Au rythme où l’information se bouscule dans les médias, les tueries de janvier à Paris (à la rédaction de Charlie Hebdo et à l’Hyper Casher de la porte de Vincennes) peuvent déjà sembler un peu lointaines. Nous avons vécu, en vitesse accélérée, plusieurs temps, et plusieurs modes de réaction. Les manifestations, d’abord, impressionnantes par leur ampleur et par leur dignité. Puis, le temps des « oui, mais… », parfois utiles (il est toujours bon de se poser, et de réfléchir), quelquefois stupides ou ambigus. Les enfonceurs de portes ouvertes ont ainsi cru bon de souligner que la majorité de ceux qui ont proclamé « Je suis Charlie » n’avaient jamais lu le journal, ou qu’ils en auraient désapprouvé le ton, la dérision, ou les outrances. C’était oublier à bon compte que les manifestants de janvier entendaient, tout simplement, réaffirmer deux valeurs très simples : la liberté d’expression, et la lutte contre l’antisémitisme.
Concernant la première, il est toujours utile de rappeler l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme, qui date, rappelons-le, de 1789 :
« La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. »
La liberté d’expression est donc encadrée par la loi. C’est devant les juges, et eux seuls, que l’on doit répondre des éventuels abus commis dans l’exercice de cette liberté. En ce qui concerne l’humour et la caricature, la jurisprudence consacre, par ailleurs, « le droit à l’excès, à l’irrespect et à l’outrance ». C’est ainsi que cela fonctionne. Point à la ligne.
Reste à réactiver, sans cesse, et en toute responsabilité, le débat politique sur les causes de l’obscurantisme, de la radicalisation fondamentaliste, de la discrimination. Sans se dispenser de poser la question : qu’est-ce qu’une société est en droit de faire pour mettre hors d’état de nuire, ici et maintenant, ceux qui bafouent ses libertés fondamentales ? Qu’est-ce qu’elle peut faire pour combattre ceux qui amènent de jeunes musulmans à penser, par exemple, que la Shoah est un complot juif ?
Et on terminera par une citation de l’une des victimes des tueries, le très regretté Bernard Maris (l’Oncle Bernard de Charlie Hebdo) : « Pourquoi la vie n’est-elle pas celle que nous rêvons, poétique, pacifiée, intelligente, argumentée et argumenteuse, spéculative, contradictoire, mais telle qu’aucune contradiction, aucune chamaillerie ne puisse au terme d’une belle discussion se dissoudre dans un verre de vin rouge et jamais dans une flaque de sang ? Aucun problème politique ne doit résister à un bon rire. Riez, amis, riez. » [lire en PDF]