L’Éducation permanente, savons-nous vraiment ce que c’est? Plutôt que de reformuler les définitions que proposent les textes légaux, nous sommes allés à la rencontre de trois acteurs concernés. En nous racontant l’histoire et la vie de leurs associations respectives, ils nous permettent d’esquisser le portrait de la réalité liégeoise de l’Éducation permanente et, au passage, de nous interroger sur la pertinence du décret qui la régule.
Les trois personnes que nous avons rencontrées sont actives dans le milieu associatif liégeois. D’univers différents, ils ont chacun leur avis sur l’état de l’Éducation permanente aujourd’hui, avec ou sans reconnaissance des pouvoirs publics.
Marie-Anne Muyshondt fait partie d’une association déjà reconnue en Éducation permanente : elle travaille pour l’asbl Centre de dynamique des groupes et d’analyse institutionelle (CDGAI), dont le rôle est de fournir à tout public adulte des outils pédagogiques et des services en lien avec l’apprentissage des processus et des techniques d’animation de groupe, depuis 1972.
Christine Partoune est présidente d’une association en reconnaissance transitoire (équivalent à une période de deux ans d’essai, « sas » dans le jargon) : l’Institut d’Éco-pédagogie qui a pour but de promouvoir toute forme de pédagogie de l’environnement. L’institut propose des formations courtes ou longues (1 an) mais bien plus ludique que la pédagogie scolaire.
Yves Wathelet est actif depuis trois ans au sein d’un collectif qui n’est pas reconnu en Éducation permanente et qui ne souhaite d’ailleurs pas l’être : l’atelier vélo du Centre social Le Passepartout. Il le décrit ainsi : « l’objectif premier de cet atelier est de rendre autonomes les cyclistes dans la réparation et l’entretien de leur vélo ».
L’objectif
En écoutant chacun de leurs récits, un premier point commun émerge de leurs expériences : celui de toujours chercher à favoriser un regard critique sur le monde. Sans cet intérêt pour la remise en question, le CDGAI n’aurait probablement pas été reconnu comme une association d’Éducation permanente (EP). Marie-Anne Muyshondt : « Au CDGAI, on considère que savoir que le doute est présent, oser remettre en question les certitudes et questionner ce qu’on fait sans se déstructurer pour autant est une compétence indispensable ». Pousser à la réflexion critique fait en effet partie des fondements mêmes de l’éducation permanente. L’analyse et le regard critique y ont une place essentielle. Lorsqu’ils ont envoyé leur candidature pour être subsidiés, les membres de l’Institut d’Éco-pédagogie (IEP) savaient bien que cet aspect était important : « Nous n’avons pas demandé notre affiliation dès le début, mais nous aurions pu. Car les dimensions fortes de l’Éducation permanente sont présentes à l’IEP depuis toujours : il s’agissait de faire en sorte que les personnes regardent d’un œil critique le mode de vie dans lequel ils sont, le mode de vie qu’on leur propose, en gros le mode de consommation qui, on le sait, n’est pas soutenable. Il s’agissait de le remettre en question », relate Christine Partoune. Justement, l’atelier vélo du Passepartout ne répondrait-il pas lui aussi à ce critère à la base même de l’EP ? La réponse d’Yves Wathelet indique que oui : « Nous jetons des ponts entre l’atelier vélo et la Masse critique de Liège qui a lieu tous les derniers vendredis du mois. Les Masses critiques, ce sont des manifestations à vélo, sortes de balades festives et politiques où l’on revendique la place du vélo dans la ville. C’est l’occasion rêvée de se réapproprier les rues durant deux heures, en toute sécurité. Pour
le reste, comme on dit souvent, il y a autant de revendications que de cyclistes. » À l’atelier, on ne fait donc pas que de la réparation. On essaye aussi de développer une réflexion sur la collectivité et l’urbanisme qui est bien plus vaste que les principes de la mécanique.
Nous le voyons, ces trois associations, dont le rapport à l’éducation permanente est très différent – reconnue, reconnue de manière transitoire et non reconnue – et aux thématiques de travail, elles aussi très distinctes – animation de groupe, environnement et cyclisme –, ont toutes un objectif en commun : pousser à l’analyse critique. La comparaison ne s’arrête pas là : ils se retrouvent aussi un peu sur la méthodologie. Comment ? En refusant tous de se calquer sur les modèles classiques de rapports entre formateurs et public en formation.
