Ceci n’est pas un western

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Le western, genre narratif consacré, a aussi réussi à s’imposer comme un jeu presque incontournable. Allez, venez, on va jouer aux cowboys et aux Indiens – moi, je serai Sitting Bull et toi, Pierre-Edouard, tu feras Custer. Cataclop, cataclop, direction les massifs dans le fond du parc, qui serviront de tipi où on ira préparer les flèches en vue de la bataille de Little Big Horn (sur Amblève). Un truc suffisamment sérieux pour qu’on ne puisse pas en faire l’impasse ici. Et comment aborder cette question sans aller rencontrer ceux qui ont fait de ce cadre ludique-là une véritable œuvre, cinématographique et télévisuelle. Rencontre avec Stéphane Aubier et Vincent Patar, réalisateurs de Panique au Village.

Le repère des deux comparses et de leur bande se trouve actuellement sur le bord du canal, à une encablure de la Gare du Nord. Le World Trade Center donne vaguement au coin un côté « ruée vers l’or noir ». Mais les studios se planquent ici plutôt par hasard : d’anciens locaux de la Poste, appartenant à une compagnie d’assurance, attendent leur démolition ; du coup, les lieux sont mis à la disposition d’artistes et d’équipes de production culturelle. Stéphane Aubier descend nous chercher, on l’attend devant la grille. Dans les couloirs, on croise des étudiants d’une école d’art venus préparer leur projet de fin d’étude : le bâtiment est multi-fonctionnel et il vient juste d’être rénové ! Les ateliers de Panique au Village se situent dans les anciennes cuisines de la cafétéria.

Là, juste en-dessous des hottes qui aspiraient les odeurs de friture il y a encore quelques mois, une poignée de personnes construit les décors et assemble les personnages qui composeront le prochain 20 minutes mettant en scène les aventures de Cowboy et d’Indien. Et comme toujours, évidemment, ce ne sera pas un western. Pas que Stéphane Aubier et Vincent Patar n’accordent aucune importance au genre – « Le Bon, la Brute et le Truand, quand même c’est un sacré film ! Et d’ailleurs, peut-être bien que la voix de Cheval pourrait voir emprunter quelque chose à celle d’Elie Wallach. » Juste que Panique au Village raconte autre chose.

Contrairement aux idées reçues, Cowboy et Indien ne viennent pas du Far West où ils n’ont jamais mis les pieds. Il ont vécu dans une caisse à jouets qui a été rangée dans un grenier puis sortie à l’occasion d’une brocante de quartier. « Pour nous, ce ne sont pas du tout des caractères américains. Ce sont des gens qui ne sont même pas déguisés, ils sont nés Cowboy et Indien, c’est le destin. Moi, je fais du 42… Ils sont nés comme ça ! On ne sait pas où, puis à un moment ils se sont retrouvés dans une maison avec un cheval. Steven était déjà dans le film que j’avais fait à la Cambre. Jeannine aussi. » Et tous ces personnages naissent à partir d’une stratégie de production précise, retournée en style.

À la base, il y a la recherche d’une économie de moyens – parce qu’elle donne des garanties, des marges de manœuvres plus importantes pour travailler la narration, les situations. « À la Cambre, Stéphane avait fait un film qui s’appelait déjà Panique au Village. Mais dedans, il n’y avait que les personnages de la ferme. On y trouvait des petits mouvements, des possibilités de faire des cycles de marche et il jouait déjà avec le fermier comme on joue aujourd’hui avec Cowboy et Indien. Il n’y avait qu’une seule figurine et il se servait d’une petite boule de plasticine pour la faire avancer ou parler. Vincent Tavier, qui est producteur, a pensé qu’on tenait là une bonne technique pour une série TV. Notamment parce que ça coûte moins cher que l’animation traditionnelle. Et c’est à ce moment-là qu’on a dû se chercher des histoires (et des personnages). Et comme on l’a déjà dit, ce qu’on trouvait le plus facilement, un peu partout, c’était des cowboys et des Indiens. Puis des chevaux aussi. »

Aujourd’hui, l’infrastructure a évolué, mais pas fondamentalement. Récemment, la prod’ a fait du crowdsourcing pour récupérer des
cochons – on peut voir le résultat de cet appel sous forme de petites figurines toutes roses, alignées par dizaines sur une étagère dans le fond de l’atelier. Un membre de l’équipe est occupé à les saucissonner pour les recomposer ensuite selon les besoins de l’action. Recombiner ce qu’on trouve pour lui faire raconter autre chose. « Lundi, Vincent Tavier est revenu avec ce trésor ! (Stéphane Aubier saisit un sac en plastique blanc plein de petits animaux de ferme en plastique). Il l’a trouvé dans une brocante pour 5 euros le tout. Une bonne affaire. » C’est ça, la matière première. Comment on la travaille ? Les deux compères saisissent une vache, posée sur un bureau (elle est couchée, on dirait une figurine pour crèche). « Des chevaux dans cette position, on n’en trouve pas, ça n’existe pas. Il va donc nous suffire de lui couper la tête pour y mettre à la place celle de Cheval. Et on pourra l’avoir en train de lire son journal, couché dans le divan ! Ce sera parfait : on l’aurait moulée nous-mêmes, on n’aurait jamais obtenu autant d’expressivité. »

