Femmes au travail… ou les deux?
Avertissement : si cet article fait partie d’un dossier intitulé «Femmes d’aujourd’hui», nous ne parlerons pas pour autant que de mamans. Nous nous intéresserons plutôt à la répartition des rôles parentaux entre le père et la mère. Mais attention hein, on n’est pas en train de vous dire qu’un enfant «c’est un papa et une maman» (mais pour qui nous prenez-vous?!). Non, simplement, la comparaison de récits aux contextes très variés étant délicate, nous avons préféré nous limiter à un seul modèle de famille. Celui du couple hétéro nous permet d’étudier une première batterie de questions de genres, notamment celle du congé paternité. Pour ne serait-ce qu’aborder le reste… il faudrait bien un dossier entier!
Grandir avec maman à la maison et papa qui rentre le soir, épuisé par sa longue journée de travail, c’est déjà intégrer, dès l’enfance, un modèle patriarcal de famille. Certains couples l’acceptent, d’autres lui cherchent une alternative. Mais, dans chaque pays, les parents font face à une constante : le cadre institutionnel. En rencontrant des mères originaires de Biélorussie, des Pays-Bas, d’Allemagne et de Suède, nous avons tenté de voir si les lois d’un Etat influencent le modèle choisi par les parents.
Biélorussie : mères au foyer cherchent maris avec bon salaire pour survivre. Le récit de Ludmilla.
La loi : « à sept mois de grossesse, les femmes arrêtent le travail. Puis, elles ont encore 70 jours de “maladie”. Après, elles peuvent encore rester à la maison trois ans d’affilé. Pendant ce temps, la mère reçoit de l’argent public et son patron n’a pas le droit de la licencier ». Quant au père… il ne lui reste qu’à négocier avec son patron. La loi ne prévoit rien de clair.
La réalité : « une femme seule ne peut pas vivre avec l’argent qu’on reçoit pendant les trois ans. Si son mari travaille elle peut rester les trois ans [à la maison] mais sinon c’est impossible ». Ah… donc ce n’est pas juste le modèle de la femme au foyer que supporte l’état biélorusse, c’est aussi celle de la femme dépendante de son mari. Et après les trois ans, elle récupère son job, alors ? « Normalement oui. Ça peut mal finir pour l’organisation où elle travaille s’ils la mettent dehors. Mais souvent elle doit quand même rester à la maison pour l’enfant. Et puis ce qu’il y a aussi c’est que souvent si on veut faire un deuxième enfant on le fait après trois ans donc la femme reste six ans à la maison… ça fait un gros trou dans la carrière ». Et pendant les trois ans, la crèche est-elle une option ? « Tu sais en Belgique, il n’y a pas assez de crèches mais en Biélorussie il n’y en a juste pas, je n’en voyais jamais ». « Donc si la mère n’a ni parents ni argent pour une nounou elle est obligée de rester à la maison ». Et pour cela, il lui faut, encore une fois, un mari avec un bon salaire… « En fait les mères ne choisissent pas de rester à la maison ou de travailler », leur situation économique décide pour elles.
« Ce n’est pas juste le modèle de la femme au foyer que supporte l’état biélorusse, c’est aussi celle de la femme dépendante de son mari »
Pays-Bas : « les Pays-Bas préfèrent que les femmes retournent travailler » … à temps partiel. Le récit de Merike.
La loi : « Au total, une mère a seize semaines de congé : quatre ou six avant l’accouchement, dix ou douze après ». Et le père ? « Après l’accouchement, il a droit à deux jours de congés. Ensuite il retourne au travail.
La loi donne la possibilité aux pères de passer environ un jour par semaine avec leur enfant. Mais ce n’est pas gratuit. Il reçoit un plus petit salaire s’il fait ça ».
La réalité : il est clair, pour Merike, que « Les Pays-Bas préfèrent que les femmes retournent travailler ». Et, d’après ce qu’elle constate, cette volonté étatique correspond assez bien à la réalité : « autour de moi, la plupart des femmes retournent travailler », dit-elle avant de préciser, « mais moins. Si elles travaillaient cinq jours par semaine, elles choisissent souvent de passer à quatre ou trois jours. Mais la faiblesse [de ce modèle] c’est que quand la mère doit retourner travailler, l’enfant va dans une crèche, ce qui est très, très cher ! Par exemple, quand notre enfant va à la crèche trois jours par semaine, on paie 700 euros par mois. Pour certains parents c’est trop cher donc un des deux arrête de travailler, souvent la femme. »
Allemagne : les congés parentaux à la carte… ou presque. Le récit d’Ingrid.
