Trois auteures en quête de droits

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Les textes qui suivent témoignent du désarroi dans lequel le droit d’auteur coince parfois celles et ceux à qui il est pourtant censé accorder protection. Trois auteures au parcours forcément singulier nous racontent leurs péripéties lorsque vient le moment de gérer leurs droits de propriété intellectuelle. Et là, seule transversalité qui s’impose avec un peu d’évidence, c’est qu’aucune ne parviendrait à vivre grâce aux rentes tirées d’un copyright appliqué sur la circulation de leurs œuvres.

Aurélie William Levaux est auteure, dessinatrice, brodeuse, plasticienne. Elle publie ses œuvres dans plusieurs maisons d’éditions indépendantes (Atrabile, United Dead Artists, L’Association, La Cinquième Couche…). Elle expose un peu partout en Europe et donne des cours de dessin à Saint-Luc Liège.

Un jeune auteur est si obsédé par l’envie de sortir un livre qu’il en oublie ses droits, prêt à donner et même parfois à payer pour que son travail soit visible. Un jeune auteur est candide, cette candeur profite à d’autres, et force les jeunes auteurs suivants à l’être. La candeur devient institution. Un jeune auteur au fait de ses droits et osant parler d’argent risquerait de paraître prétentieux. Et dans le monde de l’édition indépendante, la prétention, c’est mal. Parler d’argent est sale et indigne. L’auteur se doit d’être fauché et de l’assumer car être auteur dans l’édition indépendante est plus qu’un travail, c’est une passion, et la passion n’a pas de prix. Et si l’auteur veut de l’argent, alors, qu’il fasse un vrai travail, un job chiant, comme tout le monde, et arrête de jouer à l’artiste. Je ne suis plus une jeune auteure, mais c’est toujours la même merdouille, et quelque part, c’est rassurant, un auteur ne ressent pas le poids de l’âge car sa vie sera toujours aussi bancale.

Quand j’ai réalisé mon premier livre, je n’avais aucune notion de ce qu’était le droit d’auteur, cela me semblait très éloigné de ce que je vivais, de l’acte de création. On nous en avait parlé, dans les écoles d’art, bien sûr, mais lorsqu’on est étudiante, qu’on n’a encore rien publié et qu’on ose à peine l’imaginer, ce genre de notion paraît très abstraite. Ce qui ne sert pas dans l’instant est aussitôt oublié. On ne peut pas envisager de signer un contrat avant même d’avoir pondu la moindre phrase, on ne met pas la charrue avant les boeufs. Tout le monde le sait, sauf les professeurs qui en font leur métier.

Pour mon premier bouquin, donc, remplie de joie, de timidité et de reconnaissance envers mon éditeur qui avait pris ce risque immense de croire en moi, je n’ai rien réclamé : cela m’aurait paru indécent, et d’ailleurs, je n’y pensais pas. J’ai reçu un contrat des mois après la sortie du livre. Contrat qu’avec beaucoup d’intelligence et de confiance, j’ai signé sans lire. Des mois plus tard encore, alors que je sortais mon deuxième livre et que le premier fut épuisé, je me demandai pourquoi je n’avais pas eu un balle sur toutes ces ventes. Je voyais mes livres partout, on m’en disait du bien, les gens pensaient qu’en les achetant, ils me faisaient vivre… Cela me rendait malade. Je lus alors mon contrat et réclamai mes droits d’auteur à mon éditeur qui me balada pendant près d’une année. Un avocat m’aurait coûté plus cher que les droits ridicules que j’aurais dû percevoir, la situation était bloquée. On me conseilla alors de contacter la SCAM[1].

Celle-ci, à force de lettres, de négociations et de menaces, réussit à faire peur à mon éditeur et à le pousser à me verser mes droits d’auteur.

Le paradis

Le monde de l’édition indépendante est beau et engagé. Les éditeurs se battent pour sortir des livres alors que plus personne n’en veut et préfère s’acheter des choses utiles et non périssables telles que des Iphone et des poubelles Wesco. Les auteurs sont bien au fait des difficultés de leurs éditeurs et, plein de compassion et avec un vif besoin de publier, ne demandent rien. C’est un
monde idyllique basé sur le partage, le don de soi et le bénévolat. Un monde où chacun est baisé, mais avec le sourire et la foi d’avoir marqué l’humanité par un travail sensé et profond.

