Pas si Easy Rider que ça

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En terme de mobilité lente, le sud du pays est un peu à la traîne. En tout cas, il est loin de pouvoir soutenir la comparaison avec le Nord, qui s’impose comme un vrai repère de cyclistes, même à l’échelle internationale. Bien sûr, en la matière, les Flamands disposent d’un avantage certain puisque chez eux, c’est plat comme un billard. Mais le relief moins favorable de la Wallonie ne saurait constituer une excuse valable – d’autant qu’on n’est quand même pas dans les Alpes, non plus. La Région a décidé de développer les infrastructures nécessaires pour entrer dans le 3è millénaire à vélo. Aujourd’hui, certes, elle peine encore un peu à « trouver son rythme », m’enfin, si vous êtes pressés, et ben, prenez la bagnole!

L

a plus prestigieuse compétition cycliste, le Tour de France, était en Wallonie cet été. On a pu acclamer les héros de la route à Seraing ou sur le fameux Mur de Huy. Si l’attrait des Wallons pour le cyclisme sportif n’a jamais rien eu à envier à celui des Flamands 1, il n’en va pas de même du cyclisme quotidien (les déplacements « utiles ») et du cyclotourisme (les déplacements « inutiles »). D’après la Fédération européenne des Cyclistes, la Belgique serait en sixième place des pays les plus « bike-friendly » d’Europe – d’après un autre classement, la ville d’Anvers serait même en neuvième position d’un classement mondial, 25% des déplacements s’y feraient en vélo. 2 Mais le gouffre entre le Sud et le Nord du pays est énorme : 12 % des déplacements se font à bicyclette en Flandre, contre 1 % en Wallonie et 3 % à Bruxelles. Pour faire bouger les lignes, la Région wallonne a un plan

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Le Plan « Wallonie cyclable »

Depuis 2011, toute une série d’actions ont été engagées dans le but d’améliorer les conditions de la pratique du vélo et augmenter significativement son utilisation en Wallonie. Des communes « pilotes » ont été désignées. Il s’agit parfois de petits aménagements, modestes mais bien utiles. Des boxes flambants neufs ont ainsi été installés à la gare de La Louvière-Sud, qui permettent aux navetteurs de laisser leur vélo en sécurité. Ils peuvent aussi emprunter l’agréable « pré-Ravel » de l’ancienne ligne vicinale qui va vers Binche. Les visiteurs motivés pousseront eux jusqu’à Erquelinnes, à la frontière française, et son charmant petit port de plaisance sur la Sambre, où le dimanche on peut assister à des compétitions de chiens sauveteurs…

À Gembloux, c’est un nouveau « Point-Vélo » 3 qui a été installé dans la gare. Certains itinéraires sont spécialement aménagés, avec, en zone urbaine (par exemple le cheminement Opéra-Amercoeur à Liège), adaptation de feux et de carrefours, création de « sas » cyclistes, marquage de bandes cyclables, éventuellement en contresens, « SUL » (sens unique limité), etc. En zone plus rurale, comme à Wanze, c’est tout un réseau cyclable communal qui se met en place. Un peu partout, les « by-pass » (passage latéral entre la chicane et le bord de trottoir) se généralisent. « Wallonie cyclable » balaie large. Citons pêle-mêle le « bike coaching », les actions de sensibilisation dans les MJ, les campagnes d’affichages (Walhain), les « remises en selle » des aînés (Namur), un site web vélo (Mouscron)…

La colonne vertébrale du réseau cyclable wallon, c’est incontestablement le « 
Ravel » (réseau autonome des voies lentes). Il existe officiellement depuis 1995. Il est principalement organisé autour de deux types d’axes : les voies ferrées désaffectées et les chemins de halage. Le réseau Ravel a donc préexisté à son appellation, puisque de nombreux cyclistes et cyclotouristes ont commencé à emprunter les « chemins du rail », là où ils étaient (plus ou moins) accessibles. Ces chemins se sont « ouverts » dès après-guerre, quand le développement de l’automobile et du transport (auto)routier a rendu inutile une partie croissante des milliers de kilomètres du réseau ferré belge, en particulier ses voies vicinales. De même, les chemins de halage ont perdu leur raison d’être lorsque s’est répandu l’usage des bateaux à moteur. L’énorme avantage des Ravels, outre qu’ils sont des trajets sécurisés, à l’écart du trafic automobile, ce sont les dénivelés. Les pentes n’excèdent en effet jamais 3%, la norme jadis pour les trains. (Il y a certes quelques exceptions, mais les funiculaires, comme celui qui grimpait à la citadelle de Namur, n’étaient pas légion dans notre pays.) Dans des régions vallonnées comme le Condroz, les Fagnes, l’Ardenne, ce n’est pas négligeable.

Le Ravel

La Région wallonne a fait le choix d’un réseau « en dur », c.-à-d. d’un revêtement asphalté, contrairement à bon nombre de véloroutes françaises, par exemple, qui sont parfois à la limite de la praticabilité. C’est un indéniable confort pour l’usager, mais ce choix ne facilite bien sûr pas sa réalisation rapide, fût-ce pour une question de financement… Régulièrement, et encore récemment, on annonce le « bouclage » du Ravel, et même sa « finalisation ». On en est pourtant fort loin. Dans la version maximaliste du comptage, le réseau compterait aujourd’hui environ 1.000 km de voies praticables (1.300 selon le SPW et même 1.700 selon le Ministre, on n’a pas les chiffres de la police…), sur les 2.000 prévus au départ 4 – ce dernier chiffre représente environ la moitié du nombre total de kilomètres de voies désaffectées, sachant qu’on inclut ici des assiettes qui parfois n’existent plus. À cela il faut ajouter les itinéraires de liaison qui complètent (un peu) le réseau, et sont (parfois) balisés. Le réseau est fort discontinu, il est souvent impossible de réaliser des parcours en boucle d’une taille soutenable pour un cycliste amateur – plus d’un Ravel se termine en fonds de vallée, comme à Houyet ou à Houffalize, sans autre alternative pour l’usager que de repartir en sens inverse… ou d’attaquer les cols.

