Le football professionnel est aujourd’hui un business comme un autre. Ça fait mal, mais c’est comme ça. Depuis une quinzaine d’années, le sport le plus universel et populaire qui soit, est devenu une imparable machine à fric qui bouscule tout sur son passage. Heureusement, des supporters, parfois même des joueurs, tentent de résister.
Le fan de foot, du moins celui qui prend un minimum de recul critique sur sa passion, vit un paradoxe permanent. Il soutient les Brésiliens qui manifestent contre les dépenses indécentes qu’engendre l’organisation de la Coupe de monde, s’offusque que l’argent public ne soit pas utilisé pour résoudre les problèmes sociaux, crache sur la FIFA et sur le cynisme de ses dirigeants, mais n’attend qu’une chose : que la compet’ commence pour se gaver de foot pendant un mois. Il exige du Standard qu’il garde son identité populaire, qu’il résiste au pouvoir de l’argent, mais il veut le voir rivaliser avec les plus grands clubs européens. Au quotidien, il faut concilier son amour du jeu et les excès d’un sport qu’on peut qualifier de foot-business. Oui, le foot a cette capacité d’exciter comme aucun autre, et, à la fois, de donner la nausée. Sans doute aurait-on tort, d’ailleurs, de le concevoir de manière monolithique : il n’y a pas un monde du ballon rond, mais une multitude.
Parce que jouer n’a jamais
empêché personne de penser 1
Dans son manifeste, le blog alternatif Moustache FC explique : « Économiquement, dans les tribunes, dans les discours politiques et dans le regard du quidam, le football a davantage évolué ces dix dernières années qu’au cours du reste de son histoire, bouleversant la philosophie de ce qui ne devait être qu’un jeu entre vingt-deux mecs en short. C’est cette mutation, génératrice de violence physique et symbolique, qui nous passionne autant qu’elle nous inquiète. » Le foot, plus que d’autres milieux, n’a pas résister aux excès qui caractérisent le grand virage ultra-libéral amorcé par toute la société. On pourrait écrire quelques lignes de plus sur le salaire scandaleux des stars, la marchandisation du jeu, la perte de l’identité des clubs qu’implique leur rachat par des investisseurs adeptes du bling bling, l’expropriation de l’âme sous le maillot à laquelle doivent alors assister des supporters impuissants, ou encore le blacklistage de ceux qui, parmi les dépossédés, osent s’imaginer pouvoir contester ces procédés (voir, par exemple, le nettoyage des tribunes d’un club tel que le PSG…).
Prenons le parti de fonctionner, dans les quelques pages qui suivent, comme si la question ne se trouvait pas (que) là.
Parce qu’il reste encore de l’espoir. Ici ou là, des supporters, et même des joueurs, résistent et tentent de reprendre la main. L’exemple le plus récent se trouve en Espagne, à Santander. En 2011, le club de la ville est surendetté. La gestion des finances est calamiteuse, voire carrément frauduleuse : fausses factures, commissions occultes perçues sur les transferts des joueurs, contrats avec des sociétés fantômes. Les dirigeants vont même jusqu’à faire croire au rachat du club par un riche homme d’affaires indien pour faire diversion. Au final, un trou de cinq millions dans la caisse et sur le terrain, une rétrogradation en troisième division. Progressivement, la fronde s’organise. Les joueurs (qui ne sont plus payés) font monter la pression, jusqu’à refuser de jouer un match crucial de coupe d’Espagne. Les supporters prennent d’assaut la tribune présidentielle,
chassant physiquement les margoulins qui avaient pris le contrôle du club.
Aujourd’hui, le Racing de Santander est au fond du trou. Mais un ancien joueur, Juan Antonio Sanudo, a été nommé président, plébiscité par un collectif de supporters et d’autres anciens. « Si le club doit mourir, il mourra » confie-t-il au magazine So Foot, « mais au moins, il mourra dans les bras de ceux qui l’aiment. »
Parce que le football est un jeu
avant d’être un marché
Autre exemple fameux de résistance aux dérives : le FC United, souvent qualifié d’utopie, de manière un poil condescendante par les médias. Il a été fondé en 2005 par des supporters de Manchester United, furieux du rachat de leur club par Malcolm Glazer, un homme d’affaires américain. Pour eux, c’en était trop. Leur club était devenu une marque, le prix des places augmentait sans cesse : une désagréable impression de voir leur club dépossédé de son identité. Alors, ils prennent les choses en main en créant un club dissident, davantage en adéquation avec leur idéal footballistique. Un idéal qui repose sur sept piliers que sont, entre autres, l’élection démocratique des dirigeants par les supporters, une relation forte avec la communauté locale, le prix démocratique des places, ou encore l’attention à ne pas verser dans la commercialisation à outrance. Côté terrain, leur quotidien, ce n’est plus le top européen, mais la 7e division anglaise. Le prix à payer pour ne plus se renier.
