KLAXON est un magazine électronique bruxellois consacré à l’art vivant dans l’espace public. Il propose des angles d’attaque forts, et parfois provocateurs, sur la question. Le premier numéro disponible, sous le titre de « Ville Société », a été mis en ligne en janvier 2014. C’est dire si la peinture est encore fraîche, mais l’on peut cependant déjà juger de la très grande ambition du projet, et de sa qualité! Dans un format numérique multiplateforme, destiné à être lisible, regardable et écoutable sur smartphone, liseuse, tablette, ou en ligne.
Trois autres numéros sont à paraître dans l’année, centrés chacun sur une thématique particulière : l’art vivant dans la Ville Cité, dans la Ville Tracé et dans la Ville Marché. Autrement dit, après les aspects sociétaux qui constituent l’artère centrale du numéro 1, ce sont les aspects politiques, urbanistiques puis économiques de l’espace urbain qui se verront traiter, sous la lorgnette des expériences de l’art vivant qui s’y tentent et s’y déploient.
La réalisation graphique et interactive a été confiée à Émeline Brulé, une toute jeune graphiste, sortie de St Luc Tournai, installée à Paris et chercheuse passionnée d’E-publication, « qui invente des processus, des lignes de codes incroyables ! » dixit Benoît Vreux, directeur du Cifas d’où émane la revue. Nous lui avons demandé de raconter l’histoire qui a mené à sa création.
Benoît Vreux : Depuis que j’ai repris la direction du Cifas, en 2009, j’ai réorienté les missions vers le travail artistique dans l’espace public. Mais l’angle d’approche “Ville et Art Vivant” n’a pris sa véritable dimension qu’en 2012, avec notre première Université d’Été consacrée aux politiques culturelles urbaines. Depuis, nous avons multiplié les actions dans l’espace public (infiltration / traçage / ré-enchantement / revalorisation) et nous avons organisé une deuxième Université d’Été sur le même thème, avec une approche qui ciblait davantage les stratégies artistiques.
C4 : Concrètement, quel genre d’actions ou de réflexions menez-vous sur cette question de l’art vivant dans la ville ?
Benoît Vreux : Un des aspects particuliers des stratégies artistiques dans l’espace urbain est la participation, par exemple. Ainsi, nous faisons un stage en mai prochain sur les conditions idéologiques des projets participatifs qui fleurissent un peu partout. Ça court sur quatre jours, quatre sessions de quatre heures chacune et c’est mené par Roger Bernat, qui sera au même moment en création au Kunstenfestival des Arts. Le stage s’appelle “Audience not allowed/Public non admis”.
C4 : C’est cher ?
Benoit Vreux : C’est gratuit, mais l’inscription est, pour des raisons de confort, limitée à vingt personnes. Il suffit d’envoyer un mail de candidature au Cifas.
C4 : Mais donc…Klaxon est né de ces recherches ?
Benoît Vreux : En effet, Klaxon est né du désir que nous avions de diffuser la pensée qui émanait de ces recherches que nous menons. Nous avons réalisé le premier numéro sur fonds propres. Et sur fonds propres toujours, nous venons de boucler sa version anglaise. L’édition numérique n’est pas chère par rapport à l’édition papier. Très clairement, le poste financier le plus lourd, c’est la traduction, dans une telle revue. Et c’est dans ce but que nous cherchons des financements pour la suite.
C4
: Vous parlez de fonds propres, d’où vient l’argent du Cifas ? Quels sont les chiffres et les pourvoyeurs ?
Benoît Vreux : Le CIFAS reçoit une subvention d’activité de la part de la COCOF (Commission Communautaire française de la Région de Bruxelles-Capitale) d’un montant annuel de 114 000 euros. Nous bénéficions également d’une subvention de la Fédération Wallonie Bruxelles de 12 000 euros. Des recettes propres ou exceptionnelles, variables, complètent nos budgets.
C4 : J’ai cru voir sur votre site qu’Actiris était cité parmi vos soutiens financiers… C’est le cas ?
Benoît Vreux : En effet, le soutien d’Actiris consiste en la prise en charge à 95% du salaire de la permanente.
C4 : Et qui sont vos collaborateurs « non permanents » ?
Benoït Vreux : Il s’agit pour la plupart d’intervenants qui ont participé à l’élaboration de nos réflexions depuis 2012. Par ailleurs, nous souhaitons confier, pour chaque numéro, le poste d’éclaireur à un penseur des sciences humaines. L’idée est qu’il trace, dans une réflexion de fond, l’axe autour duquel vont s’articuler les différents textes. C’est Eric Corijn, (sociologue de la ville au CV long comme un inventaire, NDLR), qui a joué ce rôle pour notre premier numéro. Et puis tout autour, donc, viennent se greffer des parcours d’artistes, des témoignages, des reportages, des photos.
C4 : Quel est le statut et le salaire des rédacteurs ?
