Si vous ne comprenez rien au titre, c’est que le rose aux joues vous manque, et le bleu aux genoux aussi…
Non ! Braves gens qui manifestez le vent en poupe et les banderoles déroulées, les dictons pestiférants et les couleurs dictant… Non ! que ceci éclabousse bien vos jugements hâtifs – le rose n’est pas la couleur de la femme, comme le bleu n’est pas celle de l’homme. Souvenez-vous de vos plus belles balades au musée : c’était bien tout de bleu vêtue qu’elle était, la Vierge,
non ?
Et puisqu’on parle du pouvoir des images…
Je reviens en octobre : peut-être ne le saviez vous pas, mais tout le mois, il fut un Festival qui se mit à exister pour questionner. Il se nommait « Contre/Bandes », et incitait à débattre des genres, des sexes, des différences et des a priori. Un dimanche d’octobre, à La Diode, eut lieu un événement auquel j’eus la chance de participer : « Place aux femmes », organisé par Vidéographies.
Ce jour-là, des femmes y ont déboulé mais heureusement, pas qu’elles, des hommes aussi. Tous sont venus pour visionner des extraits issus de l’émission participative « A vous les studios » (RTBF), réalisée en 1978. En huit volets, elle réunissait huit femmes de divers milieux parlant de sujets tels que l’amour et le sexe, les enfants, le féminisme…
Qu’est-ce qu’on y trouve ? Un remue-méninge de questions.
Qu’est-ce que j’y vois ? Une société que je n’ai pas connue, qui partait en guerre pour préserver la justice.
Qu’est ce que je retiens ? Des phrases-perles de femmes diverses ; un temps donné à la parole fleuve, mais jamais ennuyeuse. Des remarques étonnantes de contemporanéité.
Femmes des années 70
Ecran large
La projection s’enclenche. Dix minutes trainent des images et des musiques mal à propos. Mais lorsque l’émission débute, me voilà happée. A la question « l’année de la Femme, qu’en pensez vous ? », Jeanne, militante, répond : « ça n’a servi à rien, et puis pourquoi l’année de LA femme, et non DES femmes, comme si c’était juste une image. »
A l’écran, voilà qu’elles se questionnent sur le choix et la responsabilité de faire un enfant ou pas, dans cette société. De l’évidente nécessité d’un avortement dans certains cas, plutôt que donner vie à un enfant à qui l’on ne peut pas offrir de grandir convenablement. Diversion personnelle : et dire que l’Espagne vient d’interdire l’IVG.
Ça dérive dans l’émission, Jeanne s’offusque devant une image de famille idyllique : elle n’aime pas trop ce « grand calme » dans lequel on aurait tendance à capitonner nos chérubins. A ces futurs êtres « vides et morts », elle oppose des enfants que l’on devrait baigner dans la vraie vie, pour en faire des militants.
Et puis cette femme de mineur atteinte de silicose, qui m’émeut lorsqu’elle parle de l’Amour dans le couple : « Quand t’es en train de penser à tes poumons, tu penses pas à l’amour. » Diversion personnelle : alors comment fait-on pour enfin y penser, à l’Amour ? Lorsqu’au-jourd’hui les drogues assomment, les usines désarçonnent, et les états emprisonnent ?
Femmes des années 2020
Travellings intérieurs
Avec Vidéographie, je me suis sensibilisée à la vigilance, et ce n’est pas la crainte qui m’étouffa, plutôt l’étouffement qui m’anima. Une phrase d’une militante disait : « le mouvement féministe remet plus que le capitalisme en question, il remet en question l’épreuve de l’autorité. » Lorsqu’une pause musicale vient ponctuer la soirée, en écoutant Brigitte Fontaine chanter « Patriarcat », ces phrases de Niki de St Phalle, artiste
féministe des années 70, me reviennent en tête : « Le communisme et le capitalisme ont échoué. Je pense que le temps est venu d’une nouvelle société Matriarcale. Vous croyez que les gens continueraient à mourir de faim si les femmes s’en mêlaient ? Ces femmes qui mettent au monde ont cette fonction de donner vie. Je ne peux m’empêcher de penser qu’elles pourraient faire un monde dans lequel je serais heureuse de vivre. »
Amas de femmes diodées.
La vie avec un grand M.
M comme Mama, ce personnage extraordinaire de féminisme de la pièce de théâtre de Coline Serreau. Dans Lapin Lapin, qui se bat avec grand fracas contre les coups de la vie, et tient tête aux douleurs. Je ne peux résister à l’envie de vous plonger un brin dans son monologue :
« A la maison j’irai plus tard quand ils auront fait le repas. Moi je danse maintenant.
(…) A vous les hommes, je dis pliez, devenez ronds, laissez la connaissance vous submerger, vautrez-vous dans l’herbe, n’agissez plus, restez assis, fermez les yeux pour écouter le bruit de la danse des protons dans les galaxies lointaines, devenez entendants, c’est-à-dire muets. Laissez renaître sur vos faces le sourire du poisson.
