NOW L’autre magazine wallifornien

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Au détour d’une rue quelconque, par une journée banale, tu te rends tranquillement chez ton libraire pour acheter La Meuse. Roger se trouve en page 12 et t’as envie d’un souvenir de son heure de gloire. Sosie officiel de Dick Rivers, il s’est fait tirer son perfecto dans les vestiaires de la piscine d’Outremeuse par une bande de jeunes. En attrapant le journal, qui te noircit déjà les doigts, un magazine tombe à tes pieds. Tu le ramasses, intrigué-e. En trois grosses lettres noires, le titre te saute aux yeux : NOW. Natives of Wallifornia. Soko en couverture. C’est qui Soko ?

Entre les espaces de pub, il y a des trous, qu’on peut essayer de remplir avec autre chose. C’est très wallifornien finalement.
Cédric Renwa

C’est un peu le bordel à l’intérieur, 92 pages dont une trentaine de pub. Entre le Crowne Plaza et la dernière BMW, une interview de Benjamin Schoos (du label « Freaksville Records »), Garrett List et un reportage dans un café de Verviers : tu te dis qu’il y a peut-être du bon. Gratuit, en supplément de la gazette locale, on t’annonce du contenu « wallifornien », tu le fourres dans ton sac. Assis-e sur le quai en bord de Meuse, tu te plonges dedans.

1Est-ce avouable ? NOW, à la base, c’est une demande commerciale de la régie régionale de Rossel qui voulait un objet publicitaire pour faire plaisir à ses annonceurs, distribué en supplément du journal quotidien gratuitement. « Bien sûr on aurait pu faire comme d’habitude, une page de pseudo contenu à gauche et une page de pub à droite, appeler ça Luxe à Liège, n’importe quoi. » Sauf que Cédric Renwa, directeur créatif chez Sudpresse, a d’autres ambitions. « C’était l’occasion de faire quelque chose d’hybride, peut-être pas pour la beauté de la presse, dans un premier temps en tout cas. Entre les espaces de pub, il y a des trous, qu’on peut essayer de remplir avec autre chose. C’est très wallifornien finalement. »

Cédric, c’est HelmondB, qui écrit les éditos, quelques articles, s’occupe de la rédaction en chef et supervise la maquette, aidé de deux graphistes. Pour remplir les quelque soixante pages de contenu non publicitaire, il fait appel à des collaborateurs indépendants : illustrations, photos, textes. « J’essaye de discuter en amont avec les auteurs pour avoir à faire le moins possible de cut. Qu’ils comprennent que j’ai envie qu’ils mettent de la subjectivité, qu’on n’est pas là pour amener de l’information mais raconter une expérience, des histoires. Que chaque auteur est responsable de cette histoire. »

2Le premier était distribué avec La Meuse édition « Province de Liège », avec un tirage de 60 000 exemplaires. « Mais on s’est rendu compte que c’était un peu tirer au bazooka. Les annonceurs qui viennent chez nous ne sont pas dans La Meuse en règle générale, ils allaient dans le Talk ou Références, du street mag finalement. Donc on s’est dit qu’on allait repositionner le magazine pour 2016, il ne sera plus encarté avec le journal. » L’objectif : une cible plus urbaine, plus attirée par le culturel, en étant disponible dans un maximum d’endroits.

NOW a l’ambition d’être perçu comme un magazine de la région liégeoise, un peu branché, tendance et de développer dans un deuxième temps une partie application mobile. En attendant il y a le site internet où tu peux te balader en vidéo avec Garrett List le long de la Meuse ou The Experimental Tropic Blues Band pour découvrir leurs « pieces of Wallifornia » (en
français : morceaux de Wallifornie).

Page après page, les noms des rubriques te donnent mal au crâne, traduits dans une sorte d’étrange esperanto librement inspiré de l’anglais : « Be geek or be killed », « Strange days by Pierre Gof », « #Spotted by Lucie », « Wallifornians », « Bottle up », « Pieces of W », « Border of W », « Brainjuice ». Tu te doutes bien que c’est volontaire, mais la raison t’échappe et la moitié des noms ne t’évoque rien. Dans ta tête, c’est du corporate bullshit (même si t’es prêt-e à concéder que l’anglais convient mieux dans certaines situations). Mais t’as tout faux. Comme il détourne une brochure publicitaire pour en faire un magazine culturel, Cédric tente de « rigoler avec les codes. On garde le côté wallifornien en utilisant une autre langue, du slang, mais en fait on montre avec le contenu que ça n’a rien d’américain. La Wallifornie reste une petite poche, ni territoriale, ni géographique, avec des gens qui ont la volonté de proposer autre chose. Avec ce côté un peu branque et bancal qui fait qu’on est wallons. Pas le côté rêve wallifornien : lève-toi tôt, tout le monde peut réussir, mais du genre tout le monde peut vivre sa vie, y’a de la place pour tout le monde. »

