Durant les années septante, de grandes et de petites batailles furent menées et, malgré des lacérations et des luttes intestines, en partie gagnées par les différents mouvements féministes. À l’époque déjà, et aujourd’hui encore, ceux-ci sont traversés par un conflit important: la question de la pornographie. De nombreux courants féministes l’affrontent. De là naîtra ce qu’on appelle aujourd’hui le PostPorno.
États-Unis, début des 70’s, les films pornographiques sont autorisés dans les salles cinématographiques. Ils rencontrent un énorme succès populaire et rentrent dans ce qu’on appelle la « culture de masse ». Quelques années plus tard, toujours au States, un tollé éclate contre la pornographie : des femmes, féministes, se déclarent contre ce « nouveau » phénomène. Elles appartiennent au courant abolitionniste, favorable non seulement à la censure de la pornographie mais également pour l’abolition de la prostitution. Les figures emblématiques de ce mouvement sont Andrea Dworkin et Catharine MacKinnon (juriste) qui mènent ce combat à travers des voies légales. Ce mouvement soutient que la pornographie dévalorise l’image des femmes en favorisant la propagation de valeurs d’oppressions (tant sociales que sexuelles) à leur égard mais aussi parce qu’elle implique de mauvaises conditions (mauvais traitement et exploitation) réservées aux actrices porno.
Cependant, contre ces positions abolitionnistes, des voix s’élèvent dans les rangs féministes. La plupart d’entre elles sont issues du monde de la pornographie et de la prostitution qui se reconnaîtront successivement dans le courant appelé « pro-sex ». Cette tendance s’oppose à la censure de la pornographie. Elle est favorable à la dépénalisation de la prostitution et à la dé-victimisation des prostituées. Tout en étant bien conscients de la soumission de l’industrie du sexe aux règles du business, centrée sur les désirs du « mâle blanc occidental », les « pro-sex » affirment qu’une autre pornographie est possible. Ils proposent un nouvel imaginaire sexuel axé sur la « réappropriation féminine du plaisir ».
Des prostituées sortent de l’ombre, s’affirment et manifestent pour leurs droits mais aussi pour défendre l’accès à une sexualité épanouie pour tous. Scarlot Harlot sera la première à utiliser l’expression sex working pour définir les prestations sexuelles des prostituées. Parallèlement, des boîtes de production sont montées par des femmes et les premiers porno pour femmes y sont réalisés. Début des années quatre-vingt, une autre pornographie commence à voir le jour. Parmi celles qui ont marqué le mouvement : Nina Hartley, féministe, actrice et réalisatrice de films porno éducatifs ; Candida Royalle, actrice, réalisatrice et productrice qui fonda sa boîte de prod’, « Femmes Film », s’adressant principalement aux femmes et au couple ; et surtout Annie Sprinkle, clairement considérée comme la « mère » du PostPorno. Elle est la première à utiliser le mot Post-Pornographie en 1992 lors d’une conférence de presse pour présenter sa célèbre performance Public Cervix Announcement, pendant laquelle elle invite le public à venir observer son utérus au moyen d’un spéculum inséré dans son vagin. Nous sommes ici en face d’un « mouvement politique sexuel qui fait de son corps et du plaisir des femmes, une plate-forme politique de résistance au contrôle et à la normalisation de la sexualité » 1.
Si les années quatre-vingt furent marquées par un porno fait « par les femmes pour les femmes », c’est dans les années nonante que les
notions de « genre » et de « queer » commencent à atteindre le monde de la pornographie alternative.
Ces années furent caractérisées par l’essor des Gender’s Studie 2, au sein desquelles émergent les théories queer. Celles-ci remettent en question la vision binaire en insistant sur le fait que d’autres genres existent et qu’ils sont systématiquement exclus. Pour pallier à cette exclusion, il faudrait pouvoir passer au-delà des frontières de genre et ne plus se définir en faisant référence à eux 3.
Ces théories marquent les milieux féministes et donnent naissance à une des « multitudes queer » 4. Elles s’en prennent à l’actuelle société hétéronormative et binaire (homme/femme, hétérosexuel/ homosexuel, normal/déviant). Leur but : « démanteler les dispositifs politiques qui produisent les différences de classe, de race, de genre et de sexualité » 5. Comment ? À travers leur corps en commençant un « travail de dé-territorialisation de l’hétérosexualité » 6.
Dans cette perspective théorique et militante, la pornographie est identifiée comme étant un des dispositifs politiques et économiques qui propagent la binarité et la normativité dans notre société. Une machine puissante qui atteint le grand public et dicte les normes de vie, d’esthétique et de pratiques sexuelles. Le trouble doit être semé. La dimension queer s’insère dans l’espace du porno alternatif qui prend désormais l’appellation « Post-Porno ».