Parce que la médiatisation du football est trop univoque pour être représentative
Nous ne sommes pas tous des supporters acharnés, prêts à tout pour sauver le foot du business à outrance. Mais nous sommes nombreux à espérer un football plus juste, plus populaire, moins pourri par l’argent. Au quotidien, la résistance s’organise aussi via les réseaux sociaux et les médias. Et le milieu du ballon rond apparaît tellement aseptisé dans sa communication, tellement peu authentique, qu’il faut pouvoir compter sur des publications qui en parlent autrement qu’à travers le prisme de la parole officielle et de la bien-pensance. Un magazine comme So Foot, ou un site comme Les Cahiers du football, traitent l’actualité du foot sur un modèle différent. Par la forme, d’abord, avec des interviews de plusieurs pages, des grands reportages, du data-journalisme, mais aussi par le ton employé. Le fan de foot, soumis à la langue de bois à longueur de journée, y trouve franc-parler, décalage, ironie, et rire nécessaires pour prendre du recul sur son sport : autant de choses qu’il ne trouvera que rarement dans les grands médias. Ces deux publications hébergent également des dizaines de blogs créés par des supporters (voir le générique en fin de dossier). Se moquant de la période du Mercato (ce marché des transferts qui excite la presse sportive et où les infos sont souvent balancées sans vérification pour vendre toujours plus), les créateurs du blog Moustache FC proposent par exemple à l’internaute de prendre la place d’un journaliste sportif via le « Mercatron », un outil qui permet de générer de fausses rumeurs de transferts. « Quitte à être mal informé, autant le faire soi-même », ironisent-ils.
Le foot-business peut se combattre grâce aux médias alternatifs, mais aussi à travers un retour aux fondamentaux du jeu et à ce qui fait que ce sport, bien qu’inventé par une élite bourgeoise, est devenu si populaire. En France, la page Facebook « Les phrases qu’on peut entendre qu’au niveau district » connaît un beau succès depuis quelques mois. Ses créateurs prennent le parti de raconter le football amateur, celui des barbecues et des terrains en pente, en compilant ces phrases que l’on entend dans la bouche des footeux du dimanche : « Vas-y mollo, je bosse lundi », « Rentre ton ventre, tu vas être hors-jeu » ou « Hey, le gardien, laisse passer le but et on te paye une bière ! ». Le tout a été décliné sous forme de livres et autres produits dérivés, que les clubs amateurs peuvent acheter à des prix avantageux pour les revendre
ensuite à prix plein lors des matchs et des tournois.
Parce que le jeu sauvera peut-être le monde
Le football ne prend malheureusement que trop rarement le chemin de la solidarité. Arrivera-t-on à le rendre plus éthique ? A en limiter les excès ? Sur son blog hébergé par lemonde.fr, Jérôme Latta, rédacteur en chef des Cahiers du foot, voit lui une solution plus radicale. « Chaque semaine qui passe, le football devient un peu plus un monde sans dignité qui pratique dans l’indifférence générale l’expropriation des supporters, le dévoiement des compétitions, la trahison des maillots, la prostitution des stades, le gavage des supporters. Le seul espoir réside dans un Armageddon économique qui ravagerait cette industrie et obligerait à tout reprendre de zéro, et à protéger ce sport de telle sorte qu’il ne soit plus une proie pour des oligarques, des milliardaires domestiques ou exotiques, des fonds d’investissements, des monarchies pétrolières et des coteries affairistes. La catastrophe aurait l’immense avantage de démontrer une évidence complètement oubliée aujourd’hui : le football n’a pas besoin de tout ce fric pour être le football. »
[1] Les intertitres sont tirés de l’appel du collectif «Tatane»,
mouvement populaire pour un football durable et joyeux.
Notes:
- Les intertitres sont tirés de l’appel du collectif «Tatane», mouvement populaire pour un football durable et joyeux. ↩