Le mécène est toujours le douzième homme 

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Le football régional amateur est-il si différent du foot de haut niveau? Point de vue jeu, certainement. Mais financièrement, n’est-ce pas, en définitive, la même chose?

illu 2Loin de la Coupe du Monde et des Diables Rouges, il y a le foot amateur. Celui qu’on pratique dans les « petites divisions ». Loin de la Coupe du Monde et des Diables Rouges ? Pas tant que ça finalement, pour ces petits clubs qui, en ce mois de juin ou de juillet, profiteront de l’événement planétaire pour organiser des soirées « Mondial » ou qui, plus simplement, allumeront la télé de leur buvette sur le Brésil afin que ceux qui participent à leur barbecue n’en perdent pas une miette. Barbecue organisé pour faire rentrer de l’argent bien sûr.
L’argent.

Vu tout ce qu’on entend en permanence dans les médias, voilà bien quelque chose qui différencie profondément le foot d’en haut (celui des pros, du Mondial, des coupes d’Europe ou des « ligas »), du foot d’en bas.

Profondément ? Peut-être pas tant que ça, finalement. Point de vue argent, le foot d’en haut n’est pas si différent que ça du foot d’en bas. Sans commune mesure, ça oui. Très différent, non.

« Mon fils ? Il joue en équipe nationale U17. Il est bon, mais il est bon à l’école aussi. Le foot pro ? ça n’a pas l’air de l’intéresser. Il vise plutôt une carrière en P1 ou en promotion, à côté de ses études et de son boulot. Vous savez, avec ça, il pourra payer sa maison comme l’a fait un collègue à moi il y a quelques années. » Une maison, une belle maison, il pourra se payer, le fiston de ce parent d’un jeune joueur du RFC Liège. Une maison qu’un footballeur pro, lui, s’il mène une belle petite carrière, pourra se payer en quelques mois, voire en quelques semaines s’il est très bon.

Sans commune mesure donc, l’argent dans le foot d’en haut et dans le foot d’en bas.

Mais différent, non. Dans son rapport au sport proprement dit, le foot d’en bas n’est pas financièrement si différent du foot d’en haut. Dans nos petits clubs, il y a aussi des « Abramovic » (le milliardaire russe patron de Chelsea en D1 anglaise) : il y a des dirigeants qui peuvent se payer l’équipe de leurs rêves, et d’autres qui ne peuvent pas. Et, comme dans le foot d’en haut, cela fait des championnats à deux vitesses.

Combien de riches présidents n’ont-ils pas repris un club en P4 et mis le paquet pour voir leurs couleurs entreprendre une irrésistible ascension, de deux, trois, quatre ou cinq divisions en quelques années à peine ? Sans rivaux, ou quasi, dans les séries qu’ils ont traversées.

Oui, dans le foot amateur comme dans le foot pro, dans le foot d’en bas comme dans celui d’en haut, c’est l’argent qui fait la différence. L’argent présent partout. Car le foot est un sport qui, même très bas dans la hiérarchie, peut être une source de revenus non négligeable pour celui qui le pratique. En 3e provinciale, il est des gars qui touchent de substantiels « défraiements ». Primes de match comprises, cela peut monter jusqu’à 1 500 euros par mois. On en connaît.

Ce n’est pas pour rien que, depuis quelques années, le fisc s’intéresse de près, de très près parfois, aux ASBL qui gèrent les clubs de foot amateur. Jusqu’à bien bas dans la hiérarchie. Pas mal de clubs de P2 ont été contrôlés ces dernières années.

Un contrôle qui éclaircira, c’est sûr, certaines choses.

De là à écrire que cet intérêt de l’administration va dissoudre l’espèce de flou artistique financier qui règne généralement au sein des clubs (flou entretenu depuis des années par la complicité du monde politique vis-à-vis du football : c’est quand même un des rares sports où des hommes politiques influents qui sont, sur
le côté, dirigeants de foot, paient leurs joueurs en noir sans que cela n’émeuve personne), il y a un pas. Mais quand même. Les clubs savent désormais qu’ils ne peuvent plus faire n’importe quoi. Ou, en tout cas, qu’ils doivent éclaircir certaines choses. À l’heure où l’UEFA essaie (ou fait semblant) de mettre de l’ordre et de veiller au fairplay financier au sein des grands clubs européens, il se pourrait bien que la vigilance de l’administration fiscale vis-à-vis des clubs ait le même effet à l’échelon du foot amateur chez nous, obligeant les dirigeants à gérer les choses autrement.