(…)A vous les femmes, je dis, par pitié pour les hommes, avouez-leur votre connaissance, pour qu’ils cessent de marcher à reculons et mettent enfin leur bateau dans le fleuve. Car vous savez beaucoup : comme eux vous avez été ce qui remplit le ventre, mais vous pouvez approcher la mort sans peur, car vous pouvez être remplies
(…) Femmes, celui qui ne veut pas voir qui vous êtes, combattez-le avec violence, femmes, que celles d’entre vous qui laissent encore les hommes faire leurs meurtres soient maudites et crèvent dans la poussière, car le monde qui est à l’ordre du jour ne pourra se faire sans vous. »
A force de regarder, d’écouter, et de lire les femmes, je m’interroge sur ce que signifie en être une ? Qui aime l’être ? Qui aurait voulu en être ? Qui est heureux de ne pas en être ?
C’est cette dernière question qui me trotte en tête, depuis que j’ai vu il y a peu une interview impromptue d’Albertine Meunier, une des vieilles femmes de l’atelier Hype(r)Olds. A la base, un chouette bazar de rendez-vous pour les plus de septante-sept ans, des femmes uniquement, qui se sensibilisent à la nouvelle technologie, internet principalement.
Dans ce cadre, elles avaient décidé de filmer les hommes qui passaient par la Gaîté Lyrique, lieu plutôt in de Paris, et de leur demander d’effiler des haricots tout en regardant bien droit dans le viseur, en répondant à la question : « Auriez vous aimé être une femme ? » Et avec ce regard qui ne ment pas, celui qui dit vrai, qui ne cille pas, j’ai été ébahie de les voir répondre pour la plupart par un grand NON. Le Non magistral qu’on m’avait caché. Et ils ne répondent pas simplement « non », ils argumentent avec des salaires trop faibles, des difficultés au sein du couple… Trois secondes de sincérité pour une vie d’hypocrisie ! Je pense : moi qui achète un pisse-debout, qui m’hommifie, jusqu’à me momifier, voilà que je vois l’autre sexe avancer le grand Non de l’affront.
C’est d’ailleurs le cheval de bataille d’Emma Watson 1 , avec son discours à l’ONU qui, ces temps-ci, court sur la toile. Même si je trouvais son témoignage certes bien ficelé et fichtrement bien énoncé, j’y ai d’abord répondu par un haussement d’épaules condescendant. Tout cela est dépassé, me suis-je dit tout d’abord. Pourtant je me suis plantée le prix Nobel de la Paix dans l’œil, et jusqu’au coude 2 . Il est bel et bien présent, ce questionnement de la femme, et vital. Les habitudes sont difficiles à déloger. Comment s’organise-t-on pour ne plus être
la femme qui s’occupe de l’enfant quand le père est devant son écran d’ordinateur ? Qui associera les sexes, pour les mêler dans la merde de la vie ?
Céline Sciamma, en voilà une autre de femme qui pointe sa pellicule hors des sentiers, et qui avec son Bandes de filles, parvient à créer un chef d’œuvre de femmes au cœur des aberrations contemporaines. Dans la banlieue de la capitale française, la réalisatrice nous dévoile la lutte d’une femme noire qui ne veut plus être au service de l’homme mais trouver sa propre voie, celle d’une femme curieuse et battante, qui se convainc qu’un choix reste toujours possible lorsque la réalité ne nous convient pas.
D’écran à mouvement
Infinité de bobines
Et puis, avec Vidéographie, j’ai aussi vu des femmes avoir la drôle d’idée d’inverser les sexes pendant leurs lectures du courrier du cœur…Et cette expérience achève de me troubler : je me rends à l’évidence que cette inversion des sexes mériterait de se reproduire fréquemment, et qu’elle révèlerait avec force l’outrageant quotidien.
Parce qu’enfin, le féminisme ne se borne pas à attaquer la société sur une faible part de nos vies, dans un simple questionnement sur les rapports homme-femme. Non, ce n’est pas une petite chose, et le féminisme a des frontières poreuses : c’est dans une infinité de problèmes qu’il se retrouve impliqué. Il est bel et bien en lien avec une réalité sociale, économique, culturelle. Cette expérience d’un dimanche d’octobre m’a fait me pencher sur la question du féminisme, et j’y ai découvert son étendue, et finalement, sa transversalité…
Quelques lignes pour partager mon ébullition avec tous ceux/toutes celles qui aiment les grands M dans les grandes vies.
Notes:
- Connue pour avoir incarné Hermione au cinéma, dans Harry Potter, Emma Watson a été nommée en juillet 2014 Ambassadrice de bonne volonté d’ONU Femmes. ↩
- Le prix Nobel de la Paix 2014 a été décerné à la Pakistanaise Malala Yousafzai et à l’Indien Kailash Satyarthi pour leurs engagements en faveur de la scolarisation des filles. ↩