La loi : « d’abord il y a le “Mutterschutz” : six semaines avant la naissance et huit après, avec un salaire complet. Puis il y a l’ “Elternzeit”. Quand on a eu Lore, la loi de l’Elternzeit venait de passer. Selon elle, on a droit à quatorze mois de congés entre la naissance et les huit ans de l’enfant. Mais surtout ces quatorze mois peuvent être répartis comme on veut entre les deux parents. S’il veut, le père peut donc prendre plus de congés que la mère ».
« Quand ma collègue féminine a eu son enfant la question ne se posait pas, elle allait prendre ses congés. Quand Anna est née, mon patron a été surpris que je veuille prendre les miens »
La réalité : « à la naissance de Lore, on a assez bien réparti les quatorze mois de congés entre nous. On y avait beaucoup réfléchi et on ne voulait pas qu’elle ait une image de la famille où maman est à la cuisine et papa au boulot ». Et pour Anna, leur deuxième enfant ? « On voulait faire pareil. Mais entre temps Thomas avait changé de job. Et c’est là qu’on a compris qu’en fait son ancien patron était progressiste. Dans la banque où il travaille maintenant, on ne lui a pas interdit de prendre ses congés parentaux, bien sûr… » Mais ? « Mais on lui faisait bien comprendre que ça n’arrangerait personne ». Thomas détaille : « Quand ma collègue féminine a eu son enfant la question ne se posait pas, elle allait prendre ses congés. Quand Anna est née, mon patron a été surpris que je veuille prendre les miens… et à chaque fois que je revenais d’un de ces congés, je sentais l’amertume des collègues, c’était culpabilisant… donc j’en ai pris beaucoup moins qu’à la naissance de Lore ».
Suède : la prime pour la répartition égalitaire des congés. Le récit de Mican.
La loi : en Suède, la loi est très similaire à celle de l’Allemagne mais avec une nuance intéressante : « dix-huit mois au total pour les deux parents – à répartir comme ils le désirent jusqu’au huitième anniversaire de l’enfant. Chaque parent bénéficie de trois mois non transférables à l’autre parent dont, trente jours doivent être pris simultanément par les deux parents. Pour les mois suivants il existe une prime d’incitation à l’égalité qui est attribuée chaque fois qu’à un jour de congé pris par un parent correspond un jour de congé pris par l’autre parent ».
La réalité : « J’ai tout pris jusqu’à six mois. Jean-Charles est beaucoup resté avec nous sans activer son congé car il avait une charge de travail moindre. Après six mois, j’avais envie de retourner travailler et Jean-Charles souhaitait passer plus de temps à la maison. Sa charge de travail augmentant, il a
activé son congé parental ». Si Mican n’a repris qu’à mi-temps, c’est notamment parce qu’elle continuait d’allaiter. « On recherchait aussi l’égalité donc Jean-Charles a aménagé son temps de travail pour être à la maison quand je n’y étais pas ». Il conclut : « En tous cas, à aucun moment, l’argument économique n’est venu dans la balance, ce sont des choix idéologiques. Au niveau économique nous avons un confort qui nous permet de répondre à nos besoins, qui sont par ailleurs modestes ». Par contre, leur choix reste exceptionnel : « Nous ne sommes pas représentatifs du ménage moyen. La femme reste souvent à la maison jusqu’à un an et l’homme va souvent prendre son congé parental quand la femme aura repris le travail mais prendra ses congés payés (vacances). Ainsi il est moins souvent seul à s’occuper de l’enfant qu’elle. Mais il faut souligner qu’il n’est pas rare de croiser des hommes seuls avec leurs poussettes dans les parcs. Ce qui est déjà une différence par rapport à la France ou la Belgique ». Même si au final, « la Suède reste culturellement patriarcale ».
Quelles conclusions tirer de ces récits ?
En passant d’un témoignage à l’autre, on se rend compte que ce n’est pas parce qu’un état soutient un modèle de répartition des rôles entre les parents que celui-ci sera forcément appliqué par ses citoyens. Si les Pays-Bas permettent aux pères de réduire leur charge de travail, Merike constate ainsi que c’est tout de même plutôt la mère qui revient au foyer. Par contre, ce qui ressort clairement de notre panel c’est que, soutenus dans ce sens par l’Etat ou non, la plupart des couples prennent leurs décisions en faveur du patriarcat.
