La raréfaction de certaines ressources, l’expansion de la demande globale, l’obsolescence programmée, l’offre permanente de nouveaux équipements, de nouvelles fonctions, de meilleures performances, produisent des spirales exponentielles d’achats et de déchets, de consommation et de production. L’insuffisance du recyclage, voire l’inexistence du traitement de certains éléments toxiques, et la multiplication des services disponibles sur internet augmentent toujours plus l’activité virtuelle et la dépendance des usagers à leur matériel TIC. Cela nous mène à une impasse.. Pour ne pas dire à la catastrophe !
L’image que nous nous faisons de la dématérialisation : propre et non polluante, image largement entretenue par la publicité, et par les politiques, est loin de correspondre à la réalité. C’est ce que nous montrent en 200 pages aussi didactiques et argumentées que désespérantes, le livre dont je me propose ici de vous rendre compte.
Une industrie gourmande
« De toutes les industries, celle des TIC est de loin la plus gourmande en ressources par unité de production : matériaux, métaux, énergie, eau, produits chimiques. La production d’une simple puce électronique pour une barrette mémoire de 32 bits, pesant 2 g nécessite 1600 g d’énergies fossiles secondaires, 72 g de produits chimiques, 32000 g d’eau, 700 g de gaz élémentaires. Un téléphone portable contiendrait plus de 60 métaux différents. »
C’est ainsi que le développement vertigineux de l’industrie des TIC contribue largement à l’épuisement des ressources non renouvelables, rares et/ou non substituables de la planète. En outre, il arrive que l’utilisation qui est par ailleurs faite des ressources renouvelables excède la capacité de régénération naturelle. Dans la liste, établie par la Communauté européenne, des 41 métaux et minerais auquel l’accès devient critique, on sera surpris.es de trouver, aux côtés d’éléments mystérieux comme la bauxite, le vanadium ou le tantale, des matières premières aussi couramment utilisées que l’aluminium, le fer, le cuivre ou même le calcaire !
Et, petit détail qui tue : la boulimie de matières premières engendre un cercle vicieux. La raréfaction de celles-ci les rend de moins en moins accessibles et il faut de plus en plus d’énergie et de ressources pour les extraire et/ou les traiter ! Sans compter que ces extractions impliquent, vu la recherche constante de nouveaux sites d’exploitation, des déforestations massives et la destruction de biotopes précieux à l’équilibre du vivant.
L’eau n’est pas le plus anecdotique des trésors naturels mis à mal par l’industrie des TIC. En effet, les quantités d’eau douce que prélèvent pour leurs activités les industries minières, électroniques, et les centres de données nécessaires au cloud computing (informatique en nuage ou dématérialisé), sont considérables et finissent par entrer en concurrence avec les besoins vitaux des êtres humains. C’est ainsi que le nombre de pays considérés en situation de « stress hydrique » – expression qui témoigne de la magnifique capacité des scientifiques à ne pas verser dans l’affect – est en hausse constante !
A titre de vertige autant que d’exemple, un centre de données de 450 m² d’une puissance de 1000 kW serait responsable de la consommation de plus de 98 millions de litres d’eau par an !
Une industrie polluante
Acidification des océans, désertification, déplétion de la couche d’ozone, déforestation, perte de biodiversité, réchauffement climatique, la liste des impacts environnementaux à la production, à l’utilisation ou au recyclage, est
longue. A quoi peut encore s’ajouter l’impact sur la santé humaine, par contamination directe pour ce qui est des hommes, des femmes et des enfants qui travaillent dans les mines, dans les chaînes de fabrication, ou dans celles du démantèlement, et par contamination indirecte pour ce qui est des habitant.e.s proches des sites de travail, mais aussi des utilisateurs/trices !
