Fairplay, « l’émission de radio où l’on écoute du foot et laisse parler la musique » occupe les ondes liégeoises tous les samedis de 18h à 21h sur 48FM – 105.0MHz. Depuis quatre ans, ses animateurs reviennent sur l’actualité belge et mondiale, en essayant de se positionner sur et en-dehors du terrain : rencontre avec des « dingues de foot ».
Place du XX août, au troisième étage d’un immeuble bourgeois, juste à côté du Théâtre de Liège, se trouve le studio de la radio étudiante 48FM. Ce samedi, les animateurs de Fairplay se retrouvent pour trois heures d’émission en direct sur les ondes, mais aussi en streaming vidéo et/ou audio. Une table, quatre micros, cinq ordinateurs et Youssef à la technique. Avec son frère jumeau Aziz, ils sont à l’origine du projet né en août 2010 : « Ça faisait quelques mois que je lui (Aziz, ndlr) demandais de prendre contact avec 48FM, vu qu’il avait de bonnes relations avec la Fédé et l’université de Liège. Et une fois, en plein ramadan, pendant un après-midi bien chaud, on marchait en centre ville avec la vareuse de Zlatan Ibrahimovic, on passe devant le studio et je lui dis : “Bah, viens, on y va maintenant !” » Ils passent la porte et rencontrent Fred Cools, directeur de la radio, très vite enthousiasmé par l’idée.
Les deux frères n’en sont pas à leur premier coup d’essai, ayant déjà été animateurs pour Equinoxe FM, Radio Prima ou encore Radio Contact. « On avait monté l’idée d’une émission sport et musique, se rappelle Aziz. On a essayé pendant un an, mais il y avait tellement d’infos, d’actu, qu’on avait du mal à condenser le tout. Vu qu’on était vraiment dingues de football, on s’est dit qu’on allait revenir à notre amour, celui qu’on connaît le mieux : le foot. »
À la base, Aziz et Youssef sont accompagnés de leur frère et d’un ami. De saison en saison, le quatuor s’agrandit et accueille de nouveaux animateurs, tous bénévoles, apportant chacun leur petite touche personnelle : « Hafid, le passionné qui lit tous les magazines tout le temps, quand il peut se les offrir ; Mohammed, la quarantaine, la mémoire de l’émission et les jeux de mots à deux balles, il connaît très bien les stades ; Anthony, correspondant à La Meuse ; Antoine, étudiant en journalisme, qui commente des matchs en provinciale pour les télés locales ; Martial, “le stagiaire”, qui avait envie de devenir commentateur et acteur, dix-neuf ans, qui kiffe l’émission et qui voulait nous payer cinquante euros pour participer ! On n’a pas pris l’argent ! », détaille Aziz. Une dynamique, un collectif qui s’amuse et prend du bon temps. La force de Fairplay consiste à rendre agréable à écouter une conversation entre potes passionnés par le jeu. Le secret de cette recette tiendrait-il dans la nécessité de la discussion ? « Ça fait longtemps qu’on n’a pas profité d’un samedi après-midi. Après, vaut mieux faire ça que tourner en rond à une terrasse. Mais de toute façon si on ne le fait pas derrière le micro, on va se retrouver avec des potes à parler de foot », s’amuse Youssef.
Fairplay saison 4 épisode 33
« Il est 18h, on commence ? » – « Bah ouais les gars, on y va ! » Jingle. « On est ensemble avec vous, les auditeurs, les auditrices, Fairplay saison 4 épisode 33 ». Ils sont neuf aujourd’hui dans le studio, dont Mohammed qui est chargé de suivre la « finale » de la Liga Barça-Atlético de ce 17 mai 2014 sur son ordinateur. Les brèves de la semaine, la composition des équipes pour le Mondial, l’émission est rythmée et bien dosée entre moments parlés et pauses musicales. C’est technique, on parle tactique, statistique et parfois un néophyte s’y perdrait. « Sur Fairplay, anecdotes et leçons de vie », lance Aziz au micro. « On enchaîne, ça se joue à une touche de balle », et la parole est à Antoine : l’art de la formule et de la transition, pour une centaine d’
auditeurs (les audiences FM n’étant pas récupérées, seul le streaming est comptabilisé).
