Va te faire queer un œuf ! Contre/Bandes vu des coulisses

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Pendant tout le mois d’octobre 2014 à Liège, le festival Contre/Bandes a tenté d’explorer, à travers une myriade de lieux, de disciplines et de publics, le territoire complexe des genres. Membre du collectif éponyme, Mademoiselle Catherine nous livre ici sa vision subjective d’un projet né voici plus d’un an et qui a encore de belles prospectives devant lui.

Octobre 2013 : je reçois un e-mail d’Émilie, une lectrice de mon (désormais moribond) blog que j’ai croisée à plusieurs reprises dans la vraie vie. Elle me propose d’allier ma mauvaise foi légendaire et mon scepticisme à l’égard de certaines mouvances féministes à un projet qui lui tient à cœur, à savoir une semaine de sensibilisation aux questions de genres, sans se douter que cette semaine durera finalement tout un mois et au-delà…

Nous nous voyons peu de temps après pour en parler de vive voix, et son approche trouve instantanément écho en moi : aborder une thématique casse-gueule (tout du moins si l’on en croit nos voisins français en cette période post-Mariage Pour Tous) et peu exposée en région liégeoise. Le tout dans un esprit ludique, ouvert et bon enfant, sans prosélytisme, mais en allant à la rencontre de différents publics là où ils se trouvent.

Cette ligne éditoriale me séduit d’autant plus qu’elle est à l’opposé des méthodes adoptées par ces mouvements féministes qui m’agacent tant – ces féminismes institutionnalisés, sur-médiatisés, omniscients et donneurs de leçons qui, sous couvert de militantisme, adoptent des procédés qu’ils condamnent par ailleurs. Je déplore en effet – et mes propos n’engagent que moi – que bon nombre de féministes autoproclamées aiment à rester entre elles, prêchant des converti/es pour être bien sûres de se faire caresser dans le sens du poil, et voient souvent d’un très mauvais œil tout discours critique à l’égard de leur démarche. Pour avoir assisté et participé à l’organisation de plusieurs événements ouvertement féministes par le passé, je me suis bien souvent sentie exclue – pour ne pas dire franchement indésirable – de part le fait que je « n’en suis pas » (et je parle bien ici de ce qu’ont pu me faire ressentir certains membres du public et non mes collègues organisateurs/-trices).

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S’il n’est effectivement pas facile tous les jours d’appartenir au sexe dit « faible », je pense que nous vivons dans une société déshumanisée par l’esprit de compétition et la course au rendement qui rend difficile le fait d’être humain, tout simplement, à partir du moment où l’on a décidé d’être en accord avec soi-même. Cela a, à mon sens, davantage à voir avec nos sensibilités personnelles qu’avec l’état de notre entrejambe, et les généralisations de type « la femme est une proie facile » ou « l’homme est un barbare » m’ennuient profondément.

Tout ça pour dire que je me suis réjouie de cette invitation à sortir des querelles de clochers pour proposer des alternatives véritablement inclusives et fédératrices, invitant tou/te un/e chacun/e à apporter de l’eau au moulin des questions de genres de là où il/elle en est dans son action et sa réflexion.

Dans cet esprit de réseautage, Émilie a su s’entourer de personnes aux sensibilités diverses issues des milieux artistiques, socioculturels, militants ou universitaires (Aurélie, Christine, Julie, Nadine, Nat et moi-même), et nous nous réunissons bientôt en petit comité pour jeter les bases de ce que nous finirons par nommer « Contre/Bandes » suite à un brainstorming au cours duquel nous nous sommes senties telles des pirates pour détrousser les stéréotypes et kidnapper les idées reçues. Un leitmotiv qui
deviendra notre slogan et soufflera un vent frais dans les voiles de notre navire.

Ce test grandeur nature nous permet de nous assurer sur notre capacité à créer un environnement sécurisant pour faire cohabiter toutes sortes d’individus (hétéros, homos, intersexes, transgenres de tous âges et de tous horizons)

Janvier 2014 : consciente que le noyau dur ne se suffira pas à lui-même, notre petite troupe de « contrebandistes » s’en va à la rencontre de partenaires pour l’organisation d’un festival qui se tiendra au mois d’octobre. Sans le sou, nous nous rendons compte que le collectif ne pourra pas se positionner en programmateur d’événements, préférant ainsi laisser carte blanche à qui voudra se greffer sur le projet. Très vite, notre enthousiasme est partagé par plusieurs associations, artistes et collectifs, tandis que d’autres appels restent lettre morte. Qu’à cela ne tienne, la machine est lancée : les premières propositions affluent, et nous reprenons à notre compte la devise nationale selon laquelle L’union fait la force, quand bien même les pouvoirs publics semblent l’avoir oubliée depuis longtemps. Ou, comme le chantaient si bien Mireille Mathieu et Patrick Duffy, Together we’re strong. À moins que ce ne soit Plus on est de fous, plus on rit, car l’une de nos forces, c’est de prendre Contre/Bandes au sérieux en évitant de nous prendre nous-mêmes trop au sérieux, et nous apprenons à mesure que le projet avance avec l’aide, le conseil et le soutien précieux de nos partenaires.

