Tout ce que Fred Astaire a fait, Ginger Rogers l’a fait aussi, mais à reculons et sur talons hauts !
Ginger est un collectif autogéré de citoyennes volontaires. Fruit du groupe d’auto-défense féministe du CVFE, leurs thématiques de lutte sont le harcèlement de rue, les droits reproductifs et la sécurité des femmes de manière générale. Rencontre avec son initiatrice, Florence Ronveaux et Virginie Godet, chargée de projet.
Ginger est né il y a un an et demi à Liège. La première action du groupe, qui participe aussi aux manifestations pour le droit à l’IVG, fut la « Slutwalk » (la marche des salopes) à Bruxelles, en septembre 2011.
Florence Ronveaux, 46 ans, est assistante sociale de formation. Elle est responsable des actions de prévention au sein du Collectif contre les Violences Familiales et l’Exclusion faites aux femmes (CVFE). Elle est également formatrice en « autodéfense féministe » au sein de l’association. « Ginger est un groupe autogéré de citoyennes dans la continuité des ateliers d’autodéfense organisés par le CVFE ». Le groupe est composé d’anciennes participantes qui sont restées au-delà du stage de base, qui continuent les entraînements, et dont la « conscience militante a grandi à travers l’analyse critique et l’analyse de genre qui traversent les cours d’autodéfense ». Le premier objectif de Ginger, « c’est de faire connaître l’autodéfense féministe » raconte Florence. Elle explique : « l’autodéfense féministe, c’est de l’autodéfense pour les femmes par des femmes. Car les types de dangers et agressions auxquels elles font face ne sont pas les mêmes que ceux rencontrés par les hommes ; d’autant plus que notre socialisation ne nous prépare pas de la même manière à y répondre. Une autre caractéristique de ce type d’autodéfense, c’est qu’elle prend en compte la sécurité sous un angle plus global et avec des réponses globales. On pense d’abord à la prévention, à la gestion des émotions, à la défense verbale, comment poser des limites. La défense physique vient en dernier recours. L’essentiel du travail est fait sur le mental, même quand on travaille la défense physique, parce que les techniques sont simples et ne demandent pas de force ou un entraînement intensif. »
L’autodéfense féministe, c’est de l’autodéfense pour les femmes par des femmes
Très vite, les Ginger(s) se rendent compte que la première « insécurité » que les femmes participant au groupe vivent et parfois les empêchent d’aller aux réunions, « c’est la violence économique et institutionnelle ». Virginie Godet, 38 ans, historienne et chargée de projets au CVFE, nous explique alors leur deuxième objectif : « On a élargi notre champ d’action, toujours dans le cadre de l’autodéfense, face à ce que nous nommons la violence institutionnelle et économique ». Elle poursuit : « [ces types de violence], on ne peut pas les compartimenter, tout est dans tout », comme par exemple « avoir des difficultés à trouver un emploi, parce qu’on n’a personne pour garder les enfants, parce qu’on n’a pas forcément d’argent pour posséder sa bagnole et qu’on se déplace en bus ; et faire 60km en bus le matin après avoir mis les enfants à l’école et être revenue avant que la garderie ne ferme en ayant changé trois fois de bus ». Un autre exemple est donné par Florence : « la réduction de tes revenus du chômage augmente la dépendance vis-à-vis de ton partenaire. Cela devient de la prévention primaire par rapport aux violences entre partenaires qui sont générées entre autres par la dépendance économique. À partir du moment où la société
donne l’aval à ces espèces de mesures, elle renforce le patriarcat de fait ».
Prenant position sur ces questions sociales, les Gingers participaient bien évidemment, le 14 novembre place Saint-Paul à Liège, à la journée d’information 1 organisée par les syndicats. Elles ont aussi appelé à une action devant l’ONEM. « L’ONEM réalise vraiment une chasse aux sorcières, à travers les femmes cohabitantes et les femmes au chômage. C’est pour ça qu’on a décidé de faire cette action », explique Florence. Ginger a un positionnement clair sur le plan de la dégressivité des allocations de chômage comme l’indique Virginie : « Il y a le statut des cohabitants qui sont majoritairement des cohabitantes. Ce sont elles qui vont être les premières virées par l’ONEM. C’est faire des économies sur le dos des femmes. ». Florence ajoute : « Alors que quand elles travaillaient et un jour retravailleront, elles ont cotisé ou cotiseront comme n’importe qui. C’est une question d’individualisation des droits. C’est une revendication féministe qui date déjà et qui n’avance pas beaucoup ».
Sur ce point, elles réfléchissent à la question du « comment vivre ensemble, en communauté, sans que les revenus de remplacements soient de nouveaux réduits » dans le présent mais aussi pour le futur. Virginie travaille sur un projet qui questionne la problématique : « c’est un projet qui s’appelle la maison de “Babayagas” 2. Un projet qui existe déjà en France. Ce sont des groupes autogérés de femmes âgées de troisième et quatrième âge qui vivent ensemble, dans des kots communautaires. Une alternative à la maison de repos. Il s’agit de vouloir rester autonome, tout en vivant ensemble et en faisant face à la solitude. Avec les Babayagas, on se choisit entre emmerdeuses (rires), c’est une manière de ré-créer des liens, de la solidarité ».
