À l’heure actuelle, il est difficile d’imaginer que le jeu vidéo puisse se diffuser autrement qu’en mode top-down, comme disent les experts. Du haut, l’industrie spécialisée du jeu vidéo, vers le bas, la masse des consommateurs. Pourtant, d’autres médias ont connu des changements radicaux: le cinéma, par exemple, a donné naissance à la vidéo – propice à une diffusion généralisée entre amateurs. Le média vidéoludique, reposant en partie sur la programmation informatique, pourra-t-il générer son propre « Super 8 » ? D’une Certaine Gaieté tentera d’apporter une partie de la réponse à travers un atelier, pour néophytes, de création de jeux vidéo.
En 1965 Kodak lance le « Super 8 », un nouveau type de film vidéo plus accessible, moins onéreux. C’est le début de l’ère de l’homovidéaste qui filme le repas de famille et qui immortalise les premiers pas de sa fille. Au passage le média « vidéo » se transforme et se structure : il y aura les courts-métrages de futurs talents reconnus, les petites histoires filmées et écrites entre amis et les captations d’instants, sans prétention aucune. Bientôt, on organisera des séances de projection dans les quartiers ou en famille. Des films, parfois des histoires, sont produits et diffusés par et pour des amateurs – bien loin de se projeter dans de telles situations quelques années auparavant.
À l’heure actuelle, on a du mal à s’imaginer recevoir de la part d’un proche un courriel contenant un mini jeu vidéo. Surtout que ce média est constitué d’images et de sons, mais aussi de l’interactivité, elle-même rendue possible grâce à l’informatique. Le jeu vidéo est le fruit de détournements de super-calculateurs des grandes universités dans les années 1950-1960. La compréhension de ces ordinateurs, ces processeurs, ces cartes graphiques et cartes mères reste inaccessible à la plupart d’entre nous. Mais est-il nécessaire de savoir comment sa télévision et sa caméra fonctionnent pour faire des films ? Manifestement non, au vu des millions d’utilisateurs de Vine, une application de Twitter qui permet de filmer et partager des vidéos de sept secondes. Ces vidéastes du dimanche ont probablement des connaissances techniques limitées. Par contre, ils semblent tous avoir intégré (avec plus ou moins de réussite) des éléments de la narration cinématographique : utilisation intuitive du champ/contrechamp, structuration en état initial, élément déclencheur et fin, et ainsi de suite.
Les deux dernières générations ont grandi avec les jeux vidéo. On peut donc imaginer qu’elles ont intégré des éléments importants de l’écriture interactive. Le « Super 8 » a démocratisé le média vidéo, par son prix et sa simplicité d’usage. Mais le jeu vidéo peut-il se rendre accessible au plus grand nombre ?
« I am at your command »
Le premier élément fondamental est la logique informatique, dont il semble difficile de s’affranchir et qui repose essentiellement sur des « conditions ». Par exemple, si le joueur appuie sur A, alors le logiciel effectue l’action « sauter ». Elles traduisent des règles du jeu, ce que l’on connaît tous très bien. Qui n’a jamais inventé un jeu entre amis, comme faire deviner un nom de célébrité, ou trouver des mots commençant par une certaine lettre ? « Et si tu échoues, (alors) tu meurs », disent les enfants. Toute la programmation est composée de ce genre de conditions très simples, qui semblent habiter notre quotidien et qui rejoignent notre utilisation des règles, des lois, des normes. Les nuances et la complexité du jeu vont émerger en associant ces énoncés simples les uns aux autres : si le joueur appuie sur B et que son personnage n’a plus de balles,
alors faire apparaître le texte « Rechargez ! ».
Qu’en est-il de la pratique ? Concrètement, comment traduire cette logique et l’appliquer pour en faire un jeu vidéo ? Pour qu’une machine fasse ce qu’on lui demande, encore faut-il savoir lui parler : c’est là qu’interviennent les langages de programmation. Un programmateur va traduire les conditions citées dans un langage déterminé, qui possède son vocabulaire, sa grammaire, ses règles de ponctuation, etc. Les principes logiques de base vont donc être transcrits dans un langage particulier, qui lui-même va indiquer à l’ordinateur quels calculs faire au niveau de ses circuits électriques. La programmation exige de ses adeptes des mois d’apprentissage – d’autant plus avec la complexification des logiciels – comme en atteste l’existence de formations de type long.
