MM et santé des femmes, quels points de rencontre ?

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Derrière les discours qui veulent en découdre avec une approche patriarcale de la médecine et la volonté affichée de plus d’égalité entre les patient.e.s, quelle place les femmes occupent-elles réellement en maisons médicales ? Si on retrouve parfois, tout juste évoquée, la volonté de lutter contre les discriminations de genre, il faut bien constater qu’il n’existe pas d’approche explicite sur la question. Pas de santé des femmes à l’agenda (ou de mention dans la charte de la Fédération des maisons médicales) donc – si ce n’est ici ou là, dans le fourmillement des expérimentations, quelques initiatives qui émergent sous l’impulsion de quelques un.e.s.

Premier constat : les femmes seraient les premières, en terme de chiffres de fréquentation, à se rendre en maisons médicales

Monique Van Dormael, sociologue : « De manière générale, il y a davantage de femmes que d’hommes qui ont recours aux soins de santé. C’est d’abord le cas dans une première tranche d’âge qui va jusqu’à l’âge de 8-10 ans, puis cela augmente de nouveau chez les femmes en âge de procréation. Enfin, les chiffres montrent une nouvelle augmentation chez les personnes âgées. Mais à nouveau, les femmes sont majoritaires puisqu’elles vivent plus longtemps. »

Au niveau des travailleur.euse.s., même tendance

Interrogée sur la composition des équipes, la sociologue remarque : « À l’époque, il y avait des femmes médecins dans toutes les maisons médicales que j’ai connues et ça tenait peut-être au fait qu’à l’époque, les hommes médecins allaient vers encore plus de spécialisation. Mais la médecine générale était très dure, et comprenait de nombreuses heures de garde 1 ». Il semblerait également que les conditions de travail plus humaines (en horaires de jour, avec des temps partiels possibles), comme le souligne Jacques Morel [voir article sur l’histoire des maisons médicales], aient favorisé l’accès aux femmes qui cherchaient à concilier vie privée et vie professionnelle (même si on peut déplorer que cette recherche de conditions de travail de qualité, qui ont des conséquences bénéfiques sur la santé – comme une réduction du stress, de risques de burn-out et davantage de temps pour se prendre en charge ­– ne soit pas élargie à l’ensemble de la population, et ce, sans considération de genre).

Monique Van Dormael poursuit : « Au niveau du reste de l’équipe, il n’y avait que des infirmières et secrétaires femmes, ainsi qu’une majorité de femmes chez les kinés. Ensuite il y a eu des accueillants hommes, mais ça restait une forte présence féminine. On ne parlait pas encore de genre à l’époque, mais de droits des femmes. Ceci dit, je pense que les praticien.ne.s, y compris les hommes, étaient plutôt féministes. Le mouvement a par exemple soutenu le droit à l’avortement 2 ! Malgré ça, il faut bien dire que ceux qui parlaient le plus fort étaient des hommes. »

Troisième surprise : la convergence des valeurs et méthodes prônées par les maisons médicales et le mouvement d’auto-santé des femmes

Empowerment féministe du mouvement d’autosanté et autonomie du patient en maisons médicales. Participation, prévention, réappropriation des corps et refus des rapports de pouvoir dans les deux cas. On s’étonne de voir à quel point les objectifs et le vocabulaire se recoupent. Et pourtant. On déplore que trop peu d’initiatives aillent dans ce même sens. Même si elles sont spécifiques aux femmes, les pratiques d’auto-examens gynécologiques ne pourraient-elles pas être enseignées en maisons médicales afin d’agir de manière préventive sur la santé des femmes ? Dans un même ordre d’idées, ne pourrait-on imaginer des groupes de santé communautaires axés sur les cycles de vie des femmes visant l’apprentissage de techniques simples (comme la palpation, etc.) ? Mais on se heurte ici à une difficulté : comment faire coïncider la continuité des soins avec les besoins spécifiques des patientes ?

On pense notamment à la figure de la sage-femme, absente (et grande oubliée de l’ère hospitalo-centriste) qui permettrait – en vue d’une plus grande continuité de soins des patientes –, grâce au suivi des grossesses (avant/pendant/ après), d’assurer le bien-être des femmes et des nouveau-nés en renouant avec une forme de transmission populaire (autrefois assurée de mères en filles). Que sait-on encore du déroulement et du suivi d’un accouchement ? Comment se passe l’allaitement ?

Au niveau de la première ligne, certaines maisons médicales semblent vouloir s’organiser pour prendre en charge le suivi de la grossesse de leur patientes. C’est par exemple le cas de la maison médicale où travaille Pascale Botilde, qui table actuellement à un projet de pool péri-grossesse. « On part du constat que les patientes disparaissaient souvent pendant leur grossesse et qu’on les retrouve des mois plus tard, apprenant par hasard qu’elles ont eu leur bébé. Tandis qu’on les suit pour tout le reste, la grossesse est placée dans les mains du gynécologue, comme si on ne devait pas s’y intéresser. Il y a donc tout une démarche pour accompagner les femmes pendant cette période de leur vie, tant à travers des consultations à domicile pour voir comment elles se portent, qu’au niveau du suivi ONE, qui peut être pris en charge en maison médicale pour les vaccins par exemple », explique l’infirmière. Dans une autre maison médicale en région liégeoise, Marianne Dumont (nom d’emprunt), kinésithérapeute , propose également un suivi, pré- et post-natal, démontrant que différentes initiatives sont mises en place afin de mieux accompagner ces grossesses.