Dans ce monde paradisiaque où la notion d’argent n’existe pas, les auteurs se réjouissent de parfois être invités au restaurant, dans des foires du livre, des hôtels, et de pouvoir rencontrer leurs pairs. Oui, il y a des avantages à être auteur se dit-on lorsqu’on mange son sandwich en dédicaçant ses petits livres au salon du livre de Boulogne-Billancourt.

La vie

Le livre est un objet consommable, vendu, acheté, exposé, sujet de conversation, d’analyse et de débats. Le monde semble oublier qu’il y a une personne derrière qui, elle, ne perçoit que des centimes sur chaque publication.

Je donne cours à présent, et lorsque mes étudiants d’illustration et de bande dessinée me demandent ce que gagne un auteur par mois, je ne sais que leur répondre. On peut parler du salaire du coiffeur, du boulanger, du dentiste, du chauffeur de taxi, du chômeur, de l’avocat, mais le salaire de l’auteur n’existe pas. Les belles images, les poèmes, les histoires, ça ne paie pas. Quand on me dit : « Ça marche bien pour toi, tu sors plein de choses », ça sous-entend que je me fais des couilles en or, que je vis confortablement. C’est faux. Vivre du livre est quasi impossible, à moins de faire vraiment de la merde, du commercial creux, et entre perdre son âme ou vivre fauché, le choix est vite fait. Alors on continue, on est publié dans des journaux, des magazines, des revues d’art, la plupart du temps sans percevoir le moindre droit d’auteur, mais avec l’impression que le faire, y être, contribuera au développement d’une carrière, à la reconnaissance. Cela fait du bien à l’ego.

Les droits d’auteur, c’est un peu comme une petite tape dans le dos, un geste de soutien, une dringuelle, un pourboire. L’auteur, n’étant pas une machine, ne peut produire plus vite que son cerveau ne le permet. L’auteur vit donc misérablement.

La joie

Faire ce qu’on aime en étant intègre implique souvent de vivre comme un clodo, c’est un problème de société. L’auteur pourrait très bien se rebeller, il pourrait très bien y avoir une grève des auteurs, pour avoir accès à un statut digne de ce nom, une reconnaissance financière, mais cela semble impossible. L’auteur ne pouvant vivre sans être auteur ne peut qu’accepter sa situation. Il ne peut pas dire “C’est le fric ou j’arrête”, car il n’arrêtera jamais, c’est au-dessus de ses forces, il a besoin de créer, d’écrire, de dessiner, d’être vu et lu. C’est donc de sa faute, l’auteur, ce grand con de romantique en recherche d’amour : il n’a qu’à s’en prendre à lui-même. De toute façon, sa nourriture étant spirituelle, il ne va pas commencer à pleurer parce qu’il ne peut pas boire du champagne.

Caroline Lamarche | Vous avez dit « indépendante » ?

Caroline Lamarche, prix Rossel, anciennement secrétaire de la SACD et publiée dans la collection blanche (Gallimard) nous livre son témoignage d’indépendante. Une carte blanche qui veut défendre la création et la solidarité.

J’ai un statut d’indépendante. Le contrôleur des contributions me l’a fermement « suggéré » (à vrai dire, je n’avais pas le choix car à l’époque je ne travaillais pas, je m’occupais de mes enfants) quand j’ai eu le prix Rossel et commencé à toucher des droits d’auteur.

