Médias sous assistance respiratoire

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Le secteur des médias vit une importante mutation : la presse quotidienne s’achète de moins en moins, les pratiques changent peu à peu, la télévision se regarde sur internet et la radio s’écoute en streaming ou en podcast. Cette profonde mutation, les médias de Belgique francophone la vivent sous perfusion, les pouvoirs publics continuant de les alimenter via des subsides. Devoir moral, service d’utilité publique ou permanence d’une époque révolue, les deniers semblent toujours aller aux plus gros poissons.

L’érosion de la presse papier est lente mais sûre : aujourd’hui, plus aucun titre belge francophone n’est vendu à plus de 100.000 exemplaires. Pour éviter que tout le secteur ne se casse la figure, les aides à la presse ont été réformées en 2004, par décret de la Fédération Wallonie-Bruxelles (à l’époque, Communauté française). Les montants alors fixés s’élevaient à 6,2 million d’euros, pour ce qu’on appelle des « aides directes », variant selon le taux d’indexation, et atteignent aujourd’hui les 9,2 millions. Mais ne bénéficie pas de ces soutiens qui veut : les aides étant rigoureusement accordées selon des critères comme les accords collectifs sectoriels pour les journalistes, la publication hebdomadaire, ou une diffusion payante au cours de l’année précédente. Autant le dire tout de suite : les aides directes à la presse ne sont réservées qu’aux diffuseurs de quotidiens, c’est-à-dire aux imposantes structures des médias « mainstream », déjà en place sur le marché depuis des années.

img14À côté des aides directes, il existe des « aides indirectes » à la presse. D’abord, toute une série versée aux groupes industriels (à nouveau), rangée sous la catégorie des « aides aux éditeurs ». À titre d’exemple, la Région wallonne, par la signature du ministre wallon de l’Économie de l’époque, Serge Kubla, aida à financer les imprimeries Rossel en 2004. Ici, difficile de calculer les coûts sur un an, car l’amortissement s’étale sur plusieurs années. Lors de son nouveau contrat de gestion en 2005, La Poste accorde également un tarif réduit spécifique aux quotidiens, ce qui reviendrait à 120 millions d’euros d’économie par an.

Un autre type d’aide a toutefois été créé, cette fois non plus pour les grands médias papier, mais pour les journaux de taille plus réduite : les aides indirectes à la presse périodique d’opinion. Concrètement, il s’agit d’une enveloppe fermée à disposition de certains titres comme la revue Politique ou Imagine demain le monde. Les critères d’obtention 1, notamment le tirage, excluent les périodiques du type Le Vif/L’Express, Trends Tendance ou Le Soir Magazine. Ces derniers ne sont donc pas directement subventionnés. Le choix de ne soutenir que la presse quotidienne au détriment de la périodique au niveau national s’explique, ou se justifie, par des législations européennes. La Commission estime en effet que les quotidiens francophones ne sont pas affectés par les mécanismes d’échange intracommunautaires : un Belge achète Le Soir et non Le Monde. L’Europe considère
par contre les périodiques comme substituables par des titres des pays voisins. Et considère dès lors comme une concurrence déloyale leur soutien par l’Etat. Dans la vision fantasmée du marché unifié européen, un Espagnol qui entre chez un libraire hésite donc toujours entre acheter un périodique allemand ou un magazine slovène… Du côté du cabinet Marcourt en charge des médias, on travaille toujours sur les questions d’aide à la presse périodique, même si le système d’enveloppe fermée pose problème : « Lorsqu’un nouvel acteur émerge sur le marché et est éligible pour les percevoir, cela entraîne une diminution des aides disponibles pour l’ensemble des opérateurs répondant aux critères. » La solution d’une enveloppe modulable en fonction des besoins du secteur n’est pour l’instant pas à l’ordre du jour.C4_aides_presse2

