Dans la capitale, en la galerie de Jean Marchetti, 81, rue de l’Hôtel des monnaies, vous avez jusqu’au 11 juillet pour allez vous esbaudir face aux sublimes dessins de Glen Baxter. J’ai eu l’honneur de préfacer cette exposition. Je m’en suis tiré de la sorte : On (pronom indéfini malhonnête) eut bien tort de croire que ces breneux bouviers de cowboys étaient des êtres aussi frustes que malodorants, habiles au lasso certes, capables de mater un taureau écumant, de dompter un bronco hargneux ou de ficeler les pattes d’un veau affolé, mais suffisamment bas de plafond pour que leur entendement s’avère à mille miles de l’accès à quelque illumination quelque peu transcendantale. On (pronom indéfini battant sa coulpe) le reconnaît avec humilité après en avoir appris davantage sur leurs goûts esthétiques, auxquels sont inextricablement liés des aversions tout autant injustifiées. On ne la leur fait pas aux gars de la prairie ! Ronald Reagan, qui joua jadis à l’être, lorsqu’il ne disputait pas la vedette avec un chimpanzé nommé Bonzo, n’a d’ailleurs pas craint d’affirmer qu’il n’y avait rien de meilleur pour un homme que d’être assis sur un cheval. S’il avait connu l’adresse avec laquelle l’un qui, debout sur la selle de sa monture, peut installer avec maestria aux cimaises des bichromies gigantesquement lourdes, et de sens et tout court, sans doute eût-il nuancé son propos. Et qu’aurait-il pensé, si seulement lui-même avait pu entraver quoi que ce soit à l’Art avec un grand A ou même à celui avec un petit, s’il avait vu un autre partager avec son fidèle canasson un goût immodéré pour les petits maîtres hollandais ? Non, les héros du Far West n’appréciaient pas seulement le whisky, le sirloin steak bleu ou les bagarres de saloon. Ils faisaient preuve d’un goût exquis, la preuve en étant qu’un gratin de tofu en guise de plat du jour avait le don de les agiter voire de les mécontenter à l’envi. À l’instar des tigres, ils ne manifestent guère d’intérêt pour le végétarisme, ce en quoi nous pouvons les comprendre. À l’évidence, le Colonel Baxter n’ignore rien de tout cela, lui qui, à l’instar d’un boy-scout perspicace pourrait dégoter l’édition originale, au demeurant plutôt rare, d’Une histoire du crochet en Belgique (1827-1923) sournoisement dissimulée au sein d’une impressionnante collection d’ouvrages pornographiques. En sus, il s’est forgé au fil du temps une opinion toute personnelle sur le surréalisme, belge ou non, son caractère bien trempé l’incitant à la peaufiner sans cesse. Aussi, est-il infiniment regrettable que le vernissage de sa prochaine exposition dans la capitale risque fort d’être étrangement dépeuplé car l’Office national de Météorologie prédit pour ce jour-là la quasi disparition de Bruxelles sous un épais nuage de pellicules indésirables, rendant bien difficile l’accès au Salon d’Art. Mais comme on n’ignore pas que les horoscopes sont plus souvent exacts que les prévisions du temps, on fera mine de n’avoir rien entendu et nous nous y marcherons sans nul doute mutuellement sur les pieds en tentant désespérément d’apercevoir l’un ou l’autre de ses dessins décoiffants.
Pour rester dans le peu ordinaire, plongez-vous donc dans Cassius Clay surpris et peiné par la mort de Malcolm X, de Jean COLLETTE (L’âge d’homme, collection « La petite Belgique »). Déjà rien que le titre vaut le détour (trouvé tel quel sous une photo fort émouvante parue dans La Meuse – La Lanterne). L’action se déroule en octobre 1970, à Vervieux, fleuron de la Wallonie profonde, où le plus que
modeste comédien provincial Hubert Hubert va, en l’espace de quelques jours, passer de l’obscurité à la gloire. Son pote Georges Leclavet et la maîtresse de celui-ci, l’acide Louise Verdier, dite Pilou, vont être les témoins privilégiés et tragiques de cette irrésistible autant qu’involontaire ascension. Tout cela tortueusement préparé par un génial cinéaste suisse « pré-post-moderne » qui va, depuis Paris, pour de tristes raisons matrimoniales, enfiévrer de façon meurtrière leur innocence. C’est difficilement racontable mais, faites-moi confiance c’est assez poilant. L’auteur, dont c’est le premier roman, est oulipien sans l’être. En effet, les treize chapitres ont chacun pour titre celui d’un film célèbre, les épigraphes sont piqués aux dialogues de La Règle du jeu de Jean Renoir et Pilou et Hubert Hubert interprètent quelque part les dialogues d’Hôtel du Nord. Mais ce qu’il y a de plus farce, c’est d’avoir appelé à son secours 141 confrères (à raison d’une phrase par page à peu près), dont on trouve la liste en fin de volume. Contrairement à votre serviteur, qui ai livré le trousseau de clefs de mes emprunts à la suite