Au départ, je ne payais pas de cotisations : étant mariée, j’avais un statut d’indépendante complémentaire. Maintenant, je suis indépendante à titre principal. Je paie les cotisations minimales, mais c’est beaucoup pour le peu que je gagne. Ça dépend des années, évidemment, mais le plus souvent, ça ou vivre du minimex, c’est la même chose. Et je ne suis pas la seule. Les rares créateurs indépendants que je connais rament aussi. L’un d’entre eux, rencontré dernièrement, m’a dit qu’il avait fait un plan pour payer ses dettes. Et que ce plan incluait des « prestations gratuites », car il
fallait rester « visible ». Et toujours avoir l’air content, car si on se plaint, les commanditaires se détournent de vous. Il faut donner l’impression que « ça marche », qu’on se débrouille à merveille : le succès attire le succès, les gens préfèrent voler au secours de la victoire. Voilà de quoi on parle quand on se rencontre. Et puis on passe à autre chose. Au récit de nos projets, de nos lectures, de nos rencontres : on adore nos vies de créateurs et les gens nous adorent. Car il ne faut pas croire que les créateurs pauvres sont des ratés. Ce sont des gens talentueux, exigeants, appréciés, qui font vivre de très belles manifestations culturelles, qui fournissent des heures passionnantes de lectures, des surprises visuelles, du bonheur. Simplement ce sont des auteurs « rares », autrement dit : tout sauf riches. Moi, j’ai de la chance, mon seul investissement est un Macbook et une « chambre à moi » dans la maison familiale. Faire de la photo, des films, des arts plastiques, avoir un atelier, ça coûte bien plus cher. Je connais des gens particulièrement doués, des gens hors du commun, qui ont abandonné. Car il faut souvent des années pour émerger.

Quand j’ai rencontré mon premier éditeur, il m’a dit : « J’espère que vous avez des rentes ou un conjoint salarié, car on ne vit pas de l’écriture ». À l’époque, mon conjoint était salarié. Il a perdu son emploi il y a cinq ans et est devenu indépendant en pleine crise. Il travaille comme un fou, week-end compris. Sans lui, pas de toit sur ma tête. Et pas d’écriture. On n’écrit pas quand on ne sait comment finir le mois. On n’écrit pas quand on est trop angoissé. Il faut un juste équilibre. J’ai donc la chance de vivre avec un homme qui m’a aidée à trouver l’équilibre qui me permet de créer, presque à temps plein, ce qui est indispensable. Je ne pourrais publier comme je le fais en étant salariée. Car pour créer, il faut un minimum de liberté mentale. Et puis créer, c’est aussi promouvoir son travail, répondre à des sollicitations, s’intéresser au travail des autres, bref, voir et être vu. C’est surtout, du moins pour la plupart d’entre nous, être capable de faire autre chose que du roman, être capable de tout faire, en fait… Et pourtant, ce premier éditeur, toujours lui, me disait : « Ne faites que du roman, les nouvelles, ça ne se vend pas, et ne faites ni de la radio, ni du théâtre, ni quoi que ce soit d’autre. Et arrangez-vous pour prévoir six mois d’isolement par an ». On voulait faire de moi, femme avec enfants et un mari travaillant à 800 km et ne rentrant que les week-ends, un auteur-moine. Dans l’espoir, improbable, que je devienne un auteur à succès. Ou plus vraisemblablement un auteur très pauvre pendant des années avant de connaître un éventuel succès.

Je n’ai pas obéi. Tout simplement parce que ma vie familiale ne me permettait pas l’isolement souhaité. Et parce qu’écrire un roman (« Faites-nous un roman pour les prix ! ») prend deux ans, sans la moindre rémunération. Et on ne vit pas sans rémunération. On ne conserve même pas un statut d’indépendant sans rémunération. Bien sûr, il y a des possibilités de bourses à l’écriture. Mais cela ne permet pas de vivre pendant deux ans, ce n’est pas un salaire, c’est une aide à projet. J’ai donc très vite accepté les commandes. Rémunérées évidemment. Car il y a aussi des gens qui voudraient vous faire travailler pour rien. On croit qu’un texte s’écrit sur un coin de table, en deux minutes. Non. La terre s’épuise quand elle est trop sollicitée sans apport d’engrais (naturel de préférence !) et sans repos. Sans argent, on s’épuise. L’argent, c’est de l’engrais, de l’énergie, c’est le signe de la confiance du commanditaire, ou des lecteurs, si on vend assez de livres. Mon dernier livre coûte 11,5 euros. Je touche 1,15 euros par exemplaire vendu. Et je serai taxée là-dessus. Et on ne me remboursera pas mes frais de train ou d’essence pour aller en parler ici ou là. Pour les autres travaux, les travaux de commande, je suis payée à la prestation.
Je rentre une facture. Comme un électricien ou un plombier. Simplement, les factures sont bien plus modestes. Si nous comptions nos heures, plus personne ne nous demanderait rien. Pour un texte payé cent euros, il m’arrive de travailler vingt heures. Et je ne compte pas le temps passé à réfléchir, à trouver une idée, à me documenter. De temps en temps, on a une très belle commande et on se sent, parce que correctement payé, plein d’énergie et de fierté : conditions idéales pour que les idées foisonnent.