Mais on voit, ici et là, des tentatives, des expériences, qui pourraient bien changer la donne : il s’agit des logiciels de programmation assistée.
La création :
une activité grand public
Vous êtes professeur de français et vous souhaitez apprendre à vos élèves à reconnaître les noms propres de manière ludique. Ça tombe bien, car l’intérêt de la recherche est croissant pour la propagation des serious games dans les écoles. Une des voies choisies : la création de logiciels qui vous assistent dans la création de petits jeux tout simples. C’est le cas de « GLUP », un « générateur ludopédagogique » développé par l’Académie de Versailles, dont le prototype est disponible sur Internet. On peut y choisir un principe pédagogique tel que « souligner les éléments » ou « trier des éléments ». Vous choisissez la deuxième option et introduisez une série de phrases contenant ou non des noms propres. Vous indiquez quelles réponses sont correctes. Puis vous décidez d’utiliser le mécanisme ludique « Pop’s mots » : vos énoncés apparaissent dans des bulles sur lesquelles les élèvent doivent ou non cliquer. Le tout intègre un système de temps limite, de nombre de points, de musiques de fond, etc.
Vous êtes un vrai gamer nostalgique. Adolescent, vous jouiez à des « jeux de rôle » sur console, dans le style de Final Fantasy. Une vue du dessus, des combats aléatoires avec des monstres dans un monde d’heroic-fantasy, des donjons à explorer, c’est ça qui vous plaît ? Vous connaissez sans doute déjà RPG Maker. Ce logiciel permet de créer des jeux sans taper une ligne de code. L’interface, intuitive, permet de placer des décors sur une carte, d’y ajouter des personnages, des dialogues, des actions, des combats… Autre atout du programme : sa communauté de makers qui fournissent Internet en tutoriels et en packs d’images et sons réutilisables gratuitement. Le nombre de jeux réalisés par des amateurs à destination de ce public de niche est impressionnant. Mais si on peut l’utiliser pour créer différents types de jeux, impossible en revanche de se défaire de l’angle de vue et de chercher à produire ses propres mécanismes ludiques.
Vous êtes un membre du journal satirique liégeois Le Poiscaille et vous souhaitez réaliser un petit jeu vidéo mettant en scène un personnage qui ressemble étonnamment à Willy Demeyer, le bourgmestre de Liège. Vous connaissez un peu la logique informatique mais vous n’avez jamais appris de langage de programmation. Vous optez rapidement pour Construct 2. Ce logiciel se présente comme une interface pour vous aider à créer des jeux de HTML5 . Pas besoin de connaissances précises du langage ici, juste de la logique. Si ce logiciel reste moins facile d’accès que les précédents et n’est adapté qu’aux jeux 2D, ses possibilités sont par contre bien plus grandes, sa communauté est assez active, ses jeux sont compatibles avec la plupart des supports actuels (navigateurs, consoles, smartphones). Les auteurs du logiciel, Scierra, continuent d’apporter de nouvelles fonctionnalités et semblent s’inspirer d’RPG Maker en proposant des packs d’images à acheter séparément.
Il est bien sûr impossible de détailler tous les outils utiles et intéressants
qui cherchent à faciliter la programmation. La diffusion de jeux amateurs existe quasiment depuis le début, et des logiciels comme RPG Maker y ont largement contribué. Il est cependant trop tôt pour dire si les différentes initiatives permettront d’arriver, dans dix ou cinquante ans, à une diffusion généralisée et à une démocratisation du média telle qu’on la connaît en vidéo ou photo. Ce qui n’empêche en rien de contribuer au mouvement…
D’une Certaine Gaité présente
l’atelier média de création de jeux vidéo
C’est pourquoi une douzaine de personnes se réunit une fois par semaine, de fin février à mi-mai, pour apprendre à créer des jeux vidéo. Le but est simple : réussir à pondre la version bêta (non finalisée) d’un jeu vidéo au bout de quelques semaines à l’aide de Construct 2. Personne, parmi les participants, ne sait programmer. L’animateur (moi-même) ne bidouille que depuis quelques semaines. Le pari est simple mais ambitieux, puisque ces ateliers nous aideront à déterminer si on est loin de l’ère de l’homovideoludicus, où Monsieur et Madame Toulemonde pourra créer un mini-jeu et le diffuser librement sur Internet – éventuellement sur un nouveau réseau social dédié.