il faut dire qu’il y a quelque temps, je m’étais retrouvé dans ce type de meeting et je m’étais fait casser la gueule pour une raison qui m’est encore inconnue, mais après, j’ai senti que c’était différent. Il avait l’air sympa, donc ses fans devaient l’être aussi. Macky Sall s’arrête et me montre du doigt, moi, le seul Blanc sur toute la place. Il s’approche de moi et il me serre la main, entouré des journalistes de la gazette locale. Je sais pas, il devait me prendre pour un coopérant. Et là, je ne sais pas ce qui m’a pris, en lui serrant la main, sous l’œil sévère de ses gardes du corps, je lui ai dit qu’il devrait libérer les homosexuels des prisons, qu’ils n’ont rien à y faire, etc. Quand j’étais en prison, j’avais remarqué qu’il y avait une cellule spéciale pour les prostitués, les travestis, les pédés. Tout ces gens en prison pour ça. C’était vraiment trop le Moyen Âge. Moi, à ce moment-là, ça faisait une semaine que j’étais sorti de prison, c’était encore bien frais dans ma tête. Là, Abdou est descendu de la moto et s’est enfui dans la foule, complètement flippé à l’idée qu’on nous arrête. Et je te jure, je crache par terre, quand il a été élu président, la première chose qu’il a faite le premier jour de son mandat, c’est de libérer les pédés des prisons. Je te jure, je l’ai vu à la télévision et tout. Et ça a été très mal pris par les musulmans. Il a aussi libéré les candidats migrants qui tentent leur chance en pirogue pour aller jusqu’au Cap Vert. T’imagines, ils te chopent sur ta pirogue et te foutent en prison. Il les a libérés aussi. Il y en avait plusieurs dans ma cellule, c’était des gamins de dix-huit ans, en t-shirt pourri et caleçon… Parce qu’ici, en tôle, si on ne t’amène rien, ben, t’as rien. Même pas à bouffer, même pas un drap de lit. Bon, je n’ai pas la vanité de croire que c’est moi qui lui ai soufflé cette idée, ça devait être dans son programme, mais en tout cas, ça m’a fait un choc de voir une dizaine de jours plus tard le bonhomme à la télé affirmant qu’il allait libérer les pédés.

Les fils

Voyager là-bas est un investissement. Je mets de l’argent de côté pendant l’année. Je récupère la ferraille dans les containers que je transporte. Surtout les robinets. Chaque année, je me fais 1000 euros grâce aux robinets que je récolte. Ça fait un mois au Sénégal. Je sais que ça peut paraître beaucoup parce que la vie n’est pas chère là-bas. Mais c’est sans compter mes fils. C’est pas quelque chose que je prends à la légère. Là-bas, les gens vivent en famille élargie. Et s’il y a une seule personne qui travaille chez les oncles, les tantes et les parents, c’est déjà bien. Ça permet d’acheter de la viande ou du riz pour aller avec les légumes du potager. Mais c’est impossible d’envoyer les gosses à l’école. C’est payant là-bas. Rien que les uniformes, pour des gamins qui grandissent tous les six mois, imagine. Donc, je les adopte entre guillemets, même si leurs parents sont vivants. Et voilà, tu vas voir le chef du quartier ou du village et tu lui expliques que c’est sérieux, que t’es pas un touriste pris d’une empathie passagère. Tu officialises un peu le truc. J’en suis à mon quatrième fils. Tu gères, ça fait un Western Union de 40 euros environ par mois et par enfant. Ça paye l’école, la tenue et le petit déjeuner. Un cadeau à Noël, un logement s’il a dû déménager, des problèmes de santé, ce genre de choses. La plupart ont fini leur études ou ont arrêté. J’en suis au permis de conduire de René…. Ah si, il reste Demba, qui est aux Beaux-Arts à Dakar. Là, on a payé l’année, à trois, avec mes amis espagnols. Oui, il veut être peintre, il peint très mal à vrai dire mais on s’en fout (il rigole). On ne va pas empêcher quelqu’un d’être artiste !

La route menant de Diembéring à Cap Skirring

Conclusion ?

