Les fanfictions sur Internet Créations d’amateurs

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Depuis l’avènement du numérique, la propriété de l’auteur sur son œuvre ne cesse d’être remise en question par l’expansion des pratiques de réappropriation, de détournement ou de réécriture menées par les amateurs. Loin de recevoir passivement des productions culturelles qui seraient considérées comme fixes et intouchables, ceux-ci ont plutôt tendance à utiliser les œuvres qu’ils apprécient comme des matériaux pour créer à leur tour : empruntant là un personnage, là une chanson populaire, là une image… ils produisent des dessins, des films ou des écrits qu’ils diffusent ensuite sur Internet. Face à ces détournements inventifs, le droit d’auteur représente-t-il une protection nécessaire ou une entrave à la créativité ? La question ne cesse de se poser dans le milieu des amateurs de fanfictions.

La fanfiction – comme son nom l’indique – est un récit fictionnel écrit par un fan et inspiré d’une œuvre préexistante : il peut s’agir d’un livre (comme Harry Potter), d’un film (comme Star Wars), d’une série (comme Docteur Who), mais aussi de mangas, de jeux vidéo, de bandes dessinées, etc. Divers motifs peuvent pousser les amateurs à prendre la plume : ce peut être pour combler un manque de l’histoire originale (détailler un événement qui n’est qu’esquissé, raconter ce qui a été passé sous silence), pour enrichir un univers fictionnel (en inventant des suites ou des aventures parallèles) ou encore pour expérimenter les possibilités scénaristiques que l’auteur n’a pas exploitées (et si tel personnage n’était pas mort ? et si deux autres étaient tombés amoureux ? et si l’antagoniste avait été victorieux ? etc).

Le phénomène existait déjà bien avant l’arrivée d’Internet (il est né dans les années 1960-1970 au sein des communautés de fans de Star Trek 1 ), mais les possibilités de communication fournies par ce nouveau médium en ont considérablement augmenté la portée et la visibilité. Les modalités de publications sont, par exemple, devenues moins contraignantes : il est aujourd’hui possible de publier une histoire en un « clic », de la poster chapitre par chapitre et d’interagir rapidement avec les autres membres de la communauté. Les textes – qui avant passaient de main en main lors de conventions et n’étaient donc diffusés que de manière restreinte – se sont multipliés : pour illustration, on dénombre actuellement sur Fanfiction.net (le site central de cette pratique) pas moins de 676 000 textes basés sur le seul univers de Harry Potter.

Les fanfictions : une forme de plagiat ?

L’engouement suscité par cette pratique témoigne d’un renouveau dans le rapport des consommateurs aux œuvres culturelles. Celles-ci ne sont plus perçues comme la propriété d’un seul mais comme un bien commun 2 – ce qui ne va pas sans soulever certains problèmes d’ordre légal. En effet, bien que les fanfictions ne visent en aucun cas à générer du profit aux dépens des créateurs originaux (elles sont purement gratuites), elles n’en constituent pas moins des infractions au droit d’auteur : le fait de réutiliser les personnages ou
l’univers d’un autre ne peut normalement se faire sans l’autorisation de l’ayant droit. Malgré tout, un certain flou juridique entoure le phénomène, si bien qu’il est globalement toléré : les fanfictions ne pourraient-elles pas faire exception au droit d’auteur en s’assimilant à de la citation, de la critique ou de la parodie ? C’est en tout cas ce que défendent Henry Jenkins 3 et Rebecca Tushnet 4 , qui plaident tous deux pour que les réécritures amateur rentrent sous la protection du « fair use » américain (une exception au droit d’auteur autorisant les formes créatives de détournement). En outre, loin de se revendiquer propriétaires des œuvres dont ils s’inspirent, les fans-auteurs prennent systématiquement soin de signaler dans leurs textes, via un disclaimer, à qui appartiennent les personnages ou l’univers qu’ils utilisent. L’emprunt – qui est le fondement même de la fanfiction – est fait pour être vu.

Enfin, il importe de signaler que les études menées par l’industrie s’accordent généralement sur le fait que les productions amateur entraînent – d’un point de vue économique – davantage de profits que de pertes : les fans les plus investis dans l’œuvre sont aussi ceux qui génèrent le plus de bénéfices 5. Certaines entreprises (la plupart des firmes japonaises, par exemple), considèrent la participation des récepteurs avec une grande tolérance car elles « [voient] en eux des alliés pour développer des contenus nouveaux ou élargir des marchés. » 6

La nécessité de sanctionner légalement une pratique non seulement gratuite (voire profitable), mais aussi profondément créative (il ne s’agit pas de vulgaire plagiat : les fans produisent du neuf à partir d’un contenu populaire) pose donc réellement question.

