Faut pas comparer

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Ce matin a lieu la septième épreuve du challenge jogging de la province de Liège. Je me réveille de bonne heure, j’aime me préparer correctement quand je participe à une course. Je sors de mon lit et je ressens une sensation de vide intérieur, une sorte de boule au ventre. Pourtant, je ne suis pas stressé. Et puis il y a ce mal de tête abominable qui me fait souffrir le martyr, comme si j’avais pris une cuite hier. Pourtant, je n’ai pas fait la fête. Je me remets un peu les idées en place… catastrophe ! Dans un flash, je revois tout : le match, le manque d’envie, le score final, la débâcle… En ce matin d’octobre, nous, Standard de Liège, sommes lanterne rouge du championnat de première division belge. Ça fait soixante-quatre ans que ça ne s’est plus produit et croyez-moi, ça fait mal.

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J’ai le coeur qui saigne, mais je me prépare pour ma course malgré tout. Et puis, qu’importe le classement : on n’abandonne pas ses couleurs ! J’enfile donc fièrement ma vareuse du Standard. Mais aujourd’hui, c’est jour de deuil, donc je porterai la noire. Et si le photographe se trouve sur la ligne d’arrivée comme c’est souvent le cas, j’embrasserai l’écusson ! Quand on est rouche, c’est pour la vie : dans la joie comme dans la peine. De toute façon, j’ai l’habitude de me faire charrier à propos des performances du Standard. Ceux qui ne s’intéressent guère au foot aiment bien me rappeler le résultat d’un match les lendemains de défaite. Je prends souvent ça à la rigolade, je ne vais quand même pas me fâcher à chaque fois qu’on perd ! Mais aujourd’hui, pas question de blague. Je ne suis pas d’humeur à rire.

Les non-initiés trouveront peut-être cela dur à comprendre, mais j’aime ce club. Le foot et plus particulièrement le Standard, ce n’est pas juste vingt-deux gars qui courent après un ballon sur une pelouse. C’est tellement plus, beaucoup plus. Ça agit comme un virus dont on ne guérit pas, un virus qui nous fait muter et qui finit par faire partie de notre identité, de notre ADN. Alors, quand bien même on devrait en arriver à descendre en division 2, je continuerais à suivre les rouches partout. C’est cette mentalité qu’il manque aux joueurs à l’heure actuelle : ils évoluent tous dans des clubs sans connaître leur histoire, leurs valeurs. Certes, je peux comprendre que tous n’ont pas une grande histoire, un grand passé (regardez Charleroi par exemple), mais ce n’est pas une raison pour ne pas respecter la vareuse, où que l’on joue : du top européen à la dernière division amateur.

Trop de footballeurs pro aujourd’hui ne comprennent pas, ne veulent pas comprendre que derrière l’engouement des supporters, il y a une passion, un blason. À la première occasion, le dernier des joueurs arrivé embrasse le blason sans vraiment mesurer ce que ce geste devrait signifier. Qu’il considère le club comme un simple employeur, c’est une chose, mais une fois qu’on joue avec les sentiments, là, on passe un cap. Pour le supporter le plus assidu, le foot ne dure pas que nonante minutes une fois par semaine. Ça se vit tous les jours, au quotidien, quand il va au boulot ou à l’école, quand il paie ses factures ou allume la télévision, quand il fait ses courses ou le ménage. C’est quotidien, permanent. Et le blason, ce n’est pas juste un morceau de tissu, c’est le résumé de l’histoire du club et de la ferveur qu’il suscite, c’est un signe de ralliement, d’appartenance à une communauté. Voilà ce que la plupart des joueurs ne parviennent pas à saisir…

Je rumine toutes ces considérations en prenant mon déjeuner quand à la radio, ils annoncent que pendant que nous nous faisions humilier hier soir, les mauves, eux, ont gagné. Et le sort s’acharne. Qu’Anderlecht gagne, ça m’importe peu : je supporte mon club et je ne vis pas en espérant la défaite des autres, même quand il s’agit de l’ennemi juré. Non, c’est pas ça le problème ; le problème c’est qu’ils ont obtenu la victoire sur pénalty, eux qui sont nuls des 11 mètres, les pires tireurs d’Europe. Et qui croyez-vous qui l’a converti ce péno ? Je vous le donne dans le mille ! Oui, vous l’avez deviné, c’est lui, l’homme qui, entre le Terril et la Meuse, incarne désormais la traîtrise dans tout ce qu’elle a d’insupportable : Steven Defour, le plus perfide de tous les renégats !

Ce gars-là personnifie parfaitement le plus inacceptable des manques de respect du blason. Ce roi des judas, il se disait rouche : « Aller à Anderlecht ? Impossible ! Je ne faisais qu’un avec les supporters du Standard. J’ai trop grandi avec ce club pour rejoindre Anderlecht… » Ce sont ses mots ! Les mots du capitaine de l’équipe qui a ramené le titre à Sclessin après vingt-cinq ans de disette, les mots de celui dont on chantait la gloire comme on chante celle des héros… quand ce n’était qu’un imposteur prêt à se vautrer dans la plus scandaleuse des félonies. Et pourquoi, je vous le demande ? Pour quelques euros de plus ! En nous fourguant tout son charabia sur l’attachement au maillot et l’amour qu’il portait aux supporters, le mec faisait juste son petit job de VRP en aspirateur ou en vin du terroir. C’est juste que lui, il vend des vareuses, des droits télé et des abonnements en tribune. Pour ce genre de bonimenteurs, ceux qu’on voit dans les westerns et qui vendent des produits miracles qui guérissent tous les maux, le rapport entre le discours et les actes, c’est juste une option.