Benoît Vreux : Ils sont pigistes, rémunérés entre 250 et 450 euros, en fonction de la longueur des textes rédigés. Nous signons avec eux des contrats de cession de droits d’auteurs. La longueur des articles varie entre 8 000 et 25 000 caractères – ce qui est beaucoup trop long ; nous pensons réduire à l’avenir la longueur maximale des textes. Certains rédacteurs ne sont pas payés si le travail demandé s’inscrit dans le cadre de leurs fonctions, bien sûr.
C4 : Super bien payées vos piges !
Benoît Vreux : Leur montant est calculé selon des barèmes médians européens concernant les articles dans le milieu académique. Par ailleurs, je suis personnellement et professionnellement très engagé dans la cause des artistes, intellectuels et autres intermittents au statut précaire. Je tiens beaucoup à payer correctement ces gens !
C4 : Quel est votre lectorat ?
Benoît Vreux : C’est encore un peu tôt pour répondre à cette question. Mais je peux définir celui que nous visons, en sachant par ailleurs que la majorité de nos lecteurs se trouvera hors frontières, car la thématique et la forme de Klaxon intéressent davantage les enjeux anglo-saxons et européens. En Belgique, nous espérons atteindre les artistes, les activistes, les urbanistes. Et puis les nombreux responsables, travailleurs et acteurs culturels.
C4 : Politiquement, ou idéologiquement, est-ce que vous pouvez définir la ligne éditoriale de Klaxon ?
Benoît Vreux : Nous souhaitons devenir un espace critique et prospectif autour de la question essentielle des liens entre art vivant et espace public, entre artistes et politiques culturelles, entre art et citoyenneté. Nous voulons proposer des analyses, des modèles, du vocabulaire, au départ d’expériences européennes fortes et stimulantes.
C4 : Vous partez de quel constat ? Et vous visez quel idéal ?
Benoît Vreux : Le premier constat, c’est que d’évidence, les artistes aiment la ville, la vivent tous les jours, et l’animent, mais qu’ils n’en en ont pas les clés. Un autre constat est que les pouvoirs politiques veulent animer leurs villes, mais qu’ils ne savent pas vraiment quoi faire ni comment. Et enfin, nous constatons aussi que le dialogue se heurte
à des difficultés méthodologiques davantage qu’idéologiques. Les intermédiaires de terrain, maisons de jeunes, associations de proximité sont réfractaires à sortir de leurs murs. Les comités de quartiers ont un rôle très important à tenir. Et donc, la revue vise à émettre des idées, des stratégies, des hypothèses, afin de tisser des liens et d’agir sur le terrain. Dire aux artistes qu’il faut y aller, que c’est un terrain formidable, et dire aux politiques d’arrêter de confondre le tourisme, l’attractivité et la vitalité !»
What the fuck is « Cifas » ?
Le Cifas, c’est le Centre International de Formation en Arts du Spectacle. Sous cette appellation « arts du spectacle » sont comprises au sens le plus large toutes les pratiques, disciplines et actualisations des arts vivants : théâtre, danse, cirque, arts de la rue, performances, écritures de la scène, installations live,… Le projet consiste à initier et à développer un tissu de rencontres et d’échanges entre les artistes – créateurs et interprètes. Au programme : des ateliers de recherche menés par des artistes internationaux, invités à partager leurs techniques, leurs thématiques, leurs réflexions. Mais aussi des colloques, des universités d’été, des rencontres et des séminaires ouverts évidemment aux artistes, mais également aux pédagogues, producteurs, responsables politiques de la culture, et autres agents du secteur…
Œuvrant à l’émergence et à la reconnaissance des nouveaux territoires de l’art, le programme du Cifas privilégie par ailleurs trois axes, qu’il juge particulièrement aptes à venir troubler le regard que l’artiste porte sur sa propre pratique.
1 | L’art en relation avec l’espace urbain, d’une part, pose la ville moderne, en tant qu’elle est un croisement cosmopolite de mondes et de vies, comme une potentielle scène internationale en soi : mouvante, expérimentale, propice à toutes les audaces et à toutes les interrogations. Entre passants, habitants, artistes, urbanistes, activistes se nouent et se jouent des relations humaines, sociales, politiques et spectaculaires.
2 | Les nouvelles écritures dramatiques, d’autre part, se conçoivent non forcément comme un résultat fini mais comme un processus, où le travail de recherche mené sur soi et sur la langue peut opérer comme une effraction de l’intime et du réel.
3 | Les formes métissées de l’art, enfin, ne concernent pas seulement les approches transdisciplinaires, nombreuses dans les créations contemporaines, mais aussi des points de rencontre où l’art, les discours et les techniques s’échangent et se mêlent. (Ainsi de « cirque et féminisme », « vidéo et activisme » ou encore « écrire au XXIe siècle » pour citer quelques exemples de topiques métissés selon Cifas.)
Christine Aventin