Les télévisions locales elles aussi en difficulté

L’audiovisuel fait aussi partie des secteurs médiatiques bénéficiant d’aides d’État, qu’il s’agisse d’un financement direct par dotation (RTBF) ou de subventions (télévisions locales). Ces dernières (RTC, NoTV, Télé Bruxelles ou MaTélé) sont au nombre de douze et sont subsidiées à 65,7% en moyenne par de l’argent public, soit un total d’environ 21,5 millions d’euros (rapport CSA 2012). Les aides sont de plusieurs ordres : subsides de fonctionnement, aides des pouvoirs locaux, aides au secteur non-marchand de la FWB. En dehors des recettes publicitaires, les réseaux de distribution que sont Voo et Belgacom versent également une redevance aux télévisions locales (à hauteur de 11,14% en 2012). La redevance obligatoire est fixée à un minimum de 2,33 euros par abonné. Au-delà, les variations peuvent être importantes puisque certaines chaînes peuvent percevoir jusqu’à 5 euros par abonné. Les télés locales avancent entre autres la démultiplication des supports (smartphones, tablettes) de diffusion pour fréquemment réclamer une augmentation de cette tarification. Elles marchent toutefois sur des œufs. Dans ce bras de fer déséquilibré, les distributeurs ont un avantage de taille : ces derniers déterminent si une chaîne locale intègre leur « bouquet » et à quelle place.

Même si l’audience totale de ces télés augmente (de 1,3 millions à 2 millions de personnes par jour en 2010), la Fédération des télés locales met le doigt sur cette situation précaire en avançant trois arguments en plus de l’absence d’augmentation de la contribution des distributeurs : transition numérique trop coûteuse, non-respect du dernier plan de financement de la FWB et politiques d’emploi pas suffisamment subsidiées.img16

Solution face à ces problèmes de financement : des synergies, comme dans la presse écrite. Depuis quelques années, les télévisions locales sont encouragées à favoriser des collaborations avec la RTBF. Dans un rapport nommé « États Généraux des médias d’information », les experts de la FWB indiquaient déjà que : « La multiplication des acteurs publics dans le secteur audiovisuel, si elle est source d’enrichissement culturel et garantit une diversification éditoriale intéressante, représente également un facteur de dépenses concurrentes qu’il convient de mieux canaliser et d’encadrer. » On estime visiblement, du côté de la Fédération Wallonie-Bruxelles, que des fonds sont dilapidés, ou du moins mal gérés, dans la multitude des petites télévisions locales. Le dernier contrat de gestion de la RTBF préconise en tout cas à sa page 18 « le développement d’un portail internet d’information régionale commun (ainsi que) des
synergies et des regroupements de leurs moyens de production et d’information au sein de rédactions et de locaux communs ». Le portail vivreici.be a effectivement été lancé le 14 janvier dernier.

Il est bon de rappeler que le poids lourd de la télévision publique francophone, de plus en plus en situation de « duopôle » avec RTL, et financé à hauteur de centaines de millions d’euros chaque année, emploie de moins en moins de personnel, notamment en raison du non-remplacement des départs à la retraite. Les télés locales, quant à elles, ne voient pas le bout d’un vrai plan de refinancement, austérité oblige. Le seul remède proposé : les synergies, sous couvert d’objectifs affichés de mutualisation des moyens de production.

Que ce soit dans les secteurs de la presse ou de l’audiovisuel, gorger de subsides les plus grandes structures en leur accordant parfois de réels avantages sur le plan concurrentiel peut poser question, mais permet toutefois de maintenir des emplois et un secteur à flot. Cependant, l’absence de véritables mécanismes de soutien aux nombreux acteurs plus modestes induit un risque de perte de diversité et d’affaiblissement financier de ces plus petites structures ainsi que des initiatives débutantes ou des médias émergents.

Pour aller plus loin :
Le site du CRISP sur le l’actionnariat des entreprises wallonnes : actionnariatwallon.be
Le site du CSA : csa.be
Le site du Centre d’Information sur les Médias : cim.be
Le site de la Banque Nationale de Belgique
(comptes annuels) : nbb.be

Notes:

  1.  Les critères pour avoir droit à ces aides sont les suivants : être une entreprise de presse indépendante d’un groupe, avoir une politique de transparence sur l’identité de l’asbl et de l’éditeur responsable, disposer d’un contenu écrit en langue française, faire la promotion des valeurs démocratiques et consacrées à des informations et analyses, faire appliquer le code de principes de journalisme à l’instar des quotidiens, être vendu dans au moins 20 points de vente entre 1000 et 40.000 exemplaires par an, être diffusé régulièrement et ne pas bénéficier de plus de 20% du chiffre d’affaire en recettes brutes provenant de la publicité.

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