La méthodologie
Pour Marie-Anne, du CDGAI, il faut fuir à tout prix le modèle de l’aide ou de la charité avec le public défavorisé, pour le remplacer par un « dialogue d’adulte à adulte ». La publication « Démocratie » en est l’exemple parfait : « elle ne donne pas un mode d’emploi mais illustre ; elle sert à montrer les différentes possibilités », sans pointer vers celle qui serait la meilleure. « Elle permet à chacun de lire, d’évaluer [la situation] de manière différente, peut-être même de se remettre en mouvement, dans le dialogue. Elle ne donne pas de conseils mais des informations ». À l’Institut d’Éco-pédagogie, c’est le rapport de prof à élève que l’on refuse et avec lui, le vieux modèle de l’éducation scientifique où la nature se découvre en étudiant les noms des animaux : « Nos méthodes n’ont rien à voir avec les méthodes scolaires. Elles ne sont pas du tout ex cathedra, par exemple, mais plutôt fondées sur l’accompagnement des personnes. Nous croyons que la sensibilisation à l’environnement passe d’abord par le fait de nouer une relation forte avec la nature par toute une série de méthodes ludiques ». Encore une fois, l’atelier vélo, bien que n’étant pas subventionné et « labellisé EP », n’est pas en retrait sur cette question. Bien sûr, lors de la réparation d’un vélo, il y a au départ un connaisseur et un novice. Mais la relation entre eux doit évoluer au cours de la réparation jusqu’à tendre vers un équilibre entre les deux positions. Le connaisseur ne fait en effet pas que réparer, il apprend à réparer ! Et c’est en ce point que l’atelier vélo rejoint les deux autres asbl : plutôt que de se positionner en grands détenteurs de savoir, ses bénévoles cherchent à aplanir le fossé entre l’« amateur » et l’« expert ».
En suivant cette philosophie d’apprentissage qui gomme les hiérarchies formateur/formé, ces organisations ont aussi appris à mieux gérer les conflits. « L’éducation permanente, en fait, c’est arriver à trouver comment vivre ensemble alors qu’on est différents », affirme d’abord Marie-Anne Muyshondt. « Il faut donc aussi discuter des conflits pour en faire des opportunités de réflexion de fond. Il faut discuter avec ceux qui ne sont pas d’accord avec nous. Ce n’est pas grave si ce n’est pas confortable », poursuit-elle avant de conclure : « C’est la rencontre conflictuelle qui fait cheminer chacun ». Christine Partoune, elle, ne parle pas directement de conflit mais plutôt de « confrontation ». En effet, les groupes qui entrent en formation sont très diversifiés, de la participante qui n’a jamais terminé ses études secondaires à l’ancien membre de l’ONU qui vient suivre sa formation en avion. Et c’est une très bonne chose : « Je trouve que faire en sorte qu’au sein d’une formation, quelqu’un qui n’a pas de formation intellectuelle mais a envie de faire quelque chose pour que le monde soit meilleur, se retrouve à une table avec quelqu’un qui a
travaillé à l’ONU et un monsieur qui est prof à l’armée, c’est intéressant. Ce sont des gens qui vont cheminer pendant un an ensemble. Qui vont constituer ce qu’on appelle une communauté d’apprentissage. Forcément ceux qui ont une formation universitaire, par exemple, vont souffrir au début, ce sera trop lent pour eux. Mais ils vont aussi apprendre de ça ! Cette confrontation des différentes situations de vie constitue elle-même un apprentissage. » Si Yves Wathelet, de l’atelier vélo, ne nous a pas parlé directement de conflit, il a cependant reconnu qu’une certaine diversité d’opinions et de degrés d’implication politique animait les bénévoles, ce qui favorise les échanges et permet l’évolution des mentalités.
L’éducation permanente s’attache manifestement à une manière de faire, plus libre que l’éducation classique et à un objectif d’émancipation de tous ceux qui s’y engagent, animateurs comme public. Le conflit et la confrontation des idées et des personnes d’univers différents y sont même perçus comme des moteurs de réflexion et de rapprochement.