J’adore ce qui est devenu mon métier. Mais ce n’est pas un métier. C’est un luxe rendu possible, dans mon cas, par une très forte solidarité conjugale. Et par une solidarité entre auteurs, dont le lieu est, pour moi, la SACD-SCAM. C’est là que je suis informée, soutenue et que je m’engage moi-même au service des auteurs en plaidant pour la solidarité de tous les acteurs du livre : librairies, bibliothèques, édition. C’est là que je rencontre des créateurs d’autres disciplines. Là que m’apparaissent les enjeux politiques de la création artistique. La création est-elle un enjeu électoral ? Non. Et pourtant : c’est sur nos scènes, dans nos œuvres, que se dit le monde d’aujourd’hui : le monde bancaire, le monde paysan, la vie des couples au quotidien, le désarroi des jeunes, la guerre, la violence faite aux femmes, aux travailleurs, aux personnes en marge. C’est là, sur scène, dans les livres, sur les toiles, que nous réveillons les consciences, que nous résistons. C’est nous aussi, à l’appel de certains collectifs[1] , qui nous mobilisons pour dire « non » aux terribles coupes budgétaires qui affectent la création européenne. D’un côté, dans son « livre vert » intitulé Libérer le potentiel des ICC (ICC pour « Industries culturelles et créatives »), l’Europe nous parle de « compétitivité », de « valeur ajoutée » et de lecteurs ou de spectateurs devenus des « consommateurs ». De l’autre, dans le réel, des pans entiers de la culture européenne s’effondrent, en Grèce, Espagne, Slovénie, mais aussi en Allemagne, en Angleterre, aux Pays-Bas et progressivement chez nous. Et cela nous rend solidaires des autres travailleurs, des autres pans de l’activité humaine, et particulièrement sensibles aux enjeux du monde à venir.

Christine Aventin | Les sociétés d’auteurs : coupe transversale

Christine Aventin est une auteure belge. Elle a écrit plusieurs romans (Portrait nu, 2005 ; Le désir demeuré, 2006 et, plus récemment, un essai-fiction sur l’oeuvre cinématographique de Catherine breillat (breillat des yeux le ventre, 2013)
Elle participe également à des expériences d’écriture collective, notamment dans le champ théâtral, domaine auquel elle a également contribué en écrivant le texte du spectacle Red Shoes (publié aux Editions MaelstrÖm, 2012, booklegs#94)

Ayant pas mal bossé ces derniers temps sur des thématiques relevant de ce qu’on nomme les « cultural studies », j’ai pris l’habitude, comme une forme d’honnêteté intellectuelle, de situer ma position : l’endroit depuis lequel je parle. Or, sur la question précise des sociétés d’auteurs, je suis loin de pouvoir prétendre m’adresser à vous depuis un territoire neutre, sans passif ni passion.

En effet, je suis autrice. Et ma première expérience des sociétés d’auteurs remonte à 1988. J’avais seize ans et je venais de signer un roman que les arcanes d’une campagne médiatique bien orchestrée par un des monstres de l’édition parisienne avaient, comme d’une simple chiquenaude, propulsé au rang de best-seller. Alors qu’au terme de la première année d’exploitation, mon éditeur allait me verser mes premiers droits, des gens de la Sabam téléphonèrent à mes parents afin de prendre rendez-vous ; ils se retrouvèrent bientôt à boire, avec sourire et politesse, un mauvais café dans le salon familial, tout en essayant de convaincre mon père de signer pour moi (j’étais mineure) leur contrat d’affiliation !

Nous n’avons pas signé. Et j’ai gardé de cet épisode une méfiance animale à l’
égard des discours – précédant contrats léonins – sur la protection des auteurs. Etant entendu que très clairement, ce petit comité sabamatique ne s’était pas déplacé jusqu’à Crisnée-lez-fins-fonds dans le souci de me protéger, mais uniquement de pouvoir prélever leur « pourcentage pour frais de fonctionnement » sur un montant dont on avait estimé qu’il valait le déplacement !