La réaction des auteurs

Le débat étant toujours ouvert, il revient à chaque créateur de se positionner personnellement par rapport aux détournements que les fans font subir à son œuvre. Les réactions des auteurs originaux sont, en conséquence, assez disparates. Certains, comme l’écrivain Terry Pratchett, tolèrent le phénomène. D’autres, comme J. K. Rowling ou Joss Whedon 7 , vont jusqu’à l’encourager : « Les gens auront toujours quelques questions sans réponse concernant les personnages, et cela fera probablement l’objet de fanfictions. Vous savez, les gens prennent beaucoup de plaisir à écrire leurs propres histoires au sujet de mes personnages, et je leur souhaite bonne chance. S’ils aiment cela, alors c’est fantastique, et certaines fanfictions sont très bonnes ! » 8

Ces auteurs ont conscience que le rassemblement de communautés actives autour de leur production est loin de jouer en leur défaveur : en continuant à créer du contenu neuf, les amateurs donnent une seconde vie aux textes, films ou jeux qu’ils apprécient et jouent vis-à-vis d’eux, à l’occasion, le rôle de « publicitaires bénévoles ». Une réserve est toutefois régulièrement émise au sujet des
fanfictions comportant un contenu adulte explicite, qui posent problème car elles ne conviennent pas toujours au public visé par l’œuvre originale : les ayants droit de la licence Harry Potter (à savoir J. K. Rowling et Warner Bros) ont déjà, par exemple, demandé la suppression de certains textes pour ce type de motif. 9

D’autres auteurs, à l’inverse, sont fermement opposés à l’utilisation de leurs univers ou personnages par les fans (qui s’abstiennent généralement, dès lors, de prendre le risque). C’est notamment le cas de Robin Hobb (auteure de la série L’Assassin royal), pour qui l’écriture de fanfictions constitue une véritable insulte à son travail d’écrivain : « La fanfiction est comme toute autre forme d’usurpation d’identité. Elle nuit au nom de la personne dont l’identité est usurpée. » 10 Selon George R. R. Martin (auteur de la célèbre saga Le Trône de fer), il serait une erreur d’autoriser (ou même de tolérer) les réécritures amateur car une telle validation ouvrirait la porte à trop de dérives 11 . Il existe en effet un célèbre précédent, fréquemment cité par les créateurs pour justifier leur refus de la fanfiction : le conflit entre Marion Zimmer Bradley (auteure du cycle de fantasy nommé Ténébreuse) et une de ses fans. Bradley encourageait activement l’écriture amateur basée sur son œuvre (elle lisait les textes, les critiquait et même, parfois, les éditait) jusqu’à ce qu’elle rencontre une fanfiction développant une idée qu’elle souhaitait exploiter dans un ouvrage postérieur. Elle en a contacté la conceptrice et lui a proposé un dédommagement financier ainsi que la mention de son nom au sein du livre, mais cette dernière s’est montrée réticente à céder l’entièreté de ses droits. Finalement, les deux auteures ont été incapables de trouver un arrangement et l’œuvre de Bradley n’a jamais pu être publiée. Par la suite, elle a donc modifié sa position face aux fanfictions en cessant de les approuver.

Malgré tout, l’attitude défavorable des créateurs vis-à-vis de ces écrits semble se limiter au domaine de la littérature – sans doute en raison de la conception « sacralisante » et romantique de l’auteur qui y domine – et d’aucuns voient leurs velléités de contrôle comme des obstacles à la créativité et à la diffusion de la culture. Selon Jenkins 12 , la participation des amateurs en général et les fanfictions en particulier constituent un puissant moyen de contestation des modèles culturels dominants. Loin des représentations classiques du fan consommant passivement une production uniformisée, ces pratiques permettent aux minorités 13 de s’approprier les œuvres et de les réinvestir d’un sens nouveau. En permettant la diversification des contenus, la culture participative redessine le rapport du public à l’autorité et contribue à redistribuer les cartes du pouvoir : on peut donc légitimement s’interroger sur la pertinence d’un cadre légal conservateur qui répondrait aux formes actuelles de création sur le mode de la répression.

Fanny Barnabé

Notes:

  1. Voir Jenkins Henry (1992), Textual Poachers  : Television Fans and Participatory Culture. New York, Routledge.
  2.  La constante appropriation des contenus fictionnels par les fans serait facilitée, selon Flichy, par le fait que les produits culturels ne prennent plus tant la forme d’oeuvres finies que d’« univers multimédias où fleurissent des oeuvres multiples qui renvoient constamment les unes aux autres. Les producteurs ne créent plus des oeuvres, mais des univers; l’auteur devient un world maker ». Cette tendance a une influence directe sur la réception des oeuvres puisque celles-ci ne sont plus seulement consommées mais explorées, habitées et alimentées par le public. Voir Flichy Patrice (2010), Le sacre de l’amateur: Sociologie des passions ordinaires à l’ère numérique. Paris, Seuil, p. 33.
  3.  Jenkins Henry (2006), Fan Fiction as Critical Commentary, sur Confessions of an Aca-Fan. URL : http://bit.ly/1poI77U (consulté le 28/02/2014).
  4.  Tushnet Rebecca (2007), « Copyright Law, Fan Practices, and the Rights of the Author », dans Grey Jon et al., eds., Fandom: Identities and Communities in a Mediated World, New York, NYU Press, pp. 60-71
  5.  Il s’agit de la règle des « 20-80 » en marketing: les vingt pour cent de clients les plus fidèles génèrent quatre-vingt pour cent du chiffre d’affaire.
  6.  Jenkins Henry (2006), Convergence Culture: Where old and new media collide, New York, New York University Press, p. 203.
  7.  Créateur de la célèbre série télévisée Buffy contre les vampires.
  8.  Réponse donnée par J. K. Rowling lors d’une interview sur la chaîne britannique ITV le 16 juillet 2005, retranscrite et traduite par Alice Boucherit dans son mémoire de master : « Harry Potter selon ses fans » : approche d’une communauté Internet et de ses fanfictions, Université de la Sorbonne, 2011, p. 12.
  9.  Voir la page « Harry Potter Adult Fan Fiction », sur Chilling Effects. URL : http://bit.ly/1gf3CYa (consulté le 28/02/2014).
  10.  Extrait de l’article de Robin Hobb « The Fan Fiction Rant » disponible sur Internet Archive. http://bit.ly/1gNhBji (consulté le 28/02/2014).
  11.  Voir son article « Someone is angry on the Internet » sur Not a blog. URL : http://bit.ly/1rhSlKZ (consulté le 28/02/2014).
  12.  Jenkins Henry (2006), op. cit.
  13.  L’écriture de fanfictions est, par exemple, une pratique essentiellement féminine.

3 Commentaires

  1. Myriam Charbonneau's Gravatar Myriam Charbonneau
    29 novembre 2014    

    J’aime lire et écrire des FanFictions. J’en écrivais et en dessinais avant même de savoir que ça avait un nom. On l’a tous fait. Inventer des histoires sans pour autant les écrire. Sérieusement, inventer des histoires en jouant avec une Barbie ou un GI-Joe, c’est comme une fic mais sans l’écrire. On invente des histoires concernant des personnages déjà existant.

    Tant et aussi longtemps qu’on ne prétend pas posséder des droits sur l’oeuvre d’origine, qu’on ne tente pas de faire de l’argent et qu’on respecte le refus de certains auteurs concernant les FanFictions, je ne vois pas quel mal ça fait.

    Pour les auteurs réticents, on peut toujours utiliser leurs oeuvres tant que ça reste privé. Si j’utilise les personnages de Anne Rice et que je suis la seule ensuite à la lire, je ne fais rien de mal. Tant et aussi longtemps qu’elle ne reste que pour moi.

    Je vois les problèmes que ça peut causer. Si un fan écrit quelque chose que l’auteur avait prévu sans que l’un au l’autre ne connaisse les intentions de l’autre, le fan pourrait croire que l’auteur le copie. Techniquement, même si le fan en question crée une histoire totalement originale, il ne peut pas vraiment prétendre avoir un droit sur son histoire. Il peut s’insurger contre un autre fan qui le plage mais pas contre le véritable propriétaire du Fandom dont il est question.

    Concernant les multiples définition d’une FanFiction, comme quoi les histoires sur des célébrités ne devraient pas entrer dans cette catégorie, voici ce que je pense. Une FanFiction, comme le nom l’indique est une fiction créé par un fan. « Fiction » signifie que ce n’est pas réelle, dans le sens de « pas une histoire vraie ». Donc, les histoires sur des célébrités rentrent dans cette catégorie.

    Désolée du roman.

  2. LaFilleQuiSurfeSurLeNet's Gravatar LaFilleQuiSurfeSurLeNet
    26 décembre 2014    

    Je me suis toujours demander si ont pouvais se faire poursuivre par les droits d’auteurs ou par les célébrités car moi j’aime ça en faire avec des personnes réelles dedans. Mais ça me fait peur de voir la réaction des stars s’ils tombaient une de mes histoires. J’aime ça partagé mes histoires sur le net, mais ça me fout la trouille quand ont les entends dirent ce qu’ils pensent des fanfictions dans les interview.

  3. 10 mars 2015    

    Bonjour.
    Je suis écrivaine, et je lis aussi des fictions, tout comme j’en écrit. Je suis du même avis que J.-K. Rowling : si ça peut perpétuer l’histoire et que les gens aiment, c’est super. Je pense que c’est bien 🙂 Même s’il y en a des totalement loufoques ou a contenu adulte 🙂 Faut juste prévenir, c’est tout.

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