Naturellement, Defour, l’apostat, n’a pas inventé la traîtrise suprême, celle qui consiste à enfiler une vareuse mauve après avoir porté les glorieuses couleurs rouches. Il y a notamment Jovanovic qui a, lui aussi, fait le doublé en 2008 et 2009. Ce gars-là, sans le Standard, aujourd’hui il vendrait des pommes sur le marché, quelque part en Serbie. Et croyez-moi, je connais le métier, je peux vous dire qu’il serait sans doute mauvais dans ce registre aussi. Quand on l’a récupéré, il était totalement à la dérive, il avait joué trois matchs en deux ans. Le Standard lui a donné une chance qu’il ne pouvait même plus espérer. Et là, le mec, il devient champion, il remporte les titres de footballeur pro de l’année et puis un soulier d’or ; il joue même un mondial avec son pays et signe un super contrat à Liverpool. Tout ça, grâce à la main qu’on lui a tendue quand il était au fond du trou. Et lui, qu’est-ce qu’il fait quand ça ne marche pas pour lui en Angleterre ? Il passe tout simplement chez notre ennemi juré et il n’hésite pas à cracher son venin sur les rouches, en toute occasion ! Alors que ce club a sauvé sa carrière !

C’est ça qu’on peut attendre d’un joueur de foot ? On doit estimer normal qu’un gars comme Van Damme lâche de grandes déclarations d’amour éternel : « je voulais rester toute ma vie à Anderlecht » et puis devienne un « vrai » rouche ? Et là, je ne vous parle que de l’axe mauves VS rouches, mais croyez-moi, des traîtres, dans un championnat, on en trouve des paquets : Jelle Vossen qui passe de Genk à Brugge pendant que De Sutter, lui, réussit à passer du Cercle au Club de Bruges via Anderlecht. Ah oui, Tchité, lui, c’est le sommet : le plus grand mercenaire du foot belge, le premier à avoir joué pour les trois grands clubs du pays. Dans l’ordre, il a a fait : Standard-Anderlecht-Standard-Brugge. Ce gars-là a même essayé d’inventer les transferts entre équipes nationales 1 !

Non, faut arrêter ! Trop de joueurs ne respectent plus les supporters. Parmi ceux-ci, certains sont dupes et se laissent berner par leurs sornettes, d’autres, comme moi, refusent de tomber dans le panneau et n’acceptent pas cette situation. Il faudrait les avaler, les couleuvres ? Il faudrait oublier que Jonathan Legear a dit « sinon Anderlecht, ce serait top » avant d’arriver chez nous ? Non, non et encore non : c’est inadmissible. Moi, je ne chante jamais son nom. Pourtant, on trouve encore plein de gens pour tenter de justifier ça et ne pas vouloir comprendre que l’amour que l’on peut porter au club est en quelque sorte trahi par cette bande organisée d’hypocrites. À quelques exceptions près, le foot d’aujourd’hui ne saurait avoir sur le coeur qu’un tatouage de billet vert avec son -S doublement barré. À chaque mercato, c’est la même affaire, faut se farcir ceux qui te ressortent cette vieille rengaine : « tu sais, si toi qui travailles chez Carrefour, Delhaize venait te chercher et te proposait le double de ton salaire, tu quitterais directement ton boulot non ? Hé bien pour le foot, c’est pareil ».

Et bien non, c’est pas pareil, justement ! Ça ne devrait pas l’être, précisément ! D’abord parce que premièrement, Delhaize ne recrute pas en faisant du scouting dans les rayons de ses concurrents pour observer les performances de tel responsable du rayon conserves ou de tel préposé fruits et légumes. Deuxièmement, quand je sors de mon vestiaire, il n’y a pas trente mille personnes qui m’acclament et scandent mon nom. Troisièmement, cela ne fait tressaillir personne que je finisse de décharger ma palette dans un temps record. J’ai bien eu une petite dame qui était toute heureuse que je lui ramène des concombres mais ça ne vaut pas un stade bouillant criant : tous ensemble, tous ensemble, hey hey ! ça ne le vaudra jamais. Et enfin, quatrièmement, aucun client ne s’identifie à moi ni ne paie exclusivement pour me voir (enfin, je crois).

Alors une bonne fois pour toutes : NON ! Ce n’est pas la même chose et oui le club peut être, d’une certaine manière, considéré comme une entreprise. Mais un supporter, ce n’est pas un client, il est là par amour, pas par nécessité.

Notes:

  1. ndlr : Mèmè Tchité est né au Burundi d’un père congolais et d’une mère rwandaise. En 2008, il obtient la nationalité belge et est sélectionné par le coach des diables rouges. Mais la FIFA lui interdit de porter les couleurs de la Belgique : selon elle, il a déjà joué pour le Burundi (en junior) et aurait signé un contrat avec la fédération rwandaise, or la FIFA ne reconnaît qu’un seul changement de nationalité (et uniquement pour les licencié-es n’ayant jamais été appelé-es en équipe A pour un match officiel). Défendu par le célèbre Maître Misson (celui de l’arrêt Bosman), Mèmè Tchité prétendra, sans succès, que le contrat rwandais était un faux.

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Sommaire n°228 été 2016