Donner une définition unique du PostPorno n’est pas vraiment possible, vu l’hétérogénéité qui caractérise ce mouvement. Chiara Pignedoli le définit ainsi : « le post-porno est un acte politique qui a comme but de saboter les idéologies, le désir et le point de vue hétérosexuel masculin ; en libérant et en démocratisant le plaisir et l’imaginaire sous toutes ses formes. Il dépasse le caractère masturbatoire de la pornographie mainstream, en mettant en scène des corps et des pratiques hétérogènes, pour montrer que la sexualité peut être vécue de différentes manières. Sont utilisés des modèles esthétiques qui trompent notre goût, en laissant la place au doute, au désordre, à la confusion face à des protagonistes à l’identité de genre ambiguë. Il est inclusif de toute une série de différences et de subjectivités qui ne trouvent pas de légitimité dans le porno traditionnel. C’est la subversion de l’orthodoxie sexuelle qui guide notre plaisir à travers l’iconographie pornographique dominant » 7.
Ou, pour le dire en « mode geekette » : « le Postporno est le copyleft de la sexualité qui dépasse les barrières imposées par la représentation pornographique dominante et la consommation sexuelle normalisée », dixit Lafra 8.
Le Postporno se répand grâce à la production et à la diffusion d’ouvrages indépendants ; des expos, des festivals mais aussi des workshops organisés de manière autogérée ; des moments et des lieux où la théorie et la pratique sont combinés pour laisser place à l’expérimentation.
Aujourd’hui, en Europe, c’est en
Espagne que se concentre cette subversion féministe pornographique contre l’ordre genré, avec des groupes et des individualités comme Post-OP, Go First Fundation, Maria Llopis, Diana J Torres, Quimerarosa ; c’est également en Espagne qu’a lieu l’événement le plus incontournable du mouvement post-porn, La Muestra Marrana.
Le post-porno commence aussi à se développer en Italie avec le travail de collectifs comme Le ragazze del porno, ou celui de figures comme Malapecora ou Rosario Gallardo.
Annie Sprinkle vendait des pop-corn quand sur écran était projeté le film Gorge Profonde. Elle avait tout juste 18 ans. Après un bref passage dans les salons de massage, elle s’adonna au métier de prostituée pendant vingt ans; métier dont elle a toujours été fière en le qualifiant de service public.
C’est en 1973 qu’elle commence à côtoyer les milieux du cinéma pornographique, d’abord comme assistante, ensuite comme actrice. Le film qui la rendra célèbre: Deep Inside Annie Sprinkle (1981). Un film inédit qui montre des femmes concentrées sur leur orgasme et une Annie Sprinkle s’adressant directement aux spectateurs.
Une autre pornographie prenait forme. De nouveaux « éléments » pornographiques furent introduits comme l’éjaculation féminine, les rôles sexuels et la puissance du plaisir, en sortant ainsi des sentiers imposés par la pornographie dominante. Dans son travail, le privé et le public sont mélangés en devenant une question politique, et à laquelle vient s’ajouter une dimension artistique. Ses performances questionnent autant les idées reçues et les conceptions de la sexualité féminine que masculine en troublant ainsi les limites des catégories sexuelles. Le tout est fait en toute gaieté. (www.oblo.ch)
«Nous sommes face à un féminisme ludique et réfléchi qui se soustrait au monde académique, pour rencontrer dans la production audiovisuelle, littéraire ou de performance leurs propres espaces d’action. À travers les films kitsch de la pornoféministe Annie Sprinkle, les docu-fictions de Monika Treut, la littérature de Virginie Despentes ou de Dorothy Allison, les Comics lesbiens de Alison Bechdel, les photographies de Del Volcan La Grâce ou Kael TBLOCK, les concerts du groupe punk lesbienne sauvage Tribe8, les prédications néo-gothiques de Lydia Lunch, ou les pornos transgenres de science-fiction de Lea Cheang de Sue, se crée une esthétique féministe post-porno caractérisée par des signes et des artefacts culturels de re-signification critique des codes normatifs que le féminisme traditionnel considérait comme impropre à la féminité.» (Beatriz Preciado «Mujeres en los márgenes», El País, 13 janvier 2007)
Notes:
- Beatriz Preciado, « Mujeres en los márgenes », El País, 13 janvier 2007 ↩
- Les Études de genre situent les différences entre hommes et femmes, non pas comme le résultat du déterminisme biologique mais bien comme des constructions sociales. Ils s’intéressent aux femmes et au féminin mais aussi aux hommes et au masculin. Ils s’interrogent sur le rapport de pouvoir (qui change en fonction de la classe et de l’ethnie) que lie les genres, et comment ce pouvoir traverse tous les autres pouvoirs présents dans la société. Sébastien Chauvin, Alexandre Jaunait, Introduction aux Gender Studies : Manuel des études sur le genre, De Boeck Supérieur, 2008. ↩
- C’est-à-dire ne plus se définir ni hétéro, ni gay, ni lesbienne, ni trans. ↩
- Expression utilisée par Beatriz Preciado dans « Multitudes queer », multitudes.samizdat.net, 2003 ↩
- cf. [1] ↩
- Beatriz Preciado, « Multitudes queer », multitudes.samizdat.net, 2003 ↩
- Chiara Pignedoli, « PostPorno », www.24emilia.com ↩
- Lafra, « il post-porno », comunicazionedigenere.wordpress.com ↩