Le collectif « Je suis une femme et j’existe », qui regroupe des jeunes filles âgées de douze à dix-neuf ans, a été créé il y a un an à « l’Atelier », la Maison des jeunes de Saint-Nicolas. À l’origine, on trouve une communauté d’expériences : toutes les membres ont été « victimes à différents niveaux de violences ou d’injustices » en tant que filles. De quoi se questionner « sur les problèmes de genre et d’égalité dans notre société » et vouloir ensemble « trouver des réponses aux difficultés du quotidien. Sortir de ce rôle de victime pour réfléchir, sensibiliser, partager et interpeller dans l’espace public ».
Le collectif, soutien à l’individu
À « l’Atelier », lors des rencontres mixtes, ça ne se passait pas particulièrement bien : « Les filles débarquaient à une ou deux et restaient très peu de temps parce que, souvent, elles ne se sentaient pas à leur place. Et parfois, elles étaient même maltraitées par les mecs qui étaient là en nombre », nous raconte Vanessa Vandijck, travailleuse social à la MJ. Pour faire face au problème, un accueil « filles » a été organisé afin qu’elles puissent se rencontrer entre elles, « améliorer leur cohésion de groupe et débarquer ensuite en accueil mixte en plus grand nombre, renforçant ainsi leur sentiment de légitimité dans la Maison de jeunes ». Tout un travail de réappropriation de l’espace a été réalisé et, accompagnées d’une créatrice, les filles ont pu la décorer. Un travail sur la place des filles dans le groupe a aussi été enclenché : il s’agit d’envisager leur place en tant que femme au sein de la MJ, mais aussi dans la société.
Pendant les accueils « filles », les langues se délient : des injustices de genre vécues peuvent alors être racontées par celles qui les vivent. « Individuellement, les filles se plaignent de choses qui leur sont arrivées, ou relatent des histoires de personnes proches. Des choses compliquées. » Une collaboration voit le jour entre laCompagnie « Espèce de… », le Pac (Présence et Action culturelles) et la MJ. Un processus démarre en ayant pour dispositif « Les intelligences citoyennes » de Majo Hansotte. Vanessa Vandijck explique : « L’idée, c’est de partir des injustices pour les transformer en choses créatives, positives et interpellantes dans l’espace public ; dans ce cadre, il fallait travailler sur les discriminations qu’elles ont vécues, et en tout cas les aider à les dépasser ». Les filles accrochent et des rencontres se succèdent pendant plusieurs semaines, de janvier à juin 2012.
Prendre la parole
À la fin de cette phase du projet, les filles ont organisé un week-end à la campagne : il fallait comprendre comment poursuivre, c’est-à-dire comment s’exprimer et interpeller l’espace public. La mise au vert porte ses fruits : des textes de rap ont été écrits et une idée d’intervention originale voit le jour. Morgane, dix-neuf ans et membre du collectif raconte : « Nous avons réalisé une installation grandeur nature qui faisait deux mètres sur trois et qui a été exposée à la fête de quartier. C’était une dénonciation par rapport à ce qu’on vivait et ce qu’on vit encore… ». Anaïs, dix-neuf ans poursuit : « [on voulait montrer] que les apparences peuvent être trompeuses, la partie que les gens nous montrent, ce n’est pas forcément celle qu’ils vivent chez eux ».
Morgane nous décrit l’installation : « C’était une façade de maison toute belle et toute rose, avec le papa qui a le petit bébé sur les genoux et la maman toute souriante et en faisant le tour, on rentrait dans la maison, qui avait des murs noirs avec des photos de femmes portant des traces de coups sur le visage, et l’image de la femme qui fait dix mille choses en même temps : repasser, tenir le bébé, passer l’aspirateur, etc. Et le papa, lui, affalé dans le fauteuil avec une
bière à la main… Bref, les gros stéréotypes sur l’homme et la femme… ». Elle poursuit « [c’est dans ce sens] que les apparences sont trompeuses : des fois, on voit un couple qui va paraître à nos yeux presque parfait, et quand on rentre dans la maison, c’est tout le contraire ».
Lors de l’exposition, des membres de « Je suis une femme et j’existe ! », arborant un t-shirt du collectif et un sparadrap sur la bouche, tournaient autour de l’installation en distribuant des flyers reprenant des statistiques sur les violences infligées quotidiennement aux femmes dans le monde. Les rôles du papa et de la maman étaient joués par les filles du groupe mais aussi par les permanent-e-s de la MJ. L’ensemble se voyait accompagné d’une musique du style « Requiem For a Dream ». Ce dispositif avait pour objectif de dénoncer la violence dans le couple, que le collectif de jeunes femmes estime trop souvent circonscrite dans l’espace privé et rarement dénoncée. Et il s’agissait de le faire en interpellant les habitant-e-s du quartier dans l’espace public.
Les réactions ne se sont d’ailleurs pas fait attendre. Des responsables politiques ont grogné : ils ne comprenaient pas qu’un organisme telle qu’une MJ puisse servir de support à la dénonciation d’injustices vécues par des membres du public avec lesquels elle travaille – qui plus est pendant une fête de quartier. Certains spectateurs masculins habitants du quartier ont manifesté leur incompréhension. Les membres du collectif étaient tout de même satisfaites de leur action et de l’impact sur le public, tout en étant conscientes que le chemin est encore long.
Barbie
ne nous représente pas !
Après les vacances d’été, le projet continue. Le collectif participe à l’édition 2013 de la Foire du Livre Politique. À cette occasion, une exposition est organisée avec la distribution de « Barbarie, le livre », une sorte d’album façon Panini, avec des figurines à coller, mettant en scène la célèbre poupée, incarnation de la femme idéale, dans un éventail de situations tirées de la vie réelle. Avec ce travail, la réflexion s’élargit au-delà du problème des violences dans le couple, pour toucher celles de l’homosexualité, du rôle de la femme, du harcèlement dans l’espace public et de la normativité.