Les raisons des retards ou du manque d’envergure dans la réalisation d’un réseau digne de ce nom sont diverses. On ne peut en effet en imputer la responsabilité aux seules collectivités locales ou à la Région wallonne. [Voir encadré] Cette reconversion des lignes de chemins de fer (qui étaient d’abord à vocation industrielle) en voies cyclables représentent un enjeu territorial majeur. Mais elle tarde à se mettre en mouvement institutionnellement. La reconversion postindustrielle du territoire apparaît comme un tonneau des Danaïdes, une tâche impossible. Un peu comme les friches industrielles, dont la Région wallonne ne sait trop que faire. Né avec la Révolution industrielle, le vélo fut récupéré par la société des loisirs et promu mode de déplacement alternatif du monde post-carbone. En réclamant des voies lentes, il agit comme un révélateur de la difficile mutation postindustrielle du territoire et de l’inadéquation des discours qui appellent cette reconversion de leurs voeux. « Ç coup-ci, ça va daller/ El vi monde va sketer », c’est un poète wallon qui le dit 5, mais cela semble moins simple et moins rapide que prévu…

Les équipements «
 de convivialité » représentent un autre gros enjeu du Ravel. Contrairement à la Flandre, il n’y a plus ici un café et un fritkot dans chaque village. Le raveliste devient ainsi malgré lui un adepte du cyclisme érémitique. De longs moments de solitude forestière ou agreste l’attendent sur certains tronçons, par exemple la L109 au nord de Chimay, sans espoir de ravitaillement – il pourra ainsi tenir l’ascèse jusqu’au bout… Il y a bien quelques gares qui ont été reconverties, en bistrot (Braives) ou même en resto social (Gilly-Sart-Allet à Charleroi). Mais rien qui tienne la comparaison avec le réseau des établissements « fietsvriendelijk » (cyclistes bienvenus) flamands.

Les réseaux

A côté du projet Ravel, qui nécessite des investissements importants (déferrage des voies de chemins de fer, terrassement, pose d’un revêtement « en dur », réparation ou reconstruction de ponts, etc.), il existe des initiatives plus locales, portées par les provinces, communes ou groupements de communes, pour réaliser des liaisons cyclables : pré-Ravel, Pics Verts, Rando-Vélo, etc. Mais rien qui ressemble à un réseau de « points-nœuds » unifié. Chacun y va (ou pas) de son initiative locale. Parfois très locale. Ainsi, la Maison du Tourisme de la Forêt d’Anlier a balisé un circuit de 43 km, appelé « Cyruse », dans les vallées de Rulles et de Semois, du côté d’Habay et Etalle. Différents réseaux de points-nœuds, chacun avec son système de balises propre et ses panneaux, se retrouvent aux quatre coins de la Wallonie : dans les Cantons de l’Est (« VéloTour », 2004), en Famenne (« Famenne à vélo », 2011-2012), en Basse-Meuse, en Wallonie picarde (« Wapi », 2015).

Celui-ci, dernier en date, est remarquable et pourrait servir de matrice à un futur réseau « point à point » wallon, s’il se met un jour en place, à la faveur d’une véritable coordination des maisons de tourisme au niveau régional. Outre qu’il traverse de très jolies régions, comme le Pays des Collines, il est calqué sur le système flamand, auquel il est d’ailleurs connecté. La Région flamande a fait le choix dès le départ d’un réseau unifié, centralisé par elle, et qui a pu être réalisé en quelques années à peine. 6 La route est encore longue mais à terme les points-nœuds pourraient mailler le territoire wallon et ainsi « boucler » les différents tronçons du Ravel. Avec une infrastructure correcte, qui sert tant les déplacements quotidiens que le cyclotourisme, les Wallons n’auraient alors plus d’excuses pour ne pas enfourcher leur vélo.

Notes:

  1. Parmi les innombrables livres sur le cyclisme wallon, citons : « La Wallonie, les Wallons et le Tour de France », Luc Pire, Bruxelles 2004 et « La Wallonie, terre de cyclisme », de Stéphane Thirion, Racine, Bruxelles, 2013
  2. « Sud-Info », 21 mai 2015 ; « Wired », June 2 – 2015.
  3. Petites échoppes qui offrent des services relatifs au vélo dans certaines gares : accessoires, réparations, location…
  4. On peut raisonnablement penser qu’au rythme actuel il faudra quinze à vingt ans pour terminer le réseau. A comparer avec les 1500 km de routes wallonnes (automobiles) de plus créées en trois fois moins de temps, soit entre 2000 et 2005, d’après les statistiques du MET.
  5. Julos Beaucarne, dans « La révolution passera par le vélo » (album « Vélo volant », 1979).
  6. Le réseau de point-nœuds à vocation touristique (« fietsnetwerk ») est en outre doublé d’un réseau longue distance à vocation plus utilitaire (« lange afstandroutes »).

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