Grâce à eux, l’agenda s’étoffe, explosant les seules limites du mois d’octobre, tandis que nous réfléchissons aux moyens de collecter des sous pour financer la communication du festival.

C’est ainsi que le collectif organise le 24 mai, veille des élections, un événement de soutien sous forme de « Préliminaires » au Cercle du Laveu où, du début de l’après-midi au lever du jour, une petite faune joyeusement bigarrée se donne rendez-vous pour participer à un atelier Drag King sous la houlette de l’association Genres Pluriels en parallèle d’un atelier-enfants chapeauté par les asbl PARI et D’une certaine Gaieté, visionner l’excellent documentaire Paris is Burning de Jennie Livingston, et danser sur les airs de Peggy Lee Cooper, Kalinka On Cloud et Adam Fearn jusqu’au bout de la nuit.

Ce test grandeur nature nous permet de nous assurer sur notre capacité à créer un environnement sécurisant pour faire cohabiter toutes sortes d’individus (hétéros, homos, intersexes, transgenres de tous âges et de tous horizons), rassembler des énergies positives et montrer que notre absence d’étiquette, plutôt qu’un frein, est en réalité une force.

Car nous en avons eu, des débats autour du militantisme au sein du collectif, nécessaire pour les un/es, accessoire, voire superflu pour les autres. Et à chaque fois, je me suis accrochée à notre neutralité, émettant régulièrement de profondes réserves quant aux manifestations très étiquetées (appelons-les ainsi) et le public qu’elles attirent. Je me serais sans doute désolidarisée de Contre/Bandes si j’y avais ressenti un quelconque esprit de clocher, car selon moi, la richesse du projet tient justement au fait qu’il regroupe des personnalités aux sensibilités très différentes, aussi m’était-il important qu’il reste neutre au maximum, ni particulièrement féministe ou LGBTQI friendly 1, mais simplement ouvert à tou/tes.

Je suis convaincue que cet esprit d’ouverture a largement contribué au succès de Contre/Bandes : sans étiquette ni ligne éditoriale stricte, chacun/e était invité/e à s’approprier le projet et à s’y faire une place, qu’il/elle soit déjà sensibilisé/e aux questions de genre ou non. Si quelques rares organismes ont répondu défavorablement à notre invitation, sous prétexte que, je cite, nos stratégies (…) ne sont pas tout à fait les mêmes (prétexte qui m’a laissée d’autant plus
dubitative que notre seule « stratégie » était de faire confiance à nos partenaires), d’autres, bien plus nombreux, ont suivi le mouvement avec une curiosité et un enthousiasme qui nous ont fait chaud au cœur et confortés dans l’idée que tout le monde peut bel et bien se sentir concerné par les questions de genre, pour peu qu’on lui en offre l’opportunité.

Octobre 2014 : le public, aussi joyeusement bigarré que lors de nos Préliminaires, nous donne raison en se rendant en masse aux événements organisés dans le cadre de ce premier festival Contre/Bandes (en plus de répondre favorablement à la campagne de crowdfunding lancée pour l’occasion – encore merci à nos bienfaiteurs/-trices d’amour). Pendant un mois, ateliers, projections, conférences et autres spectacles se succèdent (presque) quotidiennement ; une fréquence qui, plutôt que de lasser la foule, l’attire, l’accroche et l’interpelle par un étrange et salutaire phénomène de bouche-à-oreille. Dans la foulée, l’Institut pour l’Égalité des Femmes et des Hommes nous accorde son soutien, et les deux événements programmés à La Zone par notre collectif – une table d’hôte et la soirée de clôture – font le plein au-delà de nos espérances.

Notre vigilance à créer un cadre propice à la rencontre et à l’échange, dans la bienveillance, la bonne humeur et la curiosité s’est révélée efficace, et c’est heureux et infiniment reconnaissant que le collectif Contre/Bandes poursuit aujourd’hui sa vocation de sensibilisation aux thématiques du genre, de la norme et de la marge à travers une plate-forme de mise en réseau et un agenda recensant les événements en région liégeoise sur son site internet www.contrebandes.org.

Notes:

  1.  Acronyme de lesbiennes, gays, bisexuels, trans, queers,
    intersexes

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