L’expo présentée au public de la Foire du Livre Politique se composait de maquettes où Barbie incarnait des rôles qu’elle n’a pas forcément l’habitude de jouer. « Dans les installations, ce sont des histoires personnelles qui sont représentées. Par exemple, la maquette qui illustre “Barbie à l’arrêt de bus qui se fait toucher le cul”, symbolise ce que nous sommes amenées à vivre et contre quoi on veut lutter », explique Anaïs. Morgane ajoute : « Il y a d’autres femmes qui peuvent se sentir concernées. L’exemple de la Barbie à l’arrêt de bus, on a fait exprès de lui mettre une mini-jupe et un décolleté parce que c’est ce qu’on entend souvent… Comme elle a un décolleté et une mini jupe, on a le droit de la violer, de la toucher : elle n’avait qu’à pas être provocante comme ça… Bref, si une femme met une jupe, c’est parce qu’elle a envie qu’on la baise ! » Et Anaïs de conclure : « alors que ça n’a rien à voir… c’est juste qu’on aime bien s’habiller comme ça ! » Morgane évoque d’autres situations de harcèlement dans l’espace public vécues au quotidien et qu’elles souhaitent dénoncer, comme se faire siffler ou se faire aborder avec des appréciations du style : « Eh mademoiselle, t’es bonne ! »
Dans une autre scène de la vie quotidienne, on peut voir une inversion des rôles : Ken s’occupe des tâches ménagères et des enfants pendant que Barbie, en tenue de plombière est en train de réparer les toilettes. « Je suis une femme et j’existe ! » veut ainsi donner à voir une manière de ne plus correspondre aux normes imposées par notre société. Morgane commente : « Dans la norme, c’est le
papa qui engueule et la maman qui fait les câlins. Pourtant, des fois, tu te retrouves avec seulement ta mère ou avec un papa qui fait des câlins et une maman qui gueule. Ma mère, par exemple, elle était toute seule et elle a joué les deux rôles ».
Dans d’autres maquettes, on peut croiser une Barbie ensanglantée gisant sur le sol avec Ken, couteau à la main ; deux Barbies lesbiennes en robes de mariée ; une Barbie coincée dans ce que le collectif nomme la « prison mentale », pour désigner ce cocon familial où beaucoup de femmes continuent encore, selon « Je suis une femme et j’existe ! », à s’enfermer ou à être enfermées. Ou encore la « femme marchandise », symbolisée par un caddie rempli de têtes de Barbie et une Barbie hors-normes, plus petite et plus ronde, « parce que les mensurations de Barbie sont irréelles. Son cou est deux fois trop long et trop fin pour soutenir une tête, ses chevilles ont les proportions de celle d’un enfant de trois ans et sa taille, si fine, ne pourrait contenir tous les organes ».
En réalisant cette exposition, les membres du collectif ont appris pas mal de choses, comme le détaille Morgane : « En tout cas, on aime bien déformer les Barbies… déformer une image parfaite qui est donnée par la norme. On aimerait qu’il existe des Barbies différentes, davantage de Barbies noires, et qu’elles ne soient pas moins chères que les blanches, ou encore des Barbies obèses ». Quant à une collaboration future avec leurs collègues masculins de la Maison de jeunes afin de mener un combat pour le changement des esprits et contre les stéréotypes féminins ? Elles semblent perplexes. Morgane révèle : « Ça va être chaud boulette, il y en a beaucoup qui ont une mentalité de base où l’homme, c’est “moi je dis !” et la femme “ferme ta gueule !”. L’effet de groupe chez les mecs est phénoménal à la Maison des jeunes et le problème, avec eux, c’est qu’ils ne s’intéressent à rien, sauf au foot et au paintball ».
S’il y a de la réticence à collaborer avec les garçons de la Maison de jeunes, les membres de « Je suis une femme et j’existe ! » restent prêtes pour de nouvelles aventures. Une participation à la prochaine édition du festival « Femmes en état de guerre » à Seraing, et peut-être aussi à la prochaine édition du festival « Voix de femmes », ainsi qu’une exposition à la Maison Communale de Saint-Nicolas sont envisagées. Souhaitons-leur une bonne continuation.
Parole d’une jeune fille
sur la place de la femme, sa place !Refrain :
Éduquée à la dure entre la chaîne et la ceinture. /
Ils ont fait preuve de rigueur lorsqu’ils nous mettaient les pendules à l’heure. /La haine est sans limite, elle anéantit vite, il faut le réaliser /
Pour mon éducation j’ai pas eu besoin de super Nanny. /
Ma mère m’a mis des coups à chacune de mes conneries. /
Mes grands frères aussi n’y allaient pas de main morte et j’en veux aux traces de coups laissées sur les portes /
Cousin ! Je m’enfermais dès que possible à double tour dans
les toilettes, les chambres et dans la cave de ma Tour. /Aujourd’hui encore j’en ai des séquelles, car ils ne faisaient
pas semblant quand ils me remontaient les bretelles ! /Pourquoi encaisser les coups et toujours la fermer ? /
Oui ! Après tout nous aussi, on peut très bien en donner !Ils nous renferment, ils emprisonnent nos vies, mais tout ça
c’est bientôt fini !!! /(Refrain)
Ils me disent pas de petit copain, pas de sortie ! /
Mais ils ne comprennent pas que nous aussi, nous avons
toutes des envies ! /Collectif « Je suis une femme et j’existe »
T. 14 ans