[La Wallifornie est] un terme avec lequel j’ai grandi. Ça éveille quelque chose de sympa en moi, l’idée d’utopie, d’endroit qui n’existe pas mais qu’en même temps tout le monde côtoie. Cédric Renwa

Imprégné de Starflam, des Party Harders et bien d’autres, Cédric Renwa n’a pas pour autant fait un inventaire raisonné de la Wallifornie avant de lancer le magazine. Quelques recherches sur Google, des rencontres par-ci par-là, il avait juste envie d’ajouter un truc en plus au mythe. « C’est un terme avec lequel j’ai grandi. Ça éveille quelque chose de sympa en moi, l’idée d’utopie, d’endroit qui n’existe pas mais qu’en même temps tout le monde côtoie. C’est un peu ce qu’on veut. Ça peut être la culture urbaine, hip hop, etc. Ou le côté : “Il fait beau et tout le monde s’en sortira.” C’est une des visions que j’ai voulu prendre. » Sans définition précise de la Wallifornie, les auteurs de NOW ne sont pas limités dans leurs propositions et ne se croisent que rarement, voire jamais. Une réunion de rédaction avant, une après pour le débriefing et une équipe qui tourne avec sept ou huit collaborateurs freelance. « Je préfère garder des individualités et rassembler le tout. Je n’ai pas envie qu’ils soient cohérents entre eux et le concept est tellement large qu’ils rentrent facilement dedans. »

3Pour être large, le concept l’est. Que font Fauve, Christine and The Queens ou encore Soko dans un magazine qui revendique d’être « Natives of Wallifornia » ? « Pour moi ils sont emblématiques d’une Wallifornie. Par exemple pour Christine, c’est un ovni qui arrive dans un paysage de la variété française qui était super terne. Elle est parvenue à faire quelque chose en français. » Ok, mais le lien avec la Wallifornie ? « Ce sont des gens qui ont un rêve, veulent vivre leur rêve et qui vont se débrouiller pour le mettre en place. Ce n’est pas quelque chose de géographique d’être wallifornien dans ce que j’imaginais. C’est pour ça que je leur demande s’ils veulent bien être ambassadeurs. Ça leur parle. En général ils comprennent. »

« Les annonceurs sont très contents, même s’ils trouvent ça parfois trop underground. Là je comprends pas parce qu’au contraire c’est hyper mainstream. » Du mainstream saupoudré d’underground, pour être exact. Des morceaux de culture alternative au milieu du dernier mobilier de la marque « Superflu, lifestyle, design, store », mais pas de politique, c’est pas le lieu. Pourtant, dans ta tête, la Wallifornie c’est le délire d’une Silicon Valley à la wallonne, l’histoire de la
reconversion sur fond de plan Marshall 2.vert ou 4.0 (on ne sait plus, ça change tout le temps). « C’est un peu touchy. Et on n’a pas encore trouvé la personne qui va me raconter une histoire qui ne soit ni quelque chose de factuel, ni professoral, je cherche un mec entre Hunter S. Thompson et Frédéric Lordon qui pourrait me raconter le redéploiement de la Wallonie, pourquoi ça a foiré, qu’il raconterait ça de manière subjective et avec de l’intelligence derrière. C’est un énorme boulot. D’un autre côté, je ne vois pas l’intérêt de faire de la grande enquête dans un média où il y a un tiers de pub. Est-ce que même ce serait crédible ? Ce n’est pas l’endroit pour le faire. Même avec un énorme tirage, c’est pas pour ça que t’es lu. NOW restera culturel. Pour mon lectorat, c’est déjà hyper underground. Si t’as déjà été à la Zone voir une expo ou un concert, non, mais pour eux, je les amène sur une autre planète. C’est ça mon combat avec le NOW, j’ai pas d’autres prétentions. »

En refermant le magazine, qui finira sûrement dans les toilettes de la coloc, tu te dis que Cédric Renwa, c’est un peu un hacker de Sudpresse en détournant la fonction publicitaire pour en faire un objet culturel. Seulement trois publications jusque-là, une quatrième en septembre, le magazine doit encore se tester pour arriver à trouver une cohérence éditoriale. Cédric le sait : il n’est pas encore arrivé à ce qu’il voudrait. Il continuera de bidouiller avec les moyens du bord, tant qu’il le pourra.

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