Mon amie Frédérique me donne envie de lire un livre. Il est toujours minuit pour Barney Thomson, de Douglas LINDSAY (Anatolia, Éditions du Rocher) : Rien que le titre est appétant, ne trouves-tu pas ? Eh ben ce livre est un pur régal !!! Sans rire, ou plutôt si tu as un furieux besoin de te dilater la rate, pars en quête de ce fameux bouquin.
L’anti-héros, Barney, est un coiffeur désastreux qui hait ses semblables, à commencer par ses collègues-vedettes de salon, sachant aussi bien manier la tchatche que les ciseaux.
Barney DÉTESTE le football et ne possède aucun talent pour disserter pendant des journées entières sur la sexualité de Florence Nightingale, gros handicap pour séduire la clientèle ! Tandis qu’un tueur en série met la police sur les dents, et la population de Glasgow dans un état de terreur grandissant, Barney ourdit des idées de vengeance macabre, jusqu’à ce que sa maladresse fasse basculer sa réalité et que sa réalité dépasse de bien loin sa pauvre imagination.
Une merveille de livre. Et effectivement, véritable Monsieur Catastrophe, Barney, antihéros malgré lui, est enfoncé jusqu’au cou dans le pétrin et les cadavres, vu que le tueur en question, dépeçant ses victimes, en expédie par la poste quelques morceaux choisis aux familles éperdues. Il paraît que cette pochade grand-guignolesque a valu à son auteur d’être salué comme la nouvelle merveille de la littérature écossaise. C’est mérité.
En attendant, à l’instant je découvre ceci, de la plume de Jean-Jacques Lefrère : Un drame à Saint-Malo : Dix-sept lignes d’Émile Blavet dans Les Chants de Maldoror : « On se souvient de ce passage du Chant cinquième (page 240 de l’édition de 1869) : […] Mais quand on se trouve en présence de pareilles circonstances, plus d’un sent battre contre la paume de sa main les pulsations de son cœur. Il vient de mourir, presque inconnu, dans un petit port de Bretagne, un maître caboteur, vieux marin, qui fut le héros d’une terrible histoire. Il était alors capitaine au long cours, et voyageait pour un armateur de Saint-Malo. Or, après une absence de treize mois, il arriva au foyer conjugal, au moment où sa femme, encore alitée, venait de lui donner un héritier, à la reconnaissance duquel il ne se reconnaissait aucun droit. Le capitaine ne fit rien paraître de sa surprise et de sa colère ; il pria froidement sa femme de s’habiller, et de l’accompagner à une promenade, sur les remparts de la ville. On était en janvier. Les remparts de Saint-Malo sont élevés, et, lorsque souffle le vent du nord, les plus intrépides reculent. La malheureuse obéit, calme et résignée ; en rentrant, elle délira. Elle expira dans la nuit. Mais, ce n’était qu’une femme. […] Il ne faut pas chercher plus loin que la rubrique (signée Émile Blavet) des « Faits divers » du Figaro du samedi 12 septembre 1868 pour retrouver l’origine de ce nouvel « emprunt » de Ducasse : «— Il vient de mourir, presque inconnu, dans un petit port de Bretagne, un maître caboteur, vieux marin, qui fut le héros d’une terrible histoire. Il était alors capitaine au long cours et voyageait pour un amateur [sic] de Saint-Malo. Or, après une absence de treize mois, il arriva au foyer conjugal au moment ou sa femme, encore alitée, venait de lui donner un héritier, à la reconnaissance duquel il ne se reconnaissait aucun droit. Le capitaine ne fit rien paraître de sa surprise et de sa colère ; il pria froidement sa femme de s’habiller et de l’accompagner à une promenade sur les remparts de la ville. On était en janvier. Les remparts de Saint-Malo sont élevés, et lorsque souffle le vent du nord, les plus intrépides reculent. La malheureuse obéit, calme et résignée ; en rentrant, elle délirait, elle expira dans la nuit. ( Le Figaro, 12 septembre 1868, p. 3, Fait divers). Suit une notice sur l’Émile Blavet (1838-1924), journaliste aux nombreux noms de plume,