***

Quant au rôle que les sages-femmes pourraient jouer dans la continuité des soins des patientes, Monique Van Dormael émet quelques réserves :

« Il est évident qu’en Afrique, la sage-femme est la base même de la première ligne. N’importe quel infirmier qui travaille en CSI y fait des accouchements et seules les césariennes sont prises en charge à l’hôpital, dans les zones rurales. En Belgique, c’est un peu la même question que pour le pédiatre. À partir du moment où il y a tellement de spécialistes et où il est tellement ancré dans les mœurs qu’on accouche à l’hôpital, ça fait partie du contexte. Si un mouvement d’idées essaie de renverser ce contexte, alors ça peut évoluer, mais ce n’est pas aux maisons médicales de le faire évoluer, je pense. »

Quand on lui demande si cela ne pourrait pas justement constituer un rôle des MM – d’être en résistance avec le contexte dominant –, elle réfléchit avant de répondre : « Ça pourrait l’être, si ça correspondait à une demande de la population. Mais pas si cela émane d’une envie personnelle. Je pense que le taux de natalité en Belgique n’est pas suffisant que pour avoir cette pratique, car il y a plein de considérations techniques qui définissent une priorité. Or ce qu’il faut, c’est qu’il y ait une fonction clinique, une fonction soignante et si possible de réintégration sociale (les assistants sociaux). Maintenant, on pourrait imaginer qu’une sage-femme travaille pour plusieurs maisons médicales. Mais dans la mesure où ça ne s’adresse pas à tous, ni à tous les moments de la vie, c’est déjà spécialisé », conclut-elle.

On sait pourtant que la Belgique observe la tendance européenne en ayant récemment raccourci le séjour en maternité pour les femmes venant d’accoucher (plafonnant la durée à 3 jours et demi) 3. Si certain.e.s se réjouissent de cette mesure (comme c’est le cas de certaines sages-femmes libérales qui voient là une démédicalisation progressive de l’accouchement), elle n’a pas été sans conséquences. De nombreux nouveau-nés durent être réadmis à l’hôpital : « dans 30 % des cas, un renvoi précoce donnerait lieu à une réhospitalisation de la mère ou du bébé » 4. Car si certains hôpitaux mettent en place un service de sages-femmes assurant un suivi à domicile, d’autres se contentent d’adresser une liste de noms de praticiennes de la région ou… de ne rien faire. Sans grande surprise, cette mesure creuse les inégalités puisqu’elle affecte davantage les personnes vulnérables, isolées, ayant le moins les moyens d’assurer le suivi des soins et les aller-retour à l’hôpital.

On peut se demander si ce raccourcissement des séjours en maternité ne pourrait pas être l’occasion de réévaluer la place de la sage-femme en maisons médicales. Très platement, si les femmes qui disposent de ressources financières satisfaisantes pourront toujours faire appel à une sage-femme libérale, il semble néanmoins nécessaire de poser la question de l’accessibilité de ces soins de suivi pour toutes, et ce, en première ligne afin de pallier les manques du système de santé actuel. Sans compter que le taux de fécondité plus élevé et le recours plus limité aux moyens contraceptifs observés chez les plus démunis (par comparaison avec les populations aisées) doivent « être considérés comme un problème d’équité » selon une étude de l’OMS 5, faisant d’eux les plus touchés par cette mesure.

Ainsi, bien que l’autogestion semble en apparence favoriser des rapports d’égalité dans la gestion et la prise de décision en interne (comme c’est le cas de certaines MM dont les CA sont tournants) et que les patientes soient majoritaires, on peut peut-être se demander dans quelle mesure les femmes parviennent à faire émerger leurs revendications liées à leurs besoins spécifiques et inscrire la santé des femmes à l’agenda des MM de manière plus systématique.

Notes:

  1. Or les gardes sont généralement tournantes selon l’organisation de chaque MM et donc moins lourdes.
  2. Voir article sur l’histoire des maisons médicales. p34
  3. Ces mesures sont en cours depuis le 1er janvier 2016 (contre quatre jours et demi en 2014, et sept jours au début des années 1990 !). Voir « Séjour raccourci en maternité : qu’en pensent les femmes ? », dans Axelle, janvier-février 2017, ainsi que « Séjours en maternité écourtés, une tendance européenne », dans Le Monde, 11 juillet 2014.
  4. Voir « Réduction du séjour en maternité : un bilan alarmant », dans Axelle, hors-série, janvier-février 2017.
  5. Duff Gillespie, Saifuddin Ahmed, Amy Tsui, Scott Radloff, « Fécondité non désirée parmi les populations défavorisées : un problème d’équité ? », dans Bulletin de l’Organisation mondiale de la santé, février 2007 [http://bit.ly/2mEfjO2]. Il s’agit d’une étude basée sur des enquêtes démographiques menées dans 41 pays.

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