En seconde partie d’émission, le rythme ralentit avec l’interview de l’invité : Maxime Cosse, champion de promotion C, meilleur buteur et meilleur passeur avec son club, le K.V.K. Tienen. On se pose avec eux, les débats sont moins vifs et Maxime Cosse prend le temps de répondre. Parfois trop, en laissant un silence sur lequel Aziz réagit, en pro : « parce qu’un blanc à la radio, c’est comme un noir à la télé, ça passe pas ! »
Une émission, un blog,
Facebook et Twitter
L’émission terminée, Aziz, Youssef et les autres ont encore de quoi s’occuper. Outre la préparation de chaque épisode, il faut aussi alimenter la page Facebook, le compte Twitter et le site de l’émission : 11to11.net. « Avant on postait toutes les vidéos de tous les championnats, comme des dingues. On a posté une fois une vidéo d’un but de Ben Arfa, on a fait 90 000 vues en une nuit. On s’est dit : “Wouah, terrible, on va continuer” », se souvient Youssef. Mais cette gloire liée au nombre de clics ne les intéresse rapidement plus. « On s’est dit qu’on allait réorienter la ligne éditoriale : foot, analyse, politique, économie », précise Aziz. Ils essayent alors d’écrire un article par jour mais très vite ils se rendent compte que les articles sur Facebook sont plus lus, faisant le constat qu’en général, ce qu’on retient d’un article sur le web, ce sont « le titre, le chapeau, les citations et l’encadré. »
Chaque émission se retrouve aussi en podcast sur leur site. Là encore, l’expérience leur a aussi montré que des invités de renom n’apportaient pas forcément plus d’auditeurs. « Une émission comme aujourd’hui, analyse Aziz, a plus de succès qu’une émission avec Fadiga ou Benjamin Nicaise. Parce qu’on s’en fout un peu de Benjamin Nicaise, au fond, et nous on l’a parce que ça fait toujours nickel d’avoir un gars comme ça. On a beaucoup de mecs des quartiers : Sainte-Walburge, Bressoux, Droixhe, Seraing, Tilleur… qui jouent dans des agoraspace [terrain multisport, ndlr]. Et après t’as quelques super stars qui sortent du lot… »
L’expérience Kult Football
« La consécration ultime », selon Youssef, c’est l’opportunité laissée par Martha Regueiro, rédactrice en chef du magazine Kult, à l’équipe de Fairplay : un numéro spécial Coupe du Monde (juin-juillet 2014). « On a fait un numéro plus politique, culture et foot : Brésil, favelas, mouvements sociaux, musique, etc. On a essayé de dire des choses qu’on lit rarement, surtout en Belgique. » Une expérience en « one shot » pour le moment, comme le dit Aziz : « Ça prend beaucoup de temps et d’énergie… On arrive en fin de saison, y’a la Coupe du monde, on va souffler et on verra bien. »
Foot social et engagé
Fairplay a une vision du football et ses animateurs aussi : parler du « foot social et engagé », du foot « vrai ». « C’est parler de prévention, du fan coaching, de ce que ça représente d’organiser une Coupe du Monde, etc. Les dessous du foot, on aime bien, mais le côté Sun, people, on n’en parle pas », explique Aziz. « On parle beaucoup du football sans parler du football », ajoute Youssef. Et si c’est pour faire dire à un invité la même chose qu’il a dite dans tous les autres médias, ça ne les passionne pas. « Dire : “ouais on a pris les trois points, ouais y’a la Champions League qui arrive, y’a des blessés”, on le sait tous. En général on retire très peu d’informations dans un article ou une interview aujourd’hui. Sauf quelques exceptions. Twitter c’est devenu l’AFP de tous les francophones, tu vas chopper tes infos là. »
Leur présence sur les réseaux sociaux contribuent à leur construire une certaine renommée. Ils ont même goûté à un petit moment de gloire lors de la publication d’un de leurs articles, « Le Dé-marquage de So Foot », en juillet 2013. Ils critiquaient alors le magazine français
So Foot qui aujourd’hui fait référence chez les amateurs de foot francophones. « Les Cahiers du foot qui kiffent un de nos articles et qui le partagent sur Twitter, suivis par Libération, ça nous a rendu dingues ! » S’ils reconnaissent l’apport indéniable de So Foot à la presse spécialisée, ils regrettent « le côté bon chic bon genre, niveau Bac+5 et prétentieux » de certaines pages. Aziz qualifie même certains de ses journalistes d’« illuminés littéraires intellectuels du football », avant d’ajouter : « Quand ils sont invités sur des plateaux de télévision, ils ne disent en fait pas plus de choses que les autres… Après c’est très bien ce qu’ils font et ils ont bousculé le milieu ».