Le public
La notion de « public cible » est centrale dans le décret, fortement liée à celle de « milieu populaire ». Mais dans la pratique, comment est-elle entendue et appliquée ? Christine Partoune qualifie celui de l’IEP comme étant diversifié : « Là on a déjà quatre années de recul [ndlr : sur la formation d’un an] et on voit que les gens qui viennent sont des gens un peu de toutes natures. Ce sont par exemple des gens qui veulent changer d’orientation professionnelle, du noir au blanc parfois. Ou d’autres qui sont là parce qu’ils sont juste sortis des études et ils savent qu’ils voudraient travailler dans le domaine. Il y en a aussi qui travaillent déjà dans des centres d’éducation à l’environnement et qui viennent picorer quelques modules. Notre public est vraiment très vaste, très diversifié en expérience. Chaque personne a un parcours singulier. »
Le décret serait d’ailleurs trop étroit dans sa définition du public : « Je pense que le décret est trop étroit par rapport à certaines situations quand on les prend au cas par cas ». C’est par exemple le cas concernant le public associatif : « Il faut s’adresser aux gens déjà dans l’associatif. Or, tout notre travail c’est de les amener à se dire “tiens, je ferais bien partie d’une association’’. Alors dire qu’ils font déjà partie [ndr : pour bénéficier de la formation à bas prix] c’est un peu rapide. » D’ailleurs, le fait de viser le « public populaire » lui semble aujourd’hui dépassé : « On voit ça autrement en éducation à l’environnement. Pour nous c’est tout le système qui est contestable et ça concerne toutes les classes sociales : courir après l’avoir, c’est quelque chose que font toutes les classes sociales. Du coup, le regard critique, la remise en question, ce sont des choses qui concernent toutes personnes. Pas uniquement les classes dites populaires. »
L’atelier vélo, qui n’a pas à se contraindre aux exigences institutionnelles, a du public et c’est tout. La question de son origine, de son statut social ou économique n’a pas d’importance. Le message et l’action comptent. En revanche, pour les associations depuis longtemps subsidiées par l’EP, le public d’hier n’est plus celui d’aujourd’hui. D’où la nécessité de s’adapter. Ce qui est fondamental pour Marie-Anne Muyshondt dans le rapport avec le public, c’est surtout d’avoir un « grand respect dans la rencontre de l’autre et de mettre en avant l’humain ».
a>La course aux subsides
Au cours de ces interviews croisées, nous avons principalement mis en avant des points communs entre l’IEP, le CDGAI et l’atelier vélo du Passepartout. Pourtant, ce-dernier n’est pas une asbl dite d’Éducation permanente. À vrai dire, il ne souhaite même pas du tout en faire partie ! « Alors oui, dans une certaine mesure, il y a des notions de l’éducation permanente dans lesquelles je peux me retrouver. Moi ou, plus généralement, les valeurs prônées par l’atelier vélo ou le centre social occupé. Je pense notamment à l’émancipation ou à la prise de conscience, etc. Mais de là à dire qu’on fait de l’éducation permanente, ça me paraît tout de même bizarre, au vu du contexte, plutôt libertaire, dans lequel on évolue ». Le choix de ne pas être subventionné, notamment par l’Éducation permanente, est bien réfléchi : « Évidemment, c’est un choix politique. Les raisons sont multiples : ne pas dépendre de qui ou de quoi que ce soit. Ne pas devoir répondre à un cahier des charges précis ou remplir des dossiers bidons qui n’auraient pas de sens pour nous. C’est aussi par rapport à la notion de travail. On peut avoir l’impression que les subsides servent avant tout à créer de l’emploi et que le travail de fond est secondaire. Puis, il y a cette question d’autonomie. Ce sont des valeurs que nous défendons et, franchement, je ne vois pas comment on pourrait les défendre en recevant des subventions… »
Dossiers de subsides « bidons », restriction de la liberté d’action, perte d’autonomie, … les critiques qu’Yves Wathelet formule envers les systèmes de subvention comme celui de l’EP sont sans concession. Chez les asbl subsidiées, la critique est (forcément ?) moins dure. Pas question, par exemple, pour Christine Partoune, de parler d’une perte d’autonomie de l’IEP : le cahier des charges de l’association préalable à leur affiliation correspondait très bien aux demandes du décret et leur acceptation dans la période de reconnaissance transitoire ne va pas du tout les contraindre à changer les grandes lignes de leur fonctionnement. Ce qu’elle dénonce, c’est plutôt l’inégalité de l’accès aux subsides : « on est très contents d’avoir été acceptés pour l’axe 3.1 de l’Education permanente. Même si on méritait aussi l’axe 2… ». D’après elle, ce refus est dû à un manque de cohérence au sein des pouvoirs décideurs : « Il faudrait que les personnes qui pilotent ce décret se mettent d’accord entre elles. Parce que nous avons été confrontés à un double langage. Pour l’axe 2, nous avions le feu vert du CSEP [ndlr : Conseil supérieur de l’éducation permanente], pour qui on pouvait avoir les deux axes. Et de l’autre côté, on nous a dit non. Nous avons bien produit les outils [requis pour l’axe 2] mais l’inspecteur a estimé que c’était un travail qu’on aurait dû faire de toute manière pour les participants de nos formations. Or, ce n’est pas vrai ». Pour Marie-Anne Muyshondt, l’accès aux subsides de l’Education permanente est en effet de plus en plus difficile. « Pour le moment, le décret c’est mieux que rien, mais que ça ne devienne pas une résignation ! »
