une formation = un statut

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Les accueillant-e-s extra-scolaire, qu’on connaît mieux sous le nom de gardiennes – ou gardiens, mais c’est plus rare – s’occupent des enfants le matin, à midi et après 15h30. Au total, certains d’entre eux peuvent passer jusqu’à cinq heures par jour sous leur responsabilité. Ce travail à horaire hyper-flexible ne correspond à aucun statut véritable alors qu’il joue un rôle fondamental dans l’emploi du temps de bien des familles. La Ville de Liège emploie environ six-cents personnes pour l’effectuer, majoritairement des femmes. Nous sommes allés à la rencontre de trois d’entre elles.

img4«Je m’appelle Marianne, j’ai cinquante ans. Ça fait trente et un ans que je travaille dans la même école. Je fais les garderies de midi et de l’après-midi après 15h30. J’ai une formation de puéricultrice mais, à défaut de boulot, j’ai été m’inscrire dans le service garderie. » Lorsqu’elle a eu ses enfants, elle s’est dit que l’horaire (y compris les vacances), calqué sur celui des enfants, lui convenait bien.

Madame Fatima vient d’Algérie, elle est arrivée en Belgique il y a sept ans. Son diplôme d’infirmière n’a hélas pas d’équivalence chez nous. Elle ne se voyait pas refaire quatre ans d’études. « J’ai quand même cinquante-six ans ! » En 2010, elle suit une formation d’« auxiliaire de la petite enfance » d’une durée de six mois. Un trimestre d’attente plus tard, elle commence à travailler comme gardienne. Pour l’instant, elle fait uniquement des remplacements. Son planning implique une certaine mobilité : « Le matin, c’est de 7h00 à 8h15. À midi, je change d’école, et à 15h30, je retourne dans la même école que le matin jusqu’à 18h00. »

En Juin 2013, Madame Anne a décroché son diplôme d’institutrice maternelle. Ne trouvant pas de travail correspondant à sa formation, elle postule comme gardienne dans les écoles de la Ville de Liège. Elle commence en mai 2014. Aujourd’hui, à 24 ans elle fait juste les temps de midi. « Je n’ai pas vraiment choisi ce travail et j’espère un jour avoir ma classe. » Cet emploi lui permet d’avoir un pied dedans, car elle peut garder le contact avec les enfants, connaître les institutrices-teurs et côtoyer les directions.

Quel rôle occupent les gardiennes ?

« À midi, on organise et on surveille le repas, on les emmène aux toilettes… L’après-midi, on leur propose des activités, des jeux, du coloriage, ou alors ils jouent dans la cour ; parfois, on regarde la télé, ou on prépare un dessert… Et on attend que les parents viennent au compte-goutte rechercher leurs enfants », raconte Madame Marianne. Elles prêtent également main forte aux enseignants lors des excursions. Elles s’impliquent aussi lors des fêtes organisées par l’école. Madame Anne, quant à elle, fait pas mal d’heures sup’ et sort du cadre de sa fonction : « Comme je suis institutrice maternelle de formation, les enseignantes me demandent souvent de les accompagner aux excursions ou de rester ici en-dehors des heures de garderie pour les aider, un peu comme une assistante maternelle. » Évidemment, ces heures prestées ne sont pas payées… Et d’ajouter : « On fait toutes partie d’une équipe, autant les institutrices que la femme d’ouvrage. C’est familial ici, sans doute parce que c’est une petite structure. »

De la flexibilité… mais pas de statut

Ces trois gardiennes sont engagées par la ville de Liège avec un contrat à durée déterminée de dix mois chaque année. Elles n’ont pas de véritable statut. Madame Marianne : « Depuis trente-et-un ans, je suis réengagée chaque année du 1er septembre au 30 juin. Pendant les deux mois de vacances d’été, je touche des allocations de
chômage et durant les petites vacances [ndlr : on parle ici des congés scolaire tels que les vacances d’hiver, de carnaval ou de printemps], je ne suis payée ni par la ville, ni par le chômage. » Il y a vingt ans, son complément de chômage lui a été retiré, car avec son mari à temps plein, ils dépassent le plafond. Avec 21 heures prestées par semaine, son emploi est donc considéré comme un mi-temps. Jusqu’à présent, l’Onem ne l’a pas contrôlée. « J’attends de voir ce qui va se passer maintenant avec les nouvelles mesures. »