Réflexion sur le revenu de base
En travaillant sur des solutions concrètes comme la maison de Babayagas, elles ont été amenées à réfléchir aussi sur le revenu de base. Elle se posent encore beaucoup de questions et leur avis n’est pas tranché. Florence : « Quand on pense au revenu de base, ça a l’air bien ; de l’argent pour tout le monde, sans obligation d’aller travailler. Mais on se pose la question : qui va faire le choix de ne pas bosser et rester à la maison ? Les hommes comme les femmes ? Ou plus les femmes que les hommes ? Et si cette mesure servait directement à renvoyer les femmes à la maison ? Ces choix économiques ne sont jamais indépendants des mentalités, des pressions en tous genres ». Virginie poursuit : « le revenu de base, c’est très bien dans l’absolu.Après il faut être attentives, il faut réfléchir à comment ça se met en place, quels sont les dommages collatéraux ». En attendant, pour Florence, « c’est une idée qui va prendre du temps pour faire son chemin et ce temps-là, il faut le prendre pour intensifier tout travail de prévention, sensibilisation sur le changement de mentalité par rapport au rôle des hommes et des femmes.
« Personne n’arrive à nous mettre dans une case et ça tombe bien, on n’en a pas !»
Des productions d’analyse pour favoriser le changement de mentalités
Pour changer les mentalités, il faut bien les connaître. C’est dans cette optique que Ginger s’adonne à l’analyse cinématographique et littéraire avec un regard de genre. Elles réalisent l’année dernière une analyse titrée « Archétypes féminins et polars » 3. Florence nous le raconte : « On s’est demandé si l’image de la femme avait changé, car souvent dans les polars, on la retrouve en séductrice vénéneuse et dangereuse ou la femme victime qui a besoin d’être sauvée. Dans les nouveaux films policiers, on voit plus souvent des femmes qui sont juge, inspectrice de police ou journaliste d’investigation. C’était un genre vraiment stéréotypé qui commence à évoluer ». Ce genre d’analyse, elles l’appliquent également à la littérature pour ado. Sur la sellette, Twilight et Hunger Games. Virginie : « On se retrouve avec deux représentations féminines très différentes. Twiligt, c’est le conte de fée typique d’amour romantique qui dure toujours », Florence ajoute : « la fille est prête à tout sacrifier, sa famille, ses amis, ses études même sa vie d’humaine pour devenir une vampire comme son amoureux. Elle manque de mourir parce qu’elle porte un enfant à moitié vampire qui est en train de la détruire mais elle ne veut pas avorter. On est ici dans le discours typique “pro vie” et de dépendance affective hyper stéréotypée ». Virginie reprend : « dans Hunger Games c’est le contraire, c’est la nana qui est forte et qui porte tout à bout de bras, qui se pose des questions tout le temps, qui défend son amoureux, qui lui est plus doux ».
Qu’est-ce que le féminisme pour elles ?
« Féminisme », le mot est lâché. Il reste encore perçu comme péjoratif. Mais de quel type est celui pratiqué par la Ginger ? Florence : « ce n’est pas renverser les rôles ou prendre le pouvoir à quelqu’un qui nous intéresse mais juste arriver à ce qu’on le partage. Un gros reproche [est aussi fait] à tous ces stéréotypes qui nous empêchent de choisir ce qu’on a envie d’être. Donc que chacun et chacune puisse être différents des autres et pas juste différents parce qu’on est homme ou femme ». Il n’existe pas un seul féminisme affirme-t-elle. Il serait plus juste de parler de « féminisme au pluriel ». Florence et Virginie disent ne se retrouver « dans aucun courant, ni les radicales, ni les pro-sexe. Personne n’arrive à nous mettre dans une case et ça tombe bien, on n’en a pas. On n’est pas dogmatique. C’est du coup par coup, on débat entre nous, sur la marche des salopes ou le revenu de base et on décide comment se positionner ».
Et les Femen, z’en pensez quoi ?
Pour Florence, « les Femen brouillent les pistes, elles utilisent la nudité, la séduction, avec des références aux pro-sexe, courant qui utilise leur corps, leur sexualité et défend les prostituées, mais avec un discours de féministes radicales, courant marxiste qui dénonce l’exploitation, la marchandisation du corps, le capitalisme. Beaucoup de féministes ont du mal à se reconnaître dans les Femen parce qu’elles utilisent les moyens d’actions d’un féminisme avec les revendications d’un autre féminisme. Et ces deux courants ne se supportent pas ». Au-delà de toutes critiques : « Elles font des trucs tellement trash et tellement dérangeant que ça nous obligent à nous questionner sur notre féminisme propre à chacune ». Même si elles ne partagent pas tout des Femen, nous remarquons qu’elles leur portent une certaine sympathie : « Les Femen se cherchent. Elles font des erreurs qu’elles corrigent ensuite. Par exemple, elles ont fait un manifeste récemment contre le Front National car elles y avaient été assimilées en faisant une action devant une mosquée ». Elles ont également montré récemment qu’elles sortent des normes dominantes sur la beauté, ce qui leur a souvent été reproché.
Beaucoup de féministes ont du mal à se reconnaître dans les Femen parce qu’elles utilisent les moyens d’actions d’un féminisme avec les revendications d’un
autre féminisme
Reste à aborder une question : comment devenir une Ginger ? Florence : « une des conditions c’est d’avoir fait un stage de base en autodéfense, car c’est quelque chose de commun à toutes et le fil conducteur sur le discours de genre, de la sécurité, les femmes et le droit au respect. Après c’est par affinité. Il faut que la personne en ait envie, qu’elle se propose de nous joindre et qu’elle participe à des activités ».
Contacts : EMail : ginger@cvfe.be
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