Goldo des visages, des figures

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Entre l’imaginaire scintillant, festif, un poil décadent, toujours désirant, qui émerge de ses myriades de portraits de genTEs et de « people », et la routine onirique, séduisante, hypnotique, qui se dégage des paysages déliquescents et en devenir des alentours d’Angleur, Goldo fait la nique à la consternation ambiante et aux postures d’affliction qui font trop souvent courber l’échine de la Wallonie.

À Liège, tout le monde ou presque connaît Goldo. Appareil photo en bandoulière, clope au bec, il arpente infatigablement les scènes culturelles et festives de la Cité Ardente depuis environ dix ans.

Mais qui le connaît vraiment ?

Pas moi, en tout cas…

Par hasard, il se trouve qu’on habite à deux rues l’un de l’autre, à Angleur, dans ce quartier près du canal qu’il a pris depuis quelques temps l’habitude de photographier de son balcon.

Il m’a donné rendez-vous au Petit Vaudrée. À ne pas confondre avec le Grand Vaudrée, qui se trouve dans la même rue, au coin opposé.

Un peu stressée, je démarre à pied de chez moi juste à temps pour être à l’heure. Lors de nos échanges sur Messenger, il avait mentionné le fait qu’au Petit Vaudrée, on pouvait s’installer en terrasse pour fumer des clopes, ce qui m’arrangeait bien. Mais quand j’arrive, les chaises sont empilées et attachées, et le serveur me fait comprendre que ça va pas être possible. Mince ! Je commande un verre, sors mon carnet et mon dictaphone, et j’attends. Lorsque je reçois un message minimal de sa part :  « ? » Je refais le tour du bistro et l’appelle… « Je suis là », je lui dis. Et en le disant, je capte tout de suite… Me suis évidemment trompée de Vaudrée !

Je paie, me dépêche de rejoindre l’autre bout de la rue. Il est là, en terrasse, devant un chocolat chaud, son gros appareil posé devant lui.

Le démarrage a des ratés… Moi, un peu tendue. Je lui avoue. « Toi stressée, et moi timide, ça va être épique ! » me lance-t-il, amusé. Je me sens tout de suite mieux. J’allume mon dictaphone. On attaque…

Une bonne vieille Gauloise

Goldo, de son vrai nom Dominique Houcmant, est un vrai Liégeois. Né à la Clinique Sainte-Rosalie, il a passé son enfance et son adolescence à Tilff, avant de s’installer en ville vers vingt ans. Après des études d’humanités artistiques à Saint-Luc, il commence la peinture, qu’il interrompt à cause d’un différend avec le corps professoral. Il enchaîne quelques boulots : il anime des ateliers pour enfants à La Préalle, à Herstal, dessine des silex et recolle des pots gallo-romains pour une asbl d’archéologie de l’Ulg, participe à une école de devoirs à Saint-Gilles… Pendant ce temps, il suit des cours de graphisme à Saint-Luc qu’il complète avec un module de six mois à STE formations au Val Benoît. Il s’inscrit à l’UCM et lance une activité de graphiste indépendant. Quand l’employé de l’UCM lui demande le nom de sa boîte, il n’avait pas anticipé… Ses potes du club de basket l’appelaient Goldorak, et il a un faible pour les Gauloises. Il répond à l’employée  : ben, disons Goldo !

En coulisse

Il y a une dizaine d’années, dans un de ces moments où la vie est un peu sombre, un peu cassé par une relation difficile, il ressent le besoin de booster sa créativité. C’est là qu’il tombe sur un appareil photo… « Je n’avais jamais pratiqué la photo, mais mes deux frères et mon père sont photographes. J’ai toujours baigné dans cet univers. J’ai grandi au milieu de piles de revues de photos et m’en suis nourri. J’adorais l’imagerie cinéma des années 50-60, quand on pouvait encore aisément photographier les acteurs en coulisse. C’est ce que les gens aiment dans ce genre de photos : les petits à côté, genre Richard Burton en Vespa sur le tournage d’un film, ou un acteur qui tire deux coups sur une clope entre deux prises… Aujourd’hui, ça devient carrément impossible, même en musique  d’ailleurs. Les agents refusent, c’est dur
de négocier…. »

