Complémentaire mais obligatoire

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Quand on n’a pas les moyens, mieux vaut avoir du temps, et de l’énergie, pour contester l’arbitraire des administrations. Toutes celles qui délivrent des documents légaux, souvent indispensables, bénéficient de fait d’un pouvoir d’intimidation plutôt exorbitant. C’est le cas des organismes censés aider l’usager ou l’affilié, comme les mutuelles. Petite chronique de la tracasserie ordinaire. 

Bernard s’est vu signifier fin 2011 par sa mutuelle que, désormais, il devra s’acquitter du montant de l’assurance complémentaire, devenue obligatoire suite à la guerre que se sont livrées compagnies d’assurances et mutuelles 1. Il a décidé de ne pas payer cette nouvelle charge, pour un « service » dont il n’a jamais eu aucune utilité. Ce qui n’a pas plu à l’employé à l’accueil de son agence Partena, à Bruxelles, où il était venu chercher, entre Noël et Nouvel An, l’attestation Omnio dont il avait besoin pour ses abonnements aux transports en commun. – Vous n’avez pas payé votre assurance complémentaire! Bernard explique pourquoi il ne compte pas le faire, en s’en tenant aux raisons pratiques. – Mais c’est obligatoire maintenant. – Oui et non. Si je ne paie pas, je serai seulement désinscrit de l’assurance complémentaire… que je ne souhaite pas. Vous avez dû scinder la mutuelle en deux entités distinctes… – Vous êtes juriste ? s’enquiert prudemment l’employé.

Bernard s’était informé auprès de l’organisme de contrôle des mutuelles. Mais ça n’a pas impressionné son interlocuteur. – Vous allez être désincrit de l’assurance de base si vous ne payez pas la cotisation complémentaire ! C’est totalement illégal. Un affilié qui conteste, c’est un peu une attraction. Deux collègues arrivent en renfort du premier employé pour convaincre le récalcitrant. – Nos services sont en train de préparer les ultimes sommations, avant la désinscription. Bernard maintient que c’est illégal. Mais les menaces pleuvent désormais : non seulement il risque d’être privé des remboursements légaux, mais on lui assure que, bientôt, la mutuelle pourra venir se servir directement sur son compte en banque. Plus d’un « prestataire » rêve de pouvoir prélever directement sur les comptes des « mauvais payeurs ». Pour l’instant, cela relève heureusement du fantasme de bureaucrate. Mais rien ne dit qu’à l’avenir, avec l’endettement des ménages qui se généralise…

Un peu rassuré, Bernard se dit qu’il n’est sûrement pas le seul à faire de la résistance. L’imprimante de l’employé d’accueil crache les attestations Omnio. – L’année prochaine, on ne vous les délivrera plus, si vous vous n’êtes pas en ordre de cotisation, lâche l’employé, revanchard, sur le ton d’un « c’est bon pour cette fois ». Chez Partena, on considère que ces documents, mais aussi les remboursements légaux, sont des « services » que les mutuelles rendent à leurs affiliés. – Si c’est ainsi, j’irai à la CAAMI, lâche Bernard. La CAAMI, c’est l’organisme public de sécurité sociale, pour ceux qui ne sont affiliés à aucune mutuelle. A cause de l’assurance complémentaire devenue obligatoire, beaucoup d’affiliés qui ne souhaitaient pas voir leurs cotisations mutuelles augmenter sont passés à l’institution publique, totalement gratuite, elle.

Les mutuelles n’ont pourtant aucun intérêt à se débarrasser de leurs affiliés, mêmes pauvres. Elles sont financées par l’Etat au nombre de têtes de pipe. Mais quelle que soit la politique qu’elles adopteront dans les mois à venir à l’égard des résistants à l’assurance complémentaire obligatoire, le petit échange rapporté ci-dessus est symptomatique de l’inversion du regard que suscite la privatisation larvée des soins de santé, dont l’assurance complémentaire est le cheval de Troie. Les mutuelles, à l’origine des regroupements de travailleurs solidaires, luttant
pour obtenir le droit de vivre un peu dignement en collectivisant les risques, ne sont plus un intermédiaire rétribué par l’Etat pour gérer les remboursements de frais de santé. Entraînées par la mécanique libérale, elles deviennent des « prestataires de services » offrant leurs produits à une clientèle solvable, et exerçant au passage chantage et racket sur celle qui ne l’est pas.

Comme Bernard, par exemple.

 

Deux voies ont été historiquement empruntées par l’Etat pour financer la Sécurité sociale. La première consiste à augmenter les recettes par prélèvements fiscaux – et on sait qu’aujourd’hui cet exercice est devenu politiquement très délicat. La seconde vise à réduire les dépenses – et là, c’est le monde médical qui renâcle, arguant notamment du coût nécessaire du progrès technique. Depuis plus de dix ans, une troisième voie est empruntée : le transfert progressif d’une partie des dépenses de santé vers un système de type assuranciel privé. C’est le rôle de l’assurance complémentaire qui, lentement mais sûrement, grignote des parts de plus en plus importantes du secteur des soins de santé.

Notes:

  1. Voir « L’assurance complémentaire devient obligatoire« , in C4, n°212-213, mars-avril 2012
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3 Commentaires

  1. Calamity's Gravatar Calamity
    17 juillet 2013    

    « Deux voies ont été historiquement empruntées par l’Etat pour financer la Sécurité sociale. La première consiste à augmenter les recettes par prélèvements fiscaux… »

    Grossière erreur! la sécurité sociale n’est pas financée par les impôts, mais par la COTISATION sociale!!! Voir Friot, Réseau salariat, etc…

    http://www.reseau-salariat.info/12dbd8a3b014586408db957ace8bbcba

  2. dmas48's Gravatar dmas48
    17 juillet 2013    

    Euh, je comprends mal le texte encadré.