Madame Fatima, elle, n’entre pas dans les conditions pour bénéficier des allocations de chômage. Pendant les vacances, elle ne perçoit aucun revenu. Madame Anne habite chez ses parents et a droit au chômage : elle touche un complément car son salaire n’atteint pas la somme qu’elle percevrait si elle restait demandeuse d’emploi. Elle n’a subi aucune pression de l’Onem pour l’instant mais elle est consciente que cela ne saurait tarder : « Je sais bien que ça va arriver un jour si je n’ai que les temps de midi, car ce n’est que cinq heures par semaine. »

À la précarité inhérente à l’absence d’un statut adéquat vient s’ajouter la flexibilité des horaires (dits aussi « horaires coupés »). Madame Marianne en témoigne : « Ce qui m’embête, c’est le “coupé”… aller, venir, repartir, revenir… » Madame Fatima, elle, travaille quotidiennement dans deux établissements différents : « Je dois prendre deux bus pour arriver le matin à 6h55 à l’école, où je reste jusqu’à 8h15. Ensuite, je rentre chez moi. Et pour 12h20, je dois être dans l’autre école. Je retourne ensuite chez moi rentre chez moi, je fais ma prière, et je reviens ici vers 15h30, jusqu’à 18h00. » Le temps nécessaire à Madame Anne pour arriver sur son lieu de travail équivaut à celui qu’elle preste « officiellement » : tous les jours, pour une heure de travail, elle en passe une dans le bus.

Six-cents gardien-ne-s pour les écoles de la Ville de Liège

Gwenaëlle Laureys est coordinatrice

« accueil-temps-libre  » de la Ville de Liège qui emploie donc environ six-cents personnes en tant qu’accueillant-e extra-scolaire. Elle détaille le parcours professionnel « classique » d’une gardienne : « Elles entrent dans la fonction en commençant par le temps de midi ; c’est la période qui nécessite le plus de personnel puisque tous les enfants restent à l’école, contrairement au matin et au soir. Une fois qu’elles acquièrent de l’ancienneté, elles ont accès aux autres périodes. »

Pour être gardienne, il faut introduire sa candidature auprès de la Ville de Liège. S’ensuit un entretien d’embauche.

Paradoxalement, à ce personnel pourtant en charge de jeunes enfants jusqu’à cinq heures par jour, il n’est préalablement demandé aucune formation spécifique. La coordinatrice acquiesce : « En effet, il n’y a pas de formation pré-requise pour travailler dans les garderies scolaires ; toutefois, dans le cadre du programme de coordination d’accueil de l’enfance dont je m’occupe, à partir du moment où l’école entre dans une réflexion sur la qualité de l’accueil de l’enfance, elle bénéficie de subventions subordonnées à l’obligation de suivre des formations. Mais cela ne concerne que les écoles qui adhèrent à ce programme, qu’elles dépendent de la Ville ou du réseau libre. »

Sur le territoire de la Ville de Liège, tous réseaux confondus, les écoles adhérant à ce programme ne sont qu’une petite vingtaine,  pour un total d’environ quatre-vingts établissements.

Ce constat est interpellant. Si on en croit les différents décrets scolaires, le développement global, l’épanouissement et le bien-être de l’enfant devraient primer. Or, comme on peut le voir ici, en ce qui concerne l’accueil extra-scolaire, on ne met guère de moyens en œuvre en termes de statut du personnel ou de formation. Cela nous renvoie à une vieille « pensée » selon laquelle, pour s’occuper d’enfants, il n’y aurait pas besoin de se former. Ce serait « naturel » et « 
féminin ».

Des tentatives de formations ont cependant été mises en place par la Ville de Liège. Gwenaëlle Laureys explique : « Des années durant, la ville a proposé une série de petites formations d’environ  quarante heures, impliquant une partie théorique et une partie pratique, et débouchant sur une valorisation salariale. » Une fois l’unique valorisation salariale empochée, il n’y avait plus d’incitants financiers à poursuivre et toute une série de personnes ont évidemment arrêté de suivre des formations. Celles-ci n’étaient, par ailleurs, pas adaptées à tout le monde. Un problème qui peut s’expliquer par les parcours hétérogènes des accueillant-e-s. La coordinatrice précise : « Il y a des personnes qui ne savent ni lire ni écrire le français, elles savent seulement le parler. Ces personnes ont besoin, avant toute autre formation, de cours d’alphabétisation. Cela dit, maintenant, on refuse comme accueillant-e-s les personnes qui ne savent pas s’exprimer oralement en français – je ne parle pas de lire ou écrire. »

Rappelons, au passage, que l’accueil en-dehors des heures scolaires prévoit aussi l’accompagnement des enfants dans les devoirs.