qui collabora à bien d’autres périodiques que Le Figaro, où il était titulaire de la rubrique La Vie parisienne, qu’il signait Parisis — comme L’Éclair, Le Gaulois, Le Voltaire, La République française, Le Nain jaune, Le Soleil, La Presse — et fut aussi romancier, vaudevilliste, auteur d’opéras. L’Académie nationale de musique l’eut un temps comme directeur. Il rejoint désormais Jean-Charles Chenu et quelques autres dans la phalange des coauteurs involontaires des Chants de Maldoror. Lefrère ajoute : « Il est à noter que Ducasse, en reprenant ce fait divers du Figaro, a corrigé la coquille sur « armateur », confirmant que le plagiat est nécessaire pour serrer la pensée d’un auteur. » Il conclut : « Quant à la date du 12 septembre 1868, il serait hasardeux de dire qu’elle établit le moment de composition de cette strophe du Chant cinquième : Ducasse a pu utiliser ce numéro du Figaro le jour de sa parution, ou y puiser son bien par la suite. »
Aux Presses du Réel, Marc DÉCIMO nous comble avec deux bouquins assez croquignolets : Sciences et Pataphysique – Tome I : Savants reconnus, érudits aberrés, fous littéraires, hétéroclites et celtomanes en quête d’ancêtres hébreux, troyens, gaulois, francs, atlantes, animaux, végétaux… & Sciences et Pataphysique – Tome II : Comment la linguistique vint à Paris – De Michel Bréal à Ferdinand de Saussure. Dans le Tome 1, on voit comment, du milieu du XVIIIème siècle à nos jours, un point de vue scientifique émerge en matière d’origine des langues et des peuples / pourquoi et comment sur cette question se constituent des savoirs et des zones de non-savoir ? Cela porte sur l’histoire des mythes d’origine et examine la manière dont la science s’arrache de ce qui est aujourd’hui défini comme de la pseudo-science. Exemples : Quelle langue parlaient Adam et Ève au paradis, situé en Bretagne, si ce n’est le breton de Tréguier ? • Ulysse a-t-il vraiment navigué sur la mer Égée ou sur la mer du Nord ? • Comment peut-on, sans le savoir, être Polonais à Saint-Étienne, Lapon à Rennes, Mongol en Bretagne… • Les Gaulois des bords de la Marne ont-ils appris à lire en scrutant les quartiers de la lune ? • Que sont devenus les Atlantes ? • Les Mandchous de Chine et les Mandés d’Afrique ont-ils vraiment quelque affinité avec les Normands ? • De quoi dissertait-on aux réunions de la première Société de linguistique de Paris ? • Les pratiques sexuelles spéciales des Vendéens constituent-elles un trait ethnique ? Leur parapluie sert-il à s’abriter de la pluie ou bien dissimule-t-il d’ancestrales pratiques ethniques ? • Les menhirs de Carnac ne signalent-ils pas les tombes de guerriers troyens, égarés après la bataille et un long voyage ? • Le fée-minisme n’est-il pas à l’évidence d’essence gauloise ? • Qu’apprend-on à la lecture du Bottin sur l’origine gauloise des noms propres français ? • Vercingétorix a-t-il des descendants ? Le second Tome décrit la naissance de la linguistique en France comme discipline et traite, à partir d’un travail d’archives de première main, des enjeux idéologiques et politiques qui contribuent à cette mise en place. Ce livre repose sur un travail d’archives qui apporte un éclairage inédit sur la rénovation de l’Université française. Elle est initiée vers le milieu du XIXème siècle grâce à l’action menée par quelques bibliothécaires parisiens et quelques professeurs de l’École normale supérieure. Elle est ensuite liée au destin de Michel Bréal, de la rue d’Ulm (1852) au Collège de France (1864) puis à la création à Paris de l’École des Hautes-Études (1866) avec l’historien Gabriel Monod et le médiéviste Gaston Paris. Michel Bréal y implante l’étude positiviste de l’histoire des religions et des langues, la philologie et la linguistique comme discipline à part entière. En retenant en 1881 le plus brillant linguiste de sa génération, le Suisse Ferdinand de Saussure, il consolide le rêve : les cours vont être fréquentés pendant une dizaine d’années par environ deux cents étudiants. Ceux
sont eux qui, malgré les guerres et les décès prématurés, innerveront le monde littéraire et savant, en France et ailleurs, mais aussi l’enseignement secondaire et universitaire. Et puis, vous n’allez pas le croire mais le Marc Décimo annonce également la sortie (toujours aux Presses du Réel) de La Joconde à moustaches ! Mais de celui-là, je vous parlerai la prochaine fois (faut d’abord que je le reçoive et m’en délecte).