des Nègres du Kilimandjaro, Collette se borne à énumérer leurs noms, laissant au lecteur le soin d’identifier leurs mots. Ça part de Germaine Acremant pour aboutir à Qiu Xiaolong, en passant par André Blavier, François Caradec, Lewis Carroll, Sally Mara, Jean-Bernard Pouy, Sa feue Magnificence le Docteur Sandomir ou encore Jacques Sternberg, pour n’en citer vraiment que quelques-uns. Pour certains, ça saute aux yeux, mais pour d’autres, cela tient tout bonnement de l’impossible, faut-il le préciser. Bref, une dinguerie plus que sympathique qui s’achève en apothéose par d’effroyables carnages ferroviaires. Les rationalistes s’abstiendront également de lire Et que l’ongle soit réincarné ! , de John P. BARRYWELL (au Cactus inébranlable), traduit par Jean-Paul Verstraeten, ainsi que Boris Vian le fit pour Vernon Sullivan, un délire de science-fiction flirtant avec l’absurde et la dérision, « la plus incroyable aventure du Département Ambivalent Casuistique se déroulant entre le sixième étage de la tour du Midi-midi et demi et la quatrième dimension ». Ça ne se raconte pas non plus, le contraire eût dû vous étonner… « Qu’est l’homme face à son destin ? Surtout si c’est un destin grêle ? » J’ai l’honneur de connaître le traducteur, qui, pendant de nombreuses années, fut gardien de phare dans une mine de bifidus actif au Kamtchatka, ce qui lui permettait de s’adonner à l’écriture. Mais ce n’est pas tout : « Musicien autochtone, il composa plusieurs pièces majeures pour triangle isocèle, quelques pièces mineures pour triangle quelconque et fit une transcription exotique de Pavane pour l’Infante défunte pour triangle des Bermudes. Sportif invertébré (spécialisé dans le saut de puce et la chasse à l’escargot), il devint champion toutes catégories du cracher de bigorneau aux Jeux olympiques de plage de Concarneau en 1983 et ce à force de persévérance malgré une luxure au championnat de cracher de noyaux à Agen. » Quant à l’auteur, né à Wolverhampton dans le Staffordshire en 1958, à présent retiré aux îles Bikini, y mouillant toujours son maillot en nous faisant partager ses histoires fécondes, il fut contraint à pratiquer nombre de petits métiers pour subsister avant de, comme l’autruche, enfin vivre de sa plume : technicien de surface, videur de bouteilles, tailleur de craies dans une mine de calcaire ou foreur de trous dans une serrurerie. « Comme bon nombre d’écrivains qu’il avait lus, il consomma énormément d’absinthe, non pas coupée d’eau car, issu d’une famille catholique, il ne buvait que de l’absinthe vierge. »
Et puis voici que « l’indispensable Tristan-Edern VAQUETTE » (que je ne
connaissais ni d’Éva ni d’Adolf, ni de Dave ni du côté de chez Swann, comme aurait dit Phil), me gratifie (sur les conseils de mon ami Noël Godin) d’un envoi comprenant un fort étonnant CD, Crevez tous (1er massacre) et d’un livre, Je ne suis pas Charlie, je suis Vaquette. Il vous est loisible d’entendre La conjuration de la peur en tapant https://youtube.com/watch?v=mU0QjOF5xUo, ce qui vous donnera une idée. Sur You Tube, vous pouvez aussi voir ce phénomène s’exprimant sur divers plateaux télé. Son bouquin « écrit à la fourchette » comme l’a défini Jean-Marie, auquel je l’ai prêté avant de le lire moi-même, est assez édifiant. Pour moitié brûlot éructé sur l’énergie de l’énervement parce que « tout dans cette histoire est mensonge, bêtise et manipulation », « hystérie collective, de celles qui font assassiner Jaurès et partir à la guerre la fleur au fusil ». Mais pour moitié aussi, texte de réflexion qui, à contre-courant des apparences désignées par la plupart, tente de montrer que les grandes manifestations du 11 janvier 2015 sont avant tout le symptôme d’une fracture sociale profonde, d’un apartheid (pour reprendre les termes de deux responsables politiques français) quand la liberté d’expression bien sûr, mais aussi « le terrorisme d’évidence et par-delà la religion musulmane ne sont, dans un camp comme dans l’autre, que des prétextes ». Extrait : « N’importe qui qui connaît a minima le sujet vous affirmera sans doute aucun qu’aujourd’hui pas un seul des Charlie Hebdo ou des Hara Kiri de l’époque ne pourrait paraître, écrasé qu’il serait par les procès des professionnels de la bonne conscience : un gosse avec les yeux crevés à la une du journal (accompagné de ce titre mythique : Éducation, faut-il être sévère ?), eh hop !, protection de l’enfance !, 10.000 euros d’amende ; un propos injurieux envers les femmes ou un dessin les représentant dans une position dégradante comme le veut l’élément de langage très tendance ces temps-ci (il n’y avait que ça !, plongez-vous-y puisque vous êtes tellement Charlie), eh