Etre sur la photo

Après une première série de photos où, déjà, il excelle à capturer cette étincelle qui transforme l’anodin et le quotidien en scènes vibrantes, il commence à fréquenter la Soundstation et canarde ses potes, puis les artistes, le public, tout le monde… Collectionneur acharné pendant des années – «  j’ai arrêté, me confie-t-il, parce que j’ai plus de place, j’ai trop de brolls, et puis j’ai pas assez de thunes… » –, il semble transposer ce goût pour la série, la multiplication, l’accumulation, dans sa pratique artistique. Des centaines, des milliers de visages en rafale occupent ses disques durs et… sa tête. « Je me retrouve parfois un peu piégé par ce que j’ai installé » me dit-il. Aujourd’hui, plein de gens veulent être pris en photo par Goldo… Figurer sur ses albums, c’est un peu le quart d’heure de célébrité de Warhol. Sur Facebook, les Liégeois-es font défiler les portraits et se cherchent. Figurer dans les séries des « autres », comme il les nomme, c’est faire partie d’une communauté joyeuse,  vivante, une espèce de grande famille tendrement incestueuse peuplant les nuits les rues les zincs les scènes les coins de table, des cortèges du Carnaval du Nord aux backstages des Ardentes, du Manège Fonck au défilé de la Matî l’Ohé. Tout un peuple, sublimé par un regard qui, comme le lui disait quelqu’un voici peu, a cette faculté un peu magique de « rendre les gens beaux », sans effets faciles, toujours avec  bienveillance. « Cette beauté est là, je ne fais que la capturer avec mon objectif » précise-t-il. N’empêche, tout ça engendre une sacrée pression : «  ‘ai envie de faire plaisir aux gens, j’ai envie qu’ils soient contents, mais c’est impossible de photographier tout le monde. Et puis, quand quelqu’un me demande de le prendre en photo, il faut encore trouver le bon moment, sans qu’il s’en aperçoive, que ça reste spontané, et si le résultat est moche, alors je dois réussir à recroiser la personne plus tard… Bref, tu vois un peu le truc.. »

Le peuple de Liège

Au final, ces milliers de portraits constituent une sacrée fresque sociologique. « Une fresque inexploitée », constate-t-il. « Ces centaines et ces centaines de photos sont sur Facebook et puis c’est fini. Ce serait bien de pouvoir en faire un bouquin ou une expo, mais avec toutes les questions de droit à l’image, c’est carrément mission impossible ! »

Non qu’il minimise l’importance de Facebook  dans son travail. Au contraire. Il est bien conscient de ce que ce réseau social, pour critiqué et critiquable qu’il soit, lui a permis. « J’accumulais des tas de portraits sur mon ordi et les gens me disaient : “Goldo, on voit jamais tes photos”… Du coup, Facebook, pour moi, c’était nickel. Ça ne m’empêche pas de me questionner sur les dérives du truc mais ça reste un super outil. »

Cette méga-fresque 2.0 nous donne à voir une ville un peu « idyllique » (sic), jamais sordide, toujours en mouvement. « Ça me plait de montrer ce que les gens font. Toute la misère du monde et tout ça, c’est pas mon créneau. Je suis sur un registre tendre et poétique, avec parfois, quand ça se met, une note d’humour, un petit commentaire en regard de la photo, par exemple. Savoir que je peux faire sourire trois, quatre cents personnes une minute sur la journée, quand il pleut et que tout le monde est boulot, je trouve ça gratifiant… » Goldo ne se prive pas pour autant, parfois,  d’images qui racontent une réalité plus grave. Mais il le fait sans misérabilisme. Quand il photographie des Roms, on découvre des visages d’une grande beauté, des regards et des expressions sublimes. Il se questionne tout haut  : « Est-ce que c’est bien pour eux, l’image que j’en renvoie ? Je sais pas. L’image du gamin sur la plage, par exemple, moi je l’aurais pas faite. Je ne dis pas qu’il ne fallait pas la faire, mais ça ne correspond pas à mon type de travail. »

Un balcon

Pour faire un peu le ménage dans son crâne peuplé de mille et un visages, parce qu’il avait
besoin d’une bulle d’oxygène et de créativité, Goldo a commencé il y a quelques temps à photographier des paysages. Pas n’importe quels paysages. Celui qu’on découvre depuis son balcon. Il a pris l’habitude de s’y poster à intervalles réguliers, sous le soleil ou sous la neige, au petit matin ou au crépuscule. « Je les ai publiées sur Facebook, et j’ai été assez surpris de l’adhésion des gens. Quand je n’avais plus rien posté depuis plusieurs jours, certains m’envoyaient des messages en disant qu’ils attendaient les vues de mon balcon… Je crois que c’est une belle image de notre ville. On voit un peu tout Liège. On descend des bois du Sart-Tilman pour arriver sur un fond industriel, Ougrée, le haut-fourneau, on aperçoit le Mémorial de Cointe, et maintenant, comme j’ai un peu changé mon axe et me suis penché davantage, on voit même la Tour des Finances. Plein de Liégeois qui vivent à l’étranger m’envoient des messages. Je suis une sorte de relais avec leur ville, ils voient le temps qu’il fait… Ils suivent Liège, via moi. »

Et dans les mois qui viennent, de quoi a donc envie Goldo ? « Le temps me manque cruellement, mais je ressens un besoin impérieux de respiration. De touches de couleur aussi… Moi qui ne travaillait que le noir et blanc, je commence à introduire la couleur, même  dans mes portraits. J’ai envie de m’extirper un peu de cette foule permanente. De marcher seul, dans le silence… »

Son blog
http ://cliketclak.skynetblogs.be

Son profil Facebook
https ://www.facebook.com/goldophoto

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