Il y a longtemps que je n’ai plus écrit de best-seller et pour tout dire, je m’applique consciencieusement à n’en plus jamais écrire. Cependant, je ne suis toujours affiliée à aucune société d’auteurs, en dépit de la pression qui m’y invite constamment !

Pression prenant la forme des nombreux avantages dont l’auteur non affilié ne peut profiter, en termes de bourses, de résidences, d’invitations, de prix et de visibilité. La liberté coûte cher, dans ce domaine comme ailleurs !

Il m’arrive de penser, avec un brin de fierté un peu bravache, que je suis l’ultime écrivaine libre de droits dans ce pays ! Et tel est l’endroit d’où je vous parle.
La première personne à laquelle m’est venue l’idée de poser mes questions sur la propriété intellectuelle et les sociétés d’auteurs, c’est David Gianonni. Directeur, entre autres casquettes, des éditions MaelstrÖm. J’ai la chance d’avoir publié chez lui un petit texte de théâtre dans une collection qui s’appelle Bookleg, dont chaque livre est à trois euros (un euro pour l’éditeur, un euro pour le libraire et un euro pour l’auteur) et contient en troisième de couverture cette petite phrase éminemment sympathique : « … que les livres circulent… la photocopie ne tue que ce qui est déjà mort… »

David Gianonni : « Il y avait un vieux slogan de la Sabam à l’époque qui disait, en substance “Le droit d’auteur, c’est le salaire des auteurs” et entre nous, on se moquait en disant “Le droit d’auteur, c’est le salaire des employés de la Sabam”. Pour moi, il y a une question qui se pose sur la gestion des sociétés d’auteurs, qui est : que font-elles de l’argent entre le moment où elles le perçoivent et le moment où elles le redistribuent. Cet argent, clair qu’il sert à spéculer. Vraisemblablement dans des placements sans risque, sur des comptes à terme : du gagne-petit mais qui, sur la masse perçue, constitue un vrai rendement.

Un groupe inscrit à la Sabam a besoin de l’autorisation de la Sabam pour pouvoir jouer ses propres morceaux. C’est dingue, quand même ! Et puis, une fois que tu es inscrit, c’est super compliqué de te désinscrire. Je me souviens de l’histoire d’un cinéaste affilié à la Sabam, il est invité à un festival et le voilà qui improvise publiquement un bout de musique… Il a reçu quelques jours plus tard une demande de comptes : la Sabam lui réclamait des droits !

Chez MaelstrÖm, on a eu un cas similaire avec Gaston Compère, que tout le monde connaît comme écrivain, mais qui est aussi compositeur de musique – ce qu’en revanche, personne ne sait. Et donc, on avait eu l’idée de sortir une anthologie de ses meilleurs textes poétiques avec un cd gratuit, offert à l’achat du livre. Il a dû lui-même avancer les droits d’édition à la Sabam, je me souviens que c’était 800 euros, en attendant donc qu’elle les lui rétrocède, à 80% (puisqu’il y a un prélèvement de 20% pour les frais de fonctionnement). Et donc, pour la petite histoire, deux ans plus tard, il n’avait toujours rien récupéré des droits qu’il avait avancés !

Mais donc, le truc, c’est que Gaston Compère n’était plus le propriétaire de ses œuvres : toutes ses compositions appartenaient à la Sabam et c’est elle qui décidait de la manière de les gérer. Donc, il n’était pas libre de nous faire cadeau de sa musique ! »

Tandis que nous parlons, entre dans la Boutique Kenan Gorgun, romancier et scénariste. Son arrivée me fait oublier ma question sur les ayants droit des auteurs décédés. Je me souviens, en effet que sur les contrats de la Scam-Sacd qui sont passés plusieurs fois sous mon nez, il y avait cette clause qui obligeait les héritiers à
poursuivre l’affiliation de leurs ascendants.