« Les impacts des TIC ne se limitent pas à l’énergie consommée en phase d’usage, ni aux ressources utilisées pendant la phase de production. Bien que peu médiatisées, les pollutions générées lors des différentes phases du cycle de vie de ces équipements sont bien réels. »
Elles touchent à la fois l’air, le sol et l’eau, et sont pour l’essentiel de type chimique – organique et inorganique – et persistantes. S’il est question de pollution chimique de l’air, et de particules fines, la plus grosse pollution atmosphérique est liée à l’émission de CO². En grande partie due à la combustion des énergies fossiles employées à la fabrication de l’électricité qui leur permet de fonctionner, mais aussi de celle qui est nécessaire à l’extraction des métaux qu’ils contiennent et qui est particulièrement intensive en carbone. Ainsi par exemple de l’or, qui génère 17 000 tonnes de CO² par tonne de métal primaire extrait. Concernant les sols, les pollutions touchent à la fois les sites miniers (incluant le territoire des usines proches qui se chargent du traitement des minerais extraits), les sites industriels de fabrication des éléments électroniques, et enfin les sites de traitements et/ou de stockages des déchets. Quant à l’eau, les pollutions subies sont chimiques, métalliques et thermiques. Les premières ont un dangereux caractère rémanent qui rendent les traitements en vue d’épuration inefficace ; Les secondes provoquent une accumulation de métaux lourds qui ont des répercussions à long terme sur l’environnement et les organismes. Et la troisième enfin, due en grande partie au refroidissement et à la climatisation des centres de données, perturbent gravement la vie aquatique animale et végétale.
Effets rebonds
S’il est vrai qu’en théorie, les TIC ont un réel potentiel de réduction des émissions de gaz à effet de serre, la multiplication des équipements et des usages produisent l’effet inverse. C’est ce qu’on appelle l’effet rebond. Rien ne sert d’avoir une voiture qui consomme deux fois moins de carburant, si on roule trois fois plus ; et le gain écologique en sera d’autant plus discutable si, pour acquérir le véhicule soi-disant propre, on abandonne dans un fossé le véhicule polluant ! Or il est avéré que, d’une manière générale, la progression constante de la demande annihile les effets positifs des améliorations technologiques, qui auraient dû avoir comme conséquence un moindre impact environnemental. Ainsi, par exemple, en dépit des progrès technologiques qui ont permis de diminuer l’apport de silicium dans la fabrication des appareils, entre 1998 et 2020, la production mondiale de wafers (galettes de silicium) passera de 24.5 milliards à 133 milliards. Effet rebond énergétique : rien que pour suivre la demande en silicium ultra-pur que requiert la fabrication des puces électroniques, on prévoit une augmentation de la consommation de charbon de 4.5 milliards de tonnes à 6.9 milliards de tonnes d’ici en 2020.
Depuis un fameux documentaire produit par Arte 1, tout le monde connaît l’obsolescence techniquement programmée par les concepteurs en vue de réduire artificiellement la durée de vie des machines et des équipements. En revanche, on parle nettement moins d’une autre forme de pousse-au-crime consumériste sur lequel pourtant nous aurions tout le pouvoir d’agir : Il faut savoir, en effet, que
très peu d’outils informatiques sont renouvelés pour cause de panne rédhibitoire. La plupart l’est simplement en vue d’acquérir « la nouvelle génération » qui se présente comme plus rapide, plus puissante, plus performante, et ironie s’il en est, plus écologique que l’ancienne. « Ancienne » avec guillemets car six mois suffisent sur le marché des TIC pour passer de la pointe technologique à la ringardise ! Ainsi l’obsolescence psychologiquement conditionnée par la publicité mène-t-elle à une avidité d’achats de la part des utilisateurs/trices, tandis qu’elle impose une véritable course aux armements du côté des fabricants et des fournisseurs de services. Résultat : une affolante croissance de la production des déchets, de l’épuisement des ressources, et de l’exclusion sociale et professionnelle des non- ou des sous-équipé.e.s.
Enfin, l’avènement des micro-ordinateurs, et de leurs miniaturisations, a signifié l’apparition dans la vie quotidienne des humain.e.s d’une sorte excroissance technologique « tout en un » leur servant à la fois d’horloge, de téléphone, d’appareil-photos, de machine à écrire, de lecteur de films et de musiques, de radar, de réveille-matin, de radio,… etc. Désormais, certaines de ces fonctions, très gourmandes en ressources, peuvent justifier à elles seules le remplacement de l’ensemble ! Le plus sollicitant à cet égard est le jeu vidéo, qui nécessite toujours plus de puissance et de définitions graphiques, invitant à changer sans cesse de matériel si l’on veut profiter du dernier cri en matière d’innovations et de performances.
Ma première conclusion sera : il n’y aurait pas de produits s’il n’y avait pas de clients.
(à suivre)
Notes:
- Prêt à jeter ou l’obsolescence programmée – Arte – 2011 : http://bit.ly/SyylWP. Sur ce même sujet, on pourra lire « La marche du progrès », de Grégory Robert (une archive de C4 disponible ici : http://bit.ly/1oNc04v ↩