Comme ça, on pourrait croire que j’aime l’Afrique pour aller boire et baiser, mais c’est beaucoup plus que ça. C’est vraiment le contact humain. C’était peut-être comme ça avant ici, mais tout a changé depuis qu’on ne peut plus fumer dans les bars. Souvent, avec mes amis espagnols qui fument aussi comme des pompiers, quand des Blancs nous demandent… – tu vois, le genre de Blancs qui pensent que tous les Noirs se ressemblent… –, bref, quand on nous demande pourquoi on vit au Sénégal, on répond en chœur : « Parce qu’on peut fumer dans les taxis ! »

Postface

Je stresse un peu, parce que je vais partir bientôt. Et il n’y a rien à faire, je m’investis tellement là-bas que ça me met un poids sur les épaules. Dans quel sens je m’investis ? Ben, j’ai jamais dormi à l’hôtel, je vis chez les gens, j’ai des amants, des maris, des amis, des fils. J’aide des familles. Je vis à 100%. Quand je vis là, j’oublie que je suis Blanc. De toute façon, il n’y a pas de miroir là-bas, on ne se regarde jamais. Je m’en rappelle quand je croise des Blancs qui sont là depuis deux jours et qui me demandent comment on vit en tant que Blanc ici. Mais je ne vis pas comme un Blanc, enfin, pas comme un Blanc devrait vivre. Je fonce, je vais avec n’importe qui, je me suis déjà fait baiser derrière un bar sous une voiture… Il ne m’est jamais rien arrivé, je suis comme chez moi, je n’ai pas peur. C’est bizarre, je vis trois mois par an là-bas, et voilà, dans quelques jours, j’ai l’impression que je rentre chez moi. Enfin, je sais bien que la Belgique, c’est chez moi, mais bon, tout tourne autour des voyages, je travaille pour voyager. J’ai 47 ans et je n’ai de nouveau plus d’appart, je suis domicilié chez mon père ! Je n’ai plus rien ici. Je dors chez des amis, ou mon ex m’héberge par amitié. Ce qui m’empêche de vivre en Afrique, finalement, c’est l’argent. C’est dur de faire du biz là-bas si t’es Blanc. Les seuls Blancs que j’ai connus qui arrivent à vivre là-bas, ce sont ceux des ONG, mais ça ne m’intéresse pas, ce genre de truc.

J’aimerais bien finir ma vie là-bas, je trouve qu’ils s’occupent bien des vieux. Les vieux restent en famille. Tu devrais voir les maisons, elles sont construites en U avec un préau et les chambres en enfilade. La douche et la toilette toujours à droite. Et la première chambre, près des sanitaires, c’est pour le plus vieux, évidemment. Puis t’as les oncles, les tantes, les machins, puis les parents, les enfants jusqu’à la gauche du U. Au milieu de la cour, tu as toujours un gros baobab ou un manguier qui fait de l’ombre. On est assis là-bas. Souvent, les gens font des bars clandestins aussi sous ce baobab. Il y a toujours bien une bière ou un alcool local dans un frigo quelconque. En fait, toutes les maisons sont des bars potentiels. Tu peux t’arrêter n’importe où et demander une bière, on te la donnera toujours. Et s’ils n’en ont pas, ils iront en chercher une chez le voisin pour gagner 100 francs CFA. Puis tu t’assieds avec la famille, sous le baobab. Dans ce genre d’endroit, évidemment, je dors toujours avec les jeunes, ceux qui mettent la musique à fond. Même si je ne suis plus jeune, c’est quand même avec les jeunes que j’aime être là-bas. Pas que je me sente jeune, mais je ne suis pas marié, tout ça, donc je ne rentre pas dans le moule. Bref, j’aime ce système-là. Je sais pas, il y a quelque chose qui me plaît. Les gens vivent en vendant leurs poulets, ils ont un petit champ derrière. Il y a toujours à bouffer, et les vieux sont peinards, en famille. De toute façon, y a pas de home là-bas. Tu nais à gauche, tu finis près des toilettes, puis tu meurs. Et tu n’es jamais seul.

Notes:

  1. La place Cathédrale est une place centrale de Liège où dans les années 80 se réunissaient les jeunes issus des contre-cultures. Punk, post-punk, new wave, skin head. La place, carrée, était divisée en secteurs affinitaires, et malheur à celui qui irait squatter la zone de l’autre… Tout cela, bien entendu, n’existe plus.

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