Aujourd’hui, voici ce que stipule l’acte d’adhésion : « Mon apport restera acquis à la Société civile des auteurs multimédia pendant toute son existence, en y comprenant les prorogations éventuelles, même si, contrairement aux stipulations du règlement général, certaines de mes œuvres n’avaient pas été déclarées au répertoire de la Scam. »

J’oublie donc ma question mais j’en profite pour l’apostropher sur le sujet des sociétés d’auteurs. Il est affilié à la SACD 1 . Je lui demande comment ça s’est passé. Il ne sait plus très bien : « Tu paies ton inscription une fois pour toutes, et ça vaut pour X dépôts, non ? Je crois… » Il a apparemment déposé tous ses écrits. Je lui demande pourquoi. Il me répond : « Pour être protégé ». Je lui demande « Protégé de quoi ? » Il me répond : « De l’utilisation illégale de mes textes ». Je rigole un peu, gentiment. Je pense aux enfants qui cachent leurs réponses d’interro avec un classeur dressé entre eux et leur voisin de pupitre. À qui viendrait-il l’idée de piquer le texte d’un autre ? Cela m’a toujours paru absurde, cette peur du plagiat, du voleur d’idée. J’entends bien que pour nous-mêmes, nos manuscrits sont précieux comme nos prunelles, mais enfin, pour les autres, ils ne sont jamais qu’une goutte dans l’océan des manuscrits ! Kenan m’explique qu’il s’est affilié surtout pour les scénarios « car ce sont des textes qui circulent beaucoup, qui passent dans de nombreuses mains, et qui sont propices au vol. Et puis la Sacd m’aide aussi pour négocier mes contrats. Dans le cinéma, il arrive souvent qu’au moment où ton scénario est accepté, le film est dans un montage hyper-serré, du coup les producteurs essaient d’obtenir de toi que tu renonces à tes droits. »

J’ai l’esprit de l’escalier et ce n’est que maintenant, en rédigeant cet article que me vient la réplique : « Mais, en vérité, n’est-ce pas précisément ce que la Sacd a obtenu de toi, que tu renonces à tes droits ? » Et puis, nul besoin d’une société d’auteurs pour attester de la p/m/aternité d’un texte. Il suffit de se l’envoyer par courrier et de garder l’enveloppe bien scellée avec le cachet de la poste qui fait foi de la date d’existence de l’œuvre.

Petit coup de fil, pour terminer, à Marie-Michèle Monté, de Assucopie : « Assucopie est l’une des huit sociétés de gestion de droits en Belgique. Elle travaille uniquement avec les auteurs d’ouvrages scientifiques et scolaires et ne gère pour eux que les droits de licence légale. À savoir la reprographie, le prêt public, la copie privée et les exceptions numériques. Ce qui signifie que, contrairement à d’autres (comme la Scad, la Scam, ou la Sabam) Assucopie ne s’approprie jamais les droits primaires qui restent toujours propriétés des auteurs affiliés. Nous sommes, nous, dans une démarche où les auteurs gèrent eux-mêmes leur droits mais ressentent la nécessité de se faire aider, d’être assistés par un cadre. Il est évident qu’il n’est pas possible pour un auteur d’être derrière chaque photocopie, chaque citation, chaque emprunt en bibliothèque que l’on peut faire de son travail, c’est pourquoi il nous délègue le droit d’aller chercher à sa place cet argent, via Reprobel par exemple, et de le lui redistribuer moyennant un pourcentage de fonctionnement. On propose des services, mais sans être une grosse machine. L’inscription chez nous est gratuite, il n’y a pas de cotisation à payer, il y a juste le prélèvement des frais. Qui est plus ou moins de 12% en moyenne. Par ailleurs, notre idée est que l’auteur doit rester maître de son œuvre. Libre à lui donc, s’il le souhaite, de cadenasser
totalement sa diffusion. Et libre à lui de la faire circuler à tout vent, s’il le préfère !
 »

Aurélie W Levaux

Caroline Lamarche

Christine Aventin

Notes:

  1. La SCAM est une société de gestion de droits d’auteurs spécialisée dans la littérature, le documentaire cinéma, tv et radio, l’illustration et le multimédia non fictionnel. À l’échelle internationale, elle rassemble quelque 30 000 membres, dont elle protège, négocie, perçoit, gère et répartit les droits. 2000 d’entre eux résident en Belgique.

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