« Même si les pères ont droit à des congés de paternité, comme en Belgique, ceux qui les prennent sont pénalisés dans l’entreprise »
L’Etat n’est pas pour autant impuissant dans ce domaine. Même s’il n’est pas toujours écouté, « il faut qu’il joue un rôle, donne les moyens d’une évolution des mentalités ». C’est Claire Vienne qui nous l’explique. Elle est metteuse en scène en charge du projet « Mamans », du Théâtre de la Communauté, qui a pour objectif de rencontrer un maximum de mères à travers le monde et de provoquer l’échange entre leurs récits. Et elle a raison. Si les parents rencontrés racontent que leurs concitoyens vont majoritairement dans le sens du patriarcat, il faut cependant préciser que tous n’ont pas eu d’autres options. Il suffit, pour s’en rendre compte, de comparer les récits de Mican (Suède) et Ludmilla (Biélorussie). Alors que pour la première, « à aucun moment, l’argument économique n’est venu dans la balance, [que les choix] sont des choix idéologiques », la seconde parle d’un endroit où le rôle des mères n’est pas choisi mais imposé par le contexte légal et économique. Et il ne s’agit pas que d’une question de congés parentaux : « Ce qu’il y a aussi c’est que généralement les femmes ont un salaire moins élevé que les hommes… », explique Claire. Ce sera donc plutôt elle qui restera à la maison. Voici un autre exemple de l’influence qu’a le monde de l’entreprise sur les familles : « Même si les pères ont droit à des congés de paternité, comme en Belgique, ceux qui les prennent sont pénalisés dans l’entreprise ». C’est exactement ce qu’a vécu le père de Lore et d’Anna. Pour amener l’égalité des sexes dans la famille, c’est donc dans tout un tas d’autres milieux qu’il faut travailler.
Allons-nous dans ce sens actuellement ? Pour Claire Vienne, la réponse n’est pas réjouissante : « On est en train de faire un grand pas en arrière. La femme, qui avait durement acquis une certaine liberté dans les années 70, retourne peu à peu en arrière. Le chômage et la vie économique aidant, on revalorise progressivement la mère au foyer ». Ainsi en plus d’être économiquement contrainte à rester à la maison, la mère est aussi convaincue que c’est la chose à faire. Historiquement, c’est habituel : quand il y a un placement de
la mère au foyer, il est généralement accompagné « d’une incubation de sentiments maternels chez la femme ». Claire exemplifie : « C’est l’histoire de la fête des mères. Après la guerre il fallait des soldats, de la main d’œuvre, donc on a poussé les femmes à devenir mères, on leur a incubé des sentiments favorables envers la maternité alors que certaines n’y avaient pas vraiment pensé ». La situation actuelle est bien sûr différente mais il n’est pas anodin de retrouver une valorisation de la mère au foyer à un moment où, économiquement, c’est justifié. Pour Claire, aujourd’hui cela passe notamment par le mouvement des « mamans bios » qui allaitent sur le long terme, pratiquent le portage, évitent tant que possible les crèches, etc. Notre intention n’est pas de critiquer ce mouvement de recherche d’une éducation plus naturelle. Car, finalement, le problème n’est pas de choisir telle ou telle manière d’encadrer un enfant mais plutôt de ne pas avoir la liberté de le faire.
Il faut donner aux parents les moyens d’élever leur enfant comme ils le souhaitent. Et, dans une société où le patriarcat est encore roi, cela passe par un cadre légal qui soutienne les alternatives afin de donner aux parents la possibilité de sortir de la norme. L’exemple de la Biélorussie montre bien que, sans cadre légal adapté, la volonté de répartition égalitaire des rôles entre les parents n’a que peu de chances d’être mise en application. Mais les lois seules n’ont que peu de pouvoir. Claire nous relate ainsi le récit femmes juristes rencontrées au Maroc. Celles-ci expliquent qu’elles peuvent faire de très belles lois sur le respect des femmes mais que « sans une évolution du reste, les lois ne seront de toute façon pas respectées ».
L’évolution doit donc aussi être sociale. « Dès que la femme devient mère, notre société la considère comme coupable », explique Claire Vienne. Coupable de mettre un frein à sa carrière dans certains cas, coupable de ne pas rester à la maison pour allaiter son enfant dans d’autres, peu importe, elle croisera toujours le chemin de quelqu’un qui la fera culpabiliser sur sa manière de mener sa vie de mère. Le souci, dans tous les cas, n’est donc pas la décision prise mais bien le phénomène de culpabilisation qui l’accompagne. Et c’est là-dessus qu’une évolution des mentalités doit être travaillée.
Les témoignages recueillis montrent, enfin, que le changement doit aussi se faire dans l’entreprise. Car même si les parents rencontrés racontent parfois être tombés sur des patrons conciliants, ils reconnaissent aussi que ceux-ci étaientprogressistes, en décalage avec les exigences actuelles du monde économique.
Claire Vienne le résume parfaitement pour nous : « C’est toute une société qui doit avancer ensemble ».