Certains personnage proviennent d’un travail de reconstruction, d’autres sont dessinés puis produits, notamment via des imprimantes 3D. Peu importe, le plan reste le même : travailler à partir des figurines imposées, celles avec lesquelles les enfants composent pour jouer. Et leur faire vivre des situations pour lesquelles ils n’ont pas été conçus – sinon quel intérêt ? Voilà pourquoi Cowboy et Indien ne se retrouvent jamais dans un western. Ce sont plutôt deux aventuriers improbables du quotidien qui vivent de rocambolesques péripéties dans une campagne, quelque part en Fédération Wallonie-Bruxelles (ça doit se trouver là, vu l’accent des protagonistes et les tartines que Steven, le fermier, demande toujours à son épouse, Jeannine, de lui faire). « On fait justement de ces personnages mythiques des personnages de tous les jours. On les dégonfle. On garde juste la carapace. »

Dans le prochain épisode, un 20 minutes qui devrait sortir en 2016, « Cowboy et Indien se réveillent et projettent de partir en vacances, mais Cheval leur rappelle qu’aujourd’hui, c’est la rentrée des classes ! Ils vont donc à l’école et là, ils se retrouvent avec un devoir pour lequel ils doivent trouver la distance exacte en centimètres entre la terre et la lune. Et ils sont en concurrence avec les animaux de la ferme voisine. Il faut toujours les mettre dans un état de stress pas possible… »

« Contrairement aux idées reçues, Cowboy et Indien ne viennent pas du Far West où ils n’ont jamais mis les pieds. Il ont vécu dans une caisse à jouets qui a été rangée dans un grenier puis sortie à l’occasion d’une brocante de quartier. »

Une fois qu’on les a mis dans cette situation-là, on peut leur faire confiance : s’il y a une chose qu’ils garantissent, ce sont les catastrophes. Comme cette fois où Cowboy dépose une tasse sur le clavier de l’ordi alors qu’Indien est en train d’acheter ce dont ils ont besoin pour fabriquer le barbecue qu’ils comptent offrir à Cheval pour son anniversaire. Résultat, quelques zéros ajoutés au nombre de briques commandées, des embouteillages sur le chemin du hameau dûs au nombre de camions nécessaires à honorer la commande, et un invraisemblable amas de matériaux devant leur maison.

Où va-t-on chercher une histoire pareille ? Dans la réalité, il suffit d’être attentif : « À l’origine, c’est une histoire vraie. À l’endroit où on travaille d’habitude, ils avaient prévu une rénovation et la personne qui s’occupait du chantier a commis une erreur au niveau de la commande de moellons dont ils avaient besoin. Ils s’en sont rendu compte quand ils ont vu arriver un semi-remorque… » Après, il nous faut reconnaître à Cowboy et Indien une exceptionnelle capacité à chercher midi à quatorze heures : « Ils auraient pu acheter un barbecue dans un magasin de bricolage, mais ce n’est pas leur genre. »

Cowboy et Indien, c’est aussi un certain rapport à la technologie. Des gadgets aux effets incertains ou des manipulations qui ont
pour principale ligne directrice une maladresse presque patentée. « C’est notre côté James Bond, surtout celui des épisodes avec Sean Connery. Il y a là un truc vraiment marrant, on trouve toujours des supers méchants qui veulent devenir les maîtres du monde et qui, pour y arriver, construisent des plans à partir de technologies de la mort et t’as envie de leur dire : “Mais arrêtez les gars, de toute façon vous allez vous faire démolir !” Et puis, tu te demandes comment ils trouvent le pognon pour construire tout ça, déjà ? Où ont-ils recruté tous ces gars hyper sérieux qui ne disent jamais rien ? Pourquoi les habillent-ils toujours en noir, avec des pulls à col roulé en lycra ? Et comment ont-ils fait pour creuser la grotte en-dessous de l’île où ils ont fourré leur planque ? Surtout qu’en plus, visiblement, elle est câblée avec le continent au large duquel elle se trouve. Ils sont marrants ces gars, avec leur talkie-walkie et tout et tout : au final, tu te rends compte que leur plan est absurde, qu’il est juste complètement con et que ça ne pouvait pas marcher. »

Quand celui de Panique au Village, justement, consiste à tout miser sur l’hypothèse inverse : limiter l’infrastructure, resserrer l’équipe (pour les cols roulés en lycra et les talkie-walkies, on laissera une marge de tolérance). « Oui, et on peut donner un aspect technologique avec deux bouts de cartons et trois épingles. C’est ça qui est amusant. Parce qu’on sait qu’il faut qu’on surprenne. Donc, si Cowboy et Indien participent à une course de vélo et qu’ils doivent tricher, par exemple, au lieu de jeter des punaises pour crever les pneus de leurs adversaires, on va leur faire utiliser un satellite avec un laser pour qu’ils parviennent à leurs fins. On leur fait toujours prendre un chemin énorme pour arriver à une solution débile. »

Et, pendant que vous rirez à gorge déployée, demandez-vous si vous n’avez jamais vécu une situation pareille – ce sera encore plus marrant !

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