Le « CDGAI »
« Créé en 1972, le Centre de Dynamique des Groupes et d’Analyse Institutionnelle est une asbl d’Éducation permanente reconnue comme telle dès 1984. Le Centre témoigne de la convergence entre l’Éducation permanente définie comme formation du citoyen critique et responsable et l’approche de Kurt Lewin, fondateur de la Dynamique des Groupes, qui se considérait comme un scientific citizen. En effet, développer des attitudes d’autonomie, de participation active, de prises de conscience et de responsabilités sociales, sur base de l’analyse critique et rigoureuse des réalités sociales
appréhendées sous l’angle de la dynamique des groupes, sont à la fois le fondement (à cause de quoi) et la finalité (en vue de quoi) de l’asbl. Pour les mêmes raisons et à travers son autre approche, le Centre privilégie l’Analyse psychosociale des processus institutionnels qui traversent les formations sociales : groupes, collectivités, organisations, mouvements. C’est dans ce cadre psychosocial que s’inscrivent nos publications d’Éducation permanente. Destinées au grand public, elles traitent de façon ciblée d’un enjeu ou d’un thème en vue d’en réveiller ou d’en éveiller la prise de conscience et d’en élargir et affiner la connaissance et l’analyse critiques. En cohérence avec notre domaine spécifique, nos publications pédagogiques développent donc des contenus en relation directe et concrète avec des réalités sociales. Elles se veulent accessibles, précises et rigoureuses. Leur intention, en visant à accroître les capacités d’actions éclairées et les attitudes de responsabilité citoyenne ancrées dans le réel, est d’oeuvrer à la résurgence ou au développement d’espaces de démocratie où lien social, solidarité et idéal humaniste seraient l’essentiel et le nécessaire mais aussi l’urgence permanente. » (Marie-Anne Muyshondt) CDGAI asbl, Parc Scientifique du Sart Tilman, rue du Bois St Jean, 9, 4102 Seraing – www.cdgai.be
Le « CSOA Passepartout »
« L’idée est de mettre à disposition des outils, des savoir-faire, des personnes ressources et des pièces de récup’ ou neuves. L’atelier vélo fonctionne avec deux objectifs : l’autoréparation, à priori vous réparez vous-même votre vélo grâce à l’aide et aux échanges de savoir et savoir-faire. Un deuxième objectif, c’est de construire soi-même son vélo. Il y a à disposition une série de carcasses de vélo et à l’aide des personnes ressources vous pourrez combiner et vous inventer la machine de vos rêves. Les pièces de récup’ sont toujours à prix libre : après la réparation, vous mettez les sous que vous voulez dans une tirelire. Les pièces neuves sont vendues à prix coûtant. Un usager rencontré là-bas nous parle d’un atelier “à l’africaine” : “On sait quand on rentre mais on ne sait jamais quand on va en sortir; c’est un espace convivial où on peut boire un verre, discuter avec les gens, fumer une cigarette, s’asseoir et regarder les autres travailler.Vous arrivez pour resserrer un boulon et vous ressortez en ayant changé la selle, les phares, regonflé les pneus et tendu les câbles”. Le public est assez varié, des gens de tout âge, des amateurs de ballade en vélo ou encore des convaincus qui en font leur principal moyen de locomotion. » (source : « Atelier vélo autogéré », Donatella Fettucci, paru dans C4) • CSOA Passepartout : rue Hocheporte, 8 à 4000 Liège.
« Institut d’Eco-pédagogie »
« L’Institut d’Éco-pédagogie est une association sans but lucratif qui a pour but de promouvoir toute forme de pédagogie de l’environnement (éco-pédagogie). Actif depuis 1991 dans le secteur de l’Éducation relative à l’Environnement (ErE), l’IEP a développé une expertise en matière de formation des acteurs de l’animation, de la sensibilisation, de l’enseignement, de l’ErE, en s’appuyant particulièrement sur la valorisation de la richesse et la diversité du patrimoine naturel wallon. S’inscrivant dans une optique d’éducation à la citoyenneté, la sensibilisation aux thématiques environnementales déborde largement le domaine de la nature. Plus largement, l’éco-pédagogie contribue à la recherche de modes de vie équitables, dans un environnement de qualité. Les principales activités de l’IEP : la formations d’adultes, la recherche pédagogique, l’accompagnement de projets, la réalisation d’outils éducatifs et de publications. Fondés sur l’autosocioconstruction de ses savoirs, les dispositifs de formation ont pour but d’aider chaque participant à enrichir sa manière de percevoir et de concevoir son environnement, en même temps que sa présence au monde et ses relations aux autres. » (source : institut-eco-pedagogie.be)