Le manifeste du remixeur la création dans le partage

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En 2008, Brett Gaylor, documentariste canadien, réalise Rip ! : A Remix Manifesto à propos du changement du concept de copyright en ce début de XXIe siècle. Un documentaire que l’on peut visionner gratuitement sur de nombreux sites ou acheter à prix libre sur ripmanifesto.org, le tout sous la licence Creative Common Attribution. 1

À partir de son artiste préféré Girl Talk, qui n’utilise que des extraits de musiques existants (des samples) pour créer de nouveaux sons, autrement dit des mash-up, Brett Gaylor pose une première question : qui est l’auteur de la chanson ? Prince, Queen, ou Girl Talk ? La réponse du droit : cela ne dépend pas de qui a composé la chanson mais de qui en détient le copyright. Et c’est bien là que se situe le problème.

Brett Gaylor place ainsi l’évolution du copyright dans une guerre d’idées dont le champ de bataille est aujourd’hui Internet, avec un nouveau langage : le remix. Telle la querelle des Anciens et des Modernes, cette guerre se situe entre le passé et le futur : « Les propriétaires de la culture que nous remixons, c’est le passé. Et ils ont déclaré la guerre », commente le réalisateur dans son film. Ces propriétaires représentent le côté « copyright », pour qui les idées sont de la propriété intellectuelle (intellectual property). De l’autre, ceux qui veulent partager les idées : le « copyleft ». Ce côté-ci entend protéger le domaine public et prône l’échange d’idées. Brett Gaylor en fait partie et son documentaire sert de manifeste :

1/ La culture se construit toujours sur le passé

2/ Le passé essaye toujours de contrôler le futur (Et George Orwell disait : « Celui qui contrôle le présent contrôle le passé. Celui qui contrôle le passé contrôle le futur ». Copyright ?)

3/ Notre futur devient moins libre

4/ Pour construire des sociétés libres, vous devez limiter le contrôle du passé

Marybeth Peters, registraire du copyright aux États-Unis, est interviewée après seulement dix minutes de film. Elle commence par avouer qu’elle n’a pas d’ordinateur chez elle… puis découvre avec Brett Gaylor ce qu’est un mash-up. Emerveillée par la performance de Girl Talk, elle n’en démord pas pour autant : « Tu ne peux pas défendre ta créativité lorsqu’elle est basée sur les œuvres d’autres personnes ». Ce qui pour la plupart d’entre nous est une affirmation absurde, fonde néanmoins le droit de propriété et de copyright aux États-Unis et dans bon nombre d’autres pays.

En 1998, les États-Unis modifient la loi sur le copyright : la Loi américaine d’extension du terme des droits d’auteur (Copyright Term Extension Act) prolonge les droits à septante ans après la mort d’un auteur, et dans le cas des œuvres collectives d’entreprises, à cent-vingt ans après la création ou nonante-cinq ans à partir de la publication, la durée la plus courte s’appliquant selon le cas. Cette loi modifie aussi les droits d’auteur des œuvres antérieures au 1er janvier 1978 en ajoutant vingt ans à leur terme, soit nonante-cinq ans à compter de leur publication. Elle gèle aussi les dates d’entrée dans le domaine public des œuvres aux États-Unis. Ainsi, aucune des œuvres créées après le 1er janvier 1923, et qui auraient dû entrer dans le domaine public en 1998, ne le seront avant 2019.

En réponse, Napster, un service P2P destiné à l’échange de fichiers musicaux voit le jour, mais se retrouve vite accusé de violation de droit d’auteur. Depuis, Napster a été racheté par le groupe Best Buy puis Rhapsody, pour devenir aujourd’hui un site de
téléchargement de musiques payant et légal, respectant le copyright… Le lancement de Napster a provoqué une vague de procès pour téléchargement illégal. Des citoyens se sont retrouvés poursuivis pour quelques chansons et condamnés à des milliers voire des centaines de milliers de dollars d’amende. Un homme s’élève contre cela et sort du lot : Lawrence Lessig, juriste américain, fondateur et président du conseil d’administration de l’organisation Creative Commons. On le voit dans le documentaire donner une conférence sur le copyright. D’après lui, on ne peut pas stopper cette technologie qu’est Internet, on ne peut que la criminaliser et appeler ceux qui ne veulent pas suivre les règles des « pirates ». Or, Lawrence Lessig encourage justement la liberté sur internet et s’oppose à cette interprétation extensive du droit d’auteur, qui porte atteinte à la créativité et aux échanges.

Dans la dernière partie du film, qui développe le quatrième point du manifeste, le ,réalisateur dépasse la question de la musique et de l’art afin de montrer les enjeux du copyright. Girl Talk, artiste mash-up, est aussi ingénieur. Il fait le parallèle entre la création musicale à partir de samples et la recherche scientifique : pour lui, c’est la même chose. Parfois un chercheur aura un projet, mais une partie de celui-ci sera déjà brevetée et alors, impossible d’aller au bout : le savoir et la connaissance sont retenus. « Quand je dis que la culture est menacée, je ne parle pas que de films ou de musique, je parle vraiment de tout, insiste Brett Gaylor dans son film. Le concept de propriété intellectuelle est addictif. Une fois que tu réalises qu’une idée est plus rentable que de l’or ou du pétrole ou même qu’un bout de terre, alors il n’y a plus de limite dans ce qui peut être pensé comme propriété. » Il tire ainsi un bilan selon lequel le XXe siècle était celui de la propriété territoriale, et le XXIe celui de la propriété des idées.

« Le monde est un monde de collaborateurs », soutient-il, et non plus de « consommateurs passifs ». On peut créer, partager, agir. Mais se dirige-t-on vers un monde appartenant à des entreprises et des marques, où il faudrait constamment demander la permission ou le droit d’utiliser les productions du passé, et où ces mêmes entreprises auraient le droit de mettre sous clé les idées ? C’est la question que pose Brett Gaylor à la fin de son documentaire. Quelques années plus tard, la réponse, néanmoins complexe, semble être oui…

Notes:

  1. Cette licence laisse les tiers diffuser, remixer, altérer et amender votre oeuvre, y compris à des fins commerciales, tant que la paternité de l’oeuvre originale vous est attribuée. C’est la licence offerte la plus flexible. Elle est recommandée pour une dissémination et une utilisation maximales de matériaux sous licence.

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