Le projet de Fairplay c’est de prendre le contre-pied de cette position en parlant du jeu avec passion mais sans enrober son discours d’un sérieux à la limite quasi académique. Pour un motif simple que nous rappelle Youssef : « Ça ne sert à rien de faire de la branlette intellectuelle avec le foot ! » Ce rôle de « critique des médias », Fairplay l’assume depuis ses débuts, notamment en invitant régulièrement des journalistes sportifs. Mais sans admiration béate à l’égard de la profession : « On a souvent fait le parallèle entre les journalistes qui sont à Matignon et les journalistes qui sont dans les vestiaires, ces journalistes en zone off, qui ont des infos et se mettent à quatre pattes devant les joueurs pour une interview. C’est du copinage, comme entre les politiques et les journalistes politiques », observe Aziz.
Inutile de l’apprendre à l’équipe de Fairplay : en foot comme dans les médias, critiquer c’est bien mais se démarquer, c’est encore mieux ! Le but du jeu, ça reste de prendre une autre position. Aziz explique : [nous sommes] « des râleurs qui ne savent pas perdre un match, des mecs qui parlent de foot, qui s’intéressent au foot, sans se la jouer trop Rodrigo intellectualisé [ndlr : en référence à R. Beynkens, journaliste et éditorialiste sportif à la RTBF]. » Pendant l’émission, il affirmait à ses auditeurs qu’ils n’étaient journalistes. En guise de réponse, il commence par citer Shurik’N, repris par IAM dans leur chanson Dangereux : « Un haut-parleur trop souvent placé au centre du viseur ! Fairplay, c’est juste une voix du football de rue. Des fois y’en a qui s’improvisent experts parce qu’ils ont lu deux bouquins. L’important n’est pas de savoir parler football, c’est de connaître le football. »
« Il faut savoir parler tactique, statistique, mais revenir surtout au côté humain aussi », ajoute Youssef.
Toute l’équipe de Fairplay a l’esprit grand ouvert et n’hésite pas à aborder des questions qui le sont rarement lorsqu’on parle football. Aucun tabou non plus, lorsqu’il s’agit d’évoquer les questions religieuses ou de revenir sur ces joueurs qui finissent fauchés après une carrière pro. « C’est notre truc aussi, explique Aziz. Quand on parle du ramadan, des gens doivent se dire “c’est quoi ces intégristes marocains derrière leur micro ?” Mais en fait ça n’a rien à voir. Un mec qui fait yom kippour ou shabbat il ne va pas jouer non plus. Celui qui fait ramadan, ça dure un mois, c’est encore plus compliqué. Ce sont des questions de société qui s’imposent aussi au monde du football. » Youssef partage cette vision : « Si tu n’aimes que le foot et que tu ne t’intéresses pas un minimum à la crise ou à la vie après le foot par exemple, ça n’a pas de sens. »