Les LapinEs

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Transformer la désolation et le syndrome du ratage – un truc qu’on connaît bien dans nos contrées – en saynètes désopilantes, ce n’est pas donné à tout le monde. Serait-ce un peu une spécialité du cru?

«Les Lapines » sont le résultat du travail tricéphale d’Agathe Bouvet, de Florelle Naneix et de Cécile Maidon. D’origine française, elles sont d’adoption wallifornienne depuis une dizaine d’années. C’est dans le cadre de leurs études au Conservatoire de Liège que leur projet est mis en place. Cette petite forme théâtrale muette d’une durée d’environ vingt-cinq minutes a ensuite été développée en vidéo, avec une série de petites capsules. Leur intention est toutefois de revenir à une forme théâtrale, plus longue cette fois.

À la base de leur travail, il y a leur trajectoire biographique, qui s’ancre dans une atmosphère générale de désolation. « Nous avons toutes les trois passé notre adolescence dans des endroits paumés en France,  mais les Lapines sont aussi des Liégeoises qui boivent de la Jupiler, vont dans des bars pourris et regardent le monde défiler devant elles » raconte Cécile.

« Nous mettons en scène trois figures de nanas. Une qui en a marre de vivre et qui essaye tout le temps de se suicider. Une qui voudrait être autre chose que ce qu’elle est parce qu’elle en a assez d’être elle-même. Et une autre qui n’en peut plus d’être seule et qui est obnubilée par l’idée de se trouver un mec et d’être aimée. » Chaque situation de leur quotidien mène à un ratage en beauté, même quand elles tentent de toucher le fond. Des figures de nénettes en décalage constant mais involontaire par rapport à des codes mainstream qui mettent en avant une féminité à la fois lumineuse, maternelle, sexy, winneuse, avec un poil de fragilité. « Ces nanas ont dur dans leur vie, elles ne sont pas très belles et sont quelquefois totalement à côté de la plaque. Elles ne sont pas aidées par leur entourage et ne se soutiennent pas non plus entre elles. »

Ben non, ça marche pas !

« Nous voulions créer de superbes héroïnes looseuses qui, malgré tout, manifestent une certaine force dans leur fragilité et leur solitude. Elles sont vivantes. Elles restent debout face à un monde qui les écrase. Quand tu sors des cadres, quand tu es décalé, la société te met sur les bords. À partir de là, comment tu vas arriver à vivre, à t’assumer ? Elles n’y arrivent pas encore, les Lapines. Elles cherchent. »

À partir de leurs propres angoisses et de ces modèles idylliques (de couple, de famille, de carrière…) clé sur porte qu’on nous sert à toutes les sauces, elles posent un constat lucide : ça ne fonctionne pas. Pas comme ça. « En même temps », explique Cécile, « tu vois que ça ne marche pas, mais tu essayes quand même à chaque fois. Ce n’est pas un projet hautement politique, c’est à notre échelle, mais il a en tout cas une portée sociologique. »

Des Lapines ?

« Notre humour est fortement inspiré de la BD. On a utilisé un animal qui, dans la BD, est généralement mignon ou sexy, pour en faire des personnages qui ne sont pour le coup ni mignonnes, ni sexy. Plutôt des lapines looseuses et dépressives. En plus, nous nous sentons proches des lapin-e-s qui errent sur la bande de terre de l’autoroute qui mène Charleroi. Un vrai HLM de lapin-e-s. Ou encore de celles du tarmac de Zaventem… Tu te dis : “mais quelle vie de merde pour un lapin. Ils se prennent dans la tronche des réacteurs de Ryanair toute la journée”. Et nous, on se reconnaît dans ces lapin-e-s-là et dans leur existence. Bloqué-e-s sur une petite bande d’herbe. »

Le trio oscille entre humour, absurde et cynisme : « Ces personnages dépassées par la vie, sans amis, sans amoureux et sans boulot sont chez elles, à attendre que quelque chose se passe. »

LapinEs !

« Les femmes auteures ne sont pas suffisamment mises en valeur. Et elles sont trop peu nombreuses ! On a cette volonté de se faire entendre en tant que nanas. Et
puis c’est intéressant, en tant que comédienne, d’incarner un personnage féminin qui n’est pas dans la  séduction. D’être là, avec les mammelles qui pendent et une tête de six pieds de long. C’est assez jouissif d’arriver à toucher les gens à travers des looseuses carrément pas sexy. C’est con, mais déjà ça, c’est un acte presque politique : ne pas vouloir être une bombasse sur scène. » Dans la même perspective, le choix du muet n’est pas fortuit : « Non seulement cela renforce une forme de théâtralité humoristique, mais, aussi, ça évoque ces figures encore trop banalisées de nanas qui ne parlent pas, qui ne savent pas communiquer, incapables de s’exprimer. »

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