C’est parce qu’il a eu un redressement fiscal la saison passée que le club de Hannut, en P2 liégeoise, a été mis en liquidation. L’équipe dirigeante qui vient de reprendre son matricule est toute nouvelle. Elle sait à quoi s’en tenir.

Mais cette nouvelle ère de transparence – appuyée par les communes, qui exigent elles aussi davantage de clarté en échange des infrastructures qu’elles laissent à disposition des clubs – a cet effet pervers qu’elle met encore plus sous pression les clubs qui vivent ou survivent sans gros mécène, sans « Abramovic ». Elle met sous pression les clubs qui vivent grâce à de petits sponsorings, à des rentrées buvettes et à un lot d’activités diverses (soupers, soirées dansantes, tombolas, brocantes, tournois de sixte, belotes, etc). Un contrôle fiscal sur ces clubs peut vite avoir quelque chose d’infernal et de démotivant pour des dirigeants par ailleurs déjà tout occupés à de multiples tâches pour faire rentrer de l’argent (en P1 liégeoise, il y a trois ans, le club de Vyle-Tharoul a organisé trente et une manifestations sur toute la saison !)

Et donc, comme dans le foot de haut niveau, le fossé se creuse entre les clubs qui ont la chance d’avoir, derrière leur comité, une manne céleste – en la personne d’un président, d’un dirigeant ou d’un riche mécène – et ceux qui font rentrer de l’argent comme ils peuvent, se voient contraints de tout déclarer et peuvent difficilement proposer des défraiements mirobolants à leurs joueurs. Les mécènes, indépendants de toute structure, n’ont aucun compte à rendre car on pourra faire tous les contrôles qu’on veut, on pourra difficilement embêter le généreux « donateur » qui glissera dans une enveloppe de beaux billets pour services rendus. Du reste, comme le disait un président de promotion : « C’est mon argent, j’en fais ce que je veux, non ? »

D’où l’importance – exactement comme au haut niveau – pour les petits clubs ambitieux mais dépourvus de généreux mécènes, d’avoir de la réserve, c’est-à-dire une bonne école de jeunes qui leur permettra, non pas de rivaliser, sans doute, avec les « millionnaires » d’à côté, mais de tenir la route . C’est un peu le Standard par rapport à Chelsea. Le Standard est obligé d’utiliser les jeunes de son académie là où Chelsea, bien sûr, a le choix de le faire ou non. Alors bien sûr, le jeune issu d’une bonne école des jeunes ira sans doute vite voir ailleurs, dans un club où on saura lui offrir la meilleure valorisation financière pour ses brillants débuts dans le monde senior. Mais si le club formateur a de la réserve, il pourra sortir d’autres jeunes, qui à leur tour partiront quand ils auront prouvé quelque chose.

Un supporter d’un club qui mise beaucoup sur les jeunes (Wanze-Bas-Oha) proposait il y a peu de créer deux compétitions senior à part : une pour les clubs « à budget » dont l’école des jeunes est le cadet des soucis, et une pour les clubs sans énormes moyens mais formateurs de jeunes. Difficile à appliquer évidemment, surtout quand le nombre d’équipes diminue constamment (dans la province de Liège, sept équipes ont disparu ce printemps-ci). Mais significatif des questions que se posent beaucoup d’amateurs.

Longtemps sport roi – seul sport même pour beaucoup – et  donc tout englué dans les défauts de son monopole, le football est en train de remettre en question ses modes de fonctionnement. Davantage d’ailleurs grâce à des éléments extérieurs – le fisc – qu’à toutes ces histoires
de fairplay financier avec lequel on a l’impression que l’UEFA se donne bonne conscience. D’ailleurs, en Espagne, Barcelone et certaines de ses stars – entre autres – viennent de se faire rattraper par l’administration fiscale espagnole. Il est trop tôt pour dire si ça va changer des choses. Mais le foot d’en haut n’est décidément pas si différent du foot d’en bas.

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