Ce manque de pré-requis formatifs pose également une autre question : celle du statut. Gwenaëlle Laureys nous éclaire : « Les gardiennes n’ont pas de statut spécifique [ndlr : elles sont « prestataires »] parce qu’il n’y a pas de formation pour être accueillant-e. Elles ont un contrat à durée déterminée de dix mois renouvelable chaque année. Un accord avec les syndicats existe cependant, stipulant que les personnes qui sont là depuis plus longtemps sont reprises d’année en année. » Mais c’est un simple accord avec les syndicats, ce n’est pas un CDI. « Toutes les écoles communales – et beaucoup d’écoles du réseau libre – fonctionnent avec des CDD. Maintenant, il y a aussi beaucoup d’écoles libres de la ville de Liège qui fonctionnent aussi ainsi. » Il serait rare que des écoles de Liège rémunèrent des accueillant-e-s en ALE ou en titres-services, « mais ça peut arriver ».

Un turnover assez important est observé chez le personnel, et Gwenaëlle Laureys nous avoue que « la Ville a du mal à trouver des personnes qui peuvent assurer ce travail ». C’est un emploi on ne peut plus précaire et, vu les horaires et le salaire proposés, peu de gens sont intéressés. Les accueillant-e-s sont payé-e-s à l’heure et elles-ils peuvent faire un maximum de vingt-huit heures semaine. Seule une minorité de personnes parviennent à compléter leur horaire avec des heures de nettoyage – il n’y a de toute façon pas assez de place pour tout le monde. Ajoutons que ce CDD n’assure pas d’avenir radieux en termes de pension et n’octroie aucun espoir en matière de demande de crédit hypothécaire auprès d’un organisme bancaire, par exemple.

Autre source de soucis : si on est chômeur-se, occuper cet emploi ne dispense en rien de l’obligation d’en chercher un autre dans le cadre du plan d’activation. Et Gwenaëlle Laureys d’anticiper les problèmes : « Avec les nouvelles réformes du chômage et les personnes qui risquent de perdre leurs droits, on s’inquiète, en particulier pour les personnes qui font trop peu d’heures pour que ce soit considéré comme un emploi effectif. Sont spécialement visées celles qui font le temps de midi [cinq heures/semaine]. Ça va vraiment poser problème. Mais qu’adviendra-t-il de nos enfants si on ne permet pas aux gens d’exercer ce type d’emploi ? »

Valoriser le métier

L’appareil étatique, qui glorifie le CDI et le temps plein, sanctionne les personnes n’entrant pas dans ces canons. Il est en même temps (ici, dans le cadre du secteur public) producteur de ces nouvelles formes de travail, qui naissent avec les besoins demandés par une société en mutation. Autrefois, le « gardiennage des enfants » était réalisé soit par les grands-parents, soit par les « mères au foyer » ou encore directement par les instituteurs-trices. La situation n’est évidemment plus la même. Souvent, les
grands-parents sont loin ou travaillent encore. Les femmes, elles, sont présentes sur le marché du travail.

Le service d’accueil d’enfants se révèle donc aujourd’hui d’une importance cruciale dans la vie des familles. La Ville en a bien conscience et continue d’offrir gratuitement ce service sur le territoire liégeois, chose désormais rare en Fédération Wallonie-Bruxelles.

Outre la gratuité, il faudrait aussi penser à la qualité en prenant en compte la formation du personnel, d’autant que cette question est liée à l’absence de statut pour les travailleurs-euses du secteur. Reconnaître et valoriser ce métier responsabiliserait le personnel quant à l’importance de l’impact de leur travail sur le développement des enfants, et il ne serait plus considéré comme le maillon faible de nos écoles.

Légitimer leur rôle éducatif au sein de l’école favoriserait également un processus permettant d’affirmer et de revendiquer la nécessité de construire des statuts et des cadres adaptés aux mutations du travail et de la société. Des nouvelles formes d’emplois qu’il serait temps désormais de régulariser, plutôt que de les sanctionner.

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