    Qu’est-ce qu’on finance en réduisant les dépenses de sécu ?
    Et en quoi le transfert vers du privé est une troisième voie par rapport à la réduction des dépenses ?

    Franchement, les gens qui écrivent ça devraient suivre des cours pour savoir que la sécurité sociale est financée par des salaires partagés qu’on appelle les cotisations sociales.

    Et que ces cotisations sont des flux entrants à l’ONSS pour être distribué dans l’instant en prestations sociales, ces prestations finançant les soignants (médecins, infirmiers), les pensionnés, les malades, les invalides, les chômeurs, etc.

    Bref, au départ et toujours aujourd’hui, l’ONSS gère des montants SALARIAUX et on peut dès lors s’étonner que les patrons co-gèrent le truc.

    Puisqu’il s’agit de SALAIRES, ils ne devraient rien à voir là-dedans.

    Et ils devraient avoir d’autant moins à faire à l’ONSS que, comme vous l’expliquez, on a fiscalisé, càd fait payer aux contribuables / par l’Etat, les montants qu’on permettait aux patrons de ne plus verser (réductions de cotisations sociales).

    Pourquoi n’a-t-on pas demandé qu’on réduise la contrôle patronal sur la sécurité sociale ?

    Pourquoi continue-t-on de ne pas revendiquer ça, du côté des organisations de salariés ?

    La véritable TROISIEME voie pour renforcer la sécurité sociale ne consiste ni en une privatisation ni en une fiscalisation. Elle consiste en une augmentation des cotisations sociales, c’est-à-dire à un plus juste partage, une plus juste répartition des salaires.

    A une époque où on constate que les écarts salariaux sont intolérables, ce ne serait pas une mauvaise chose …

    Mais même à gauche, ça ne se demande pas … Cherchez l’erreur …

  3. Xwom's Gravatar Xwom
    27 janvier 2014    

    Pourquoi devrais-je payer un service auquel je ne bénéficie pas….d’aucune façon….??? Je ne parle que l’assurance complémentaire…!

    Même lorsque je bossais, je n’avais pas accès à certains soins spécifiques…et ce malgré que je payais ma complémentaire…il aurait fallu que je débourse encore plus pour me voir profiter d’un semblant de couverture …
    En sachant, que les cotisations sociales couvrent l’assurance OBLIGATOIRE (de ce côté, je suis en ordre!) pourquoi devrait-on encore débourser pour un service dont la plupart ne profite même pas…??

    Ex: remboursement contraceptif, soins homéopathiques, consultations chez le psy ou le nutritionniste, intervention weight watcher (?), intervention sport, lunettes ….etc….

    la liste est longue….et pour les cacahuètes qu’ils vous remboursent…!

    Je n’ai pas d’argent à claquer en choses inutiles….! Je ne fais pas de sport dans un club quelconque (vu le prix des abonnement!), contraceptif? (limité à une catégorie d’âge!), nutritionniste (lorsqu’on a pas de fric…on crève limite de faim…donc l’obésité…c’est un concept pour nantis, pour moi!!!J’exagère un peu…:) …etc…

    J’étais affiliée auprès de la partena….on me prélevait tous les mois les cotisations (dues pour l’assurance complémentaire)!

    Tout allait bien…jusqu’au jour où j’ai perdu mon emploi et qu’après un an de chômage je me sois rendue chez eux pour faire cette demande du statut Bim!

    Un premier employé m’avait expliqué la démarche et tous les documents nécessaires pour cette attestation mais lorsque je suis revenue une seconde fois pour officialiser cette demande du statut Bim…j’ai été reçu par une dame blonde…..très désagréable…;qui a refusé d’introduire la demande de mon statut bim….alors que j’avais tous les documents que son collègue m’avait demandé précédemment …
    Elle voulait que je me rende à ma banque pour que je lui demande des extraits de compte prouvant mes revenus de chômage!!!
    J’ai manifesté mon incompréhension…car j’avais les preuves de revenus délivrées par mon organismes de paiement de chômage (ce qui était suffisant..) il n’a jamais été question de se procurer des extraits de compte auprès de l’organisme de banque….
    Elle me hurlait dessus…me faisant comprendre que je devais être une abrutie qui ne comprenait rien à rien…
    et en plus, elle critiquait le travail de son collègue, qui selon elle, avait raconté « n’importe quoi »!!!:

    Bref, s’il n’y avait pas eu le collègue du bureau voisin (un autre) dans cette agence de Bruxelles….je crois je serais partie dépitée de là…le collègue est intervenu…en ces mots: « mais qu’est-ce que tu racontes? » « Elle a la dernière attestation de son organisme de paiement….! » « Pourquoi veux-tu encore des extraits de compte bancaire? »

    Merci monsieur!!!
    C’est si rare qu’on défende les gens… de nos jours! surtout lorsqu’ils ont raison…

    Madame ne s’est jamais excusée …a accompli son job et j’ai reçu mn attestation bim, pour la réduction stib!

    Je trouve ce service cher payé….pour me faire traiter comme une m****!!!! parce qu’au chômage??

    Je suis partie depuis….et encore heureux!

    Payer pour un service dont je ne profite pas…ok, c’est une chose !! mais me faire insulter, c’est la limite qu’il fallait pas franchir!!!

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