hop !, les Chiennes de garde ou une de leurs nombreuses sœurs de sang !, 10.000 euros d’amende ; un Pédé ! ou un Enculé ! qui traînent, eh hop !, le lobby gay à la charge !, 10.000 euros d’amende ; une page poésie (tout était possible à l’époque, alors pourquoi pas ça ? ), disons, parfaitement au hasard bien sûr, Apollinaire, « C’était un Juif, il sentait l’ail », eh hop !, là on prend cher parce que les avocats de la Licra, ce ne sont pas des rigolos, les mecs, on va dire 50.000 euros d’amende, et tiens !, soyons fous !, un mois ou deux de prison ferme, là aussi tout est possible ; quant aux insultes à l’armée ou à la police dont était truffé chaque numéro, en cherchant bien, il est certain qu’on pourrait qualifier ça d’apologie du terrorisme, non ? Après tout, on en a condamné récemment pour moins que ça…, allez ! Le gouvernement est de gauche tout de même, on va juste dire vingt-cinq heures de travail d’intérêt général en caserne (et aucun coup de fouet : la France est une grande nation démocratique qui respecte les droits de l’homme). Bref, si j’ai bien compris finalement, être Charlie, c’est être Philippe Val : utiliser cyniquement une marque rebelle en la vidant de toute sa substance. C’est se la jouer provo mais en prenant bien garde d’être consensuel, de défendre la police et l’armée, d’interdire tout humour de mauvais goût, d’applaudir aux lois répressives et d’appeler à la guerre et au contrôle social. Ouf alors !, tout est cohérent (et j’y tiens beaucoup, moi, à ma cohérence, autant qu’à mes principes : il se trouve que les deux s’entendent fort bien ensemble – j’aimerais tant que tous ceux qui se sont exprimés sur le sujet puissent en dire autant) : je comprends mieux maintenant pourquoi je ne suis pas Charlie… » Il a des couilles ce type !
Les pataphysiciens ont pu découvrir, dans le n°3 du Publicateur, L’impromptu (torride) du Kremlin, du Transcendant Satrape et Modérateur Amovible Fernando ARRABAL. Les autres pourront prendre connaissance de ce texte allumé, relatant la rencontre entre
Joseph Staline, le vigoureux bienfaiteur des peuples, et Ludwig Wittgenstein, le rigoureux chasseur de rhinocéros, qui se serait située à Moscou en 1935 de l’ère vulgaire, en commandant l’édition originale à petit nombre au Collège, 51 A, rue du Volga F 75020 Paris. Et puis, ne ratez pas Salami, de Gérard OBERLÉ, illustré par d’assez splendides photographies de Hans Gissinger (Actes Sud / Le Rouergue). Cet excellent libraire de livres anciens, par ailleurs auteur de romans noirs pour le moins baroques, de somptueuses bibliographies culinaires ou œnologiques qui font autorité, spécialiste des fous littéraires (c’est lui qui dressa l’inventaire de la bibliothèque de Raymond Queneau), ex-bourlingueur aux allures d’ogre retiré dans le Morvan, est un amateur de bonne chère et de cochonnailles en particulier. Alsacien d’origine, ce « fils de prolos », mais éduqué chez les Pères dans une pension helvétique plutôt chicos, grâce à un oncle jésuite, se souvient qu’à la réception d’un colis de saucissons, il eut droit aux sarcasmes de ses snobinards de camarades : « Ça m’a beaucoup marqué à l’époque, cette différence sociale qui passait également par la nourriture. » Le salami comme political statement ? L’engagement du libertaire ne va peut-être pas si loin. Même si sa détestation de toutes formes de hiérarchie s’est confirmée par la suite : « Je n’ai jamais voulu travailler pour quelqu’un ni avoir quelqu’un à ma botte. » Alors, le salami, juste symbole d’une liberté et d’une jouissance oubliées en ces temps de chair triste où on n’a lu que très peu de livres. Il fait ici l’éloge du porc dûment haché, séché, ficelé, à travers réminiscences et anecdotes, tout aussi drolatiques qu’érudites. C’est aussi une manière d’« enquête gastronomico-ethnologique » qui nous mène jusqu’en Italie avec recherche d’un poème du XVIIIème siècle, la Salameide, de Frizzi, le « Virgile du salami », sans oublier un repérage de quelques bonnes adresses. Ad majorem salami gloriam donc. Car le salami n’est pas ce qu’on croit, cette vulgaire saucisse perfidement grasse et d’un rose pas très catholique. Non, c’est tout simplement le pluriel de salame, « saucisson » en italien, lequel « saucisson », ou « saulcisson » en françois, ainsi qu’en tâtait Rabelais, vient de salsiccione, « grosse saucisse » dans la langue de Dante, dérivé de salsiccia, du bas latin salsicia qui vient à son tour de salsus, salé, sel. Et de sel Gérard Oberlé n’en manque certes point dans cet ouvrage consacré à la chose. C’est bien simple, je laisse là ma prose et cours m’en acheter quelques tranches, que je dégusterai avec délectation.
André STAS, R.