Une petite BD pour suivre ? Et carrément poilante : Histoire de la Belgique pour tous racontée par Cowboy Henk, de HERR SEELE & KAMAGURKA (FRMK). Je n’ai pas peur d’affirmer que c’est parfaitement génial, l’absurde poussé à ce point ne pouvant que ravir. C’est vraiment quelque chose d’inouï, je vous l’affirme haut et clair. Pour sa part, Wombat continue avec bonheur à ne jamais laisser TOPOR sombrer dans l’oubli. Outre qu’il republie Mémoires d’un vieux con suivi de Topor à la bombe (un « tirage de queue » numéroté de 1 à 500), il nous gratifie d’un sensationnel Strips Panique à ne rater sous aucun prétexte. Sans doute n’a-t-on pas oublié La vérité sur Max Lampin, féroce pamphlet anti-De Gaulle qui ne sera jamais dépassé dans le genre, mais s’y ajoutent ici sept histoire en images pour la plupart introuvables, réalisées entre 1961 et 1996 et parues au gré de ses collaborations à Hara-Kiri, Charlie mensuel, Le Petit Psikopat illustré ou encore Strips. À part Erik, ce furent pour moi des découvertes et j’ai littéralement adoré Le fils de l’ivrogne ou le petit justicier, un magnifique hommage rendu par Roland à « La semaine camique » de L’Illustration. On annonce la parution imminente d’un Topor dessinateur de presse aux Cahiers dessinés. Je me fais fête de le recevoir… Ah ! j’allais oublier de signaler que Wombat vient aussi de ressusciter GÉBÉ avec Tout s’allume, un recueil de BD, reportage et croquis parus dans Charlie Hebdo en 1979 comme une sorte de suite à L’An 01. François Hollande ferait bien de déguster ces pages, ça lui donnerait des idées (en ne faisant pas l’impasse sur la préface de Raoul Vaneigem, « Tout reprendre à la base ».) Vous allez probablement penser que je parle souvent du Cactus inébranlable mais c’est quasi obligatoire, vu que les bonnes choses s’y bousculent à l’envi (j’en attends dans la fièvre entre trois ou quatre dont un STERNBERG inédit, excusez du peu !) Pour l’heure, plongez dans l’Ouvroir de Brèves de Comptoir Potentielles concocté par le COLLECTIF OuBreCPO. Au-delà d’un travail de compilation, on y étudie les mécanismes qui président à la naissance de ces éclairs de génie littéraires et fugitifs qui démontrent que « si la philosophie prétend révéler comme l’homme pense, l’alcool révèle comment l’homme pense vraiment ». Et puis, cet été, c’est une véritable bombe que le Cactus nous a offert, un « olni » (Objet littéraire non identifiable) de plus de cinq cents pages que Jean-Marie VERMANDE L’HERM a mis trente ans à écrire et peaufiner, L’Albert Audoulin ou du parallélisme des voies ferrées. Cette somme, à la fois burlesque et savante, va vous laisser sur le cul, tant elle ne ressemble à rien de connu. J’ai eu un peu de mal à rentrer dedans puis je me suis laissé emporter par le roman-fleuve, éprouvant de plus en plus de mal à interrompre ma lecture, tant « j’avais bon » (comme on dit en belge). Et je pense qu’André Clette voit juste en intitulant « Préface à une relecture de l’Albert Audoulin » son texte qui, naturellement, est publié en fin de volume, car je le relirai (pas tout de suite mais) c’est certain ! Donc, ne ratez pas ça, vous y perdriez.
M’attendent le dernier MURAKAMI, L’incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage, un MENDOZA, Trois vies de saints, un PYNCHON , Fonds perdus (dans lequel on projette en boucle sur des écrans géants l’entartement de
Bill Gates à Bruxelles, d’après ce que j’ai lu dans Le Soir), un Tom ROBBINS, Jambes fluettes, etc. , bref, du nanan (on peut le supposer). Vous me trouvez fort aise d’avoir terminé « mes devoirs » pour pouvoir me replonger toutes affaires cessantes dans Karoo, un époustouflant bouquin de Steve TESICH que vient de m’offrit ma frangine (que je remercie derechef). Je suis littéralement « scotché » et j’adore !!!
Il faudrait créer le Patrimoine météorologique de l’Humanité, me disais-je cette nuit (avec du vent dans les voiles – c’était la Sainte Absinthe dans le calendrier pataphysique). Les dix premiers nominés sont : La douche écossaise, la drache nationale, les pluies de cordes, de hallebardes, les tempêtes dans un verre d’eau, le vent à décorner les bœufs, la tornade blanche, le tonnerre de Brest, les trombes d’Eustache, le tsunami Bidasse. Il vous est loisible d’envoyer vos propositions au bureau du Journal.
André Stas, R.