Nouvelles figures & pratiques médiatiques. Rencontres en terrain mutant.

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En octobre 2012 naît l’Entonnoir – www.entonnoir.org –, un blog né du désir de l’équipe de « D’une certaine gaieté » d’ouvrir un laboratoire des usages médiatiques à l’ère numérique. Un blog expérimentant sur le Web l’exploration du quotidien qui, depuis 1992, tient lieu de fil rouge et de méthodologie éditoriale à C4. Au même moment – cela nous semblait cohérent avec l’ouverture du blog –, nous décidons que le magazine va passer à une fréquence trimestrielle et que nous allons changer la maquette et le format. Parallèlement, nous choisissons de développer en éducation permanente une nouvelle thématique d’action axée sur les médias numériques. C’est dire combien tout ce qui questionne le champ médiatique – sur papier et sur Internet – nous excite depuis quelques mois. Nous remue. Nous fait douter. Nous interpelle. Nous fait avancer. Nous nourrit…

Les points de vue des usagers nous ont souvent davantage éclairés que ceux des experts : c’est pourquoi, dans ce dossier, aller à la rencontre de journalistes et de nouvelles figures médiatiques nous a semblé évident. C’est ce que nous avons fait.

suicideNous vivons un moment-clé où les manières de communiquer, d’informer et de s’informer sont en pleine métamorphose. Tout le monde et tous les aspects de la vie sont touchés. Internet et les réseaux sociaux sont partout, s’immisçant au cœur même de nos manières de fonctionner et de raisonner. De travailler aussi, évidemment.

Parmi les premiers secteurs bouleversés par l’émergence du numérique, on trouve bien sûr tous ceux dont l’activité est de construire et de traiter l’information : journalistes professionnels ou passeurs d’infos “ampros”, ces amateurs-professionnels de plus en plus nombreux et importants dans la construction du récit médiatique contemporain.

Dans un petit ouvrage pamphlétaire écrit il y a quelques années par deux journalistes mainstream ayant pignon sur rue dans le paysage médiatique français 1, on pouvait lire cette phrase : « Ne dites pas à ma mère que je travaille sur le web… Elle croit que je suis journaliste ». C’est drôle, c’est bien vu, mais ç’est aussi révélateur d’un certain malaise des professionnels de l’info face aux potentialités et aux usages offerts par les nouveaux moyens de communication. Où se situe le noeud? Quelles sont vraiment les tensions qui sous-tendent ces rapports difficiles entre le monde du journalisme officiel et celui, bien plus vaste, d’Internet ?

Les questions sont infinies. Et nombreux sont ceux qui, ces derniers temps, (se) les posent sur la place publique : du Manifeste de XXI à Ignacio Ramonet, en passant par Bernard Poulet… C’est pourquoi nous avons décidé d’en aborder quelques-unes – celles qui nous semblent centrales – à des acteurs de terrain qui éprouvent et expérimentent au quotidien ce rapport complexe entre journalisme et Web.

vengeanceLes jeunes journalistes sont-ils bien armés par rapport aux nouveaux enjeux et fonctionnements de l’info sur le net? Le travail de base du journaliste – vérifier, recouper, aller sur le terrain – ne souffre-t-il pas de la multiplication des compétences techniques nécessaires à l’édition d’info sur le Web ?

Une info de qualité, approfondie, critique, est-elle encore possible dans le champs numérique ? La société de l’info ne mène-t-elle pas paradoxalement à une uniformisation,
à un appauvrissement, à une mondialisation du contenu ? Ou, pour le moins, ne va-t-on pas vers une info à deux vitesses, avec d’un côté une info de masse, gratuite, facilement accessible et standardisée, et de l’autre une info de très bonne qualité, payante ou plus difficilement accessible, réservée à une minorité socialement et/ou intellectuellement privilégiée ?

Et encore : la presse écrite va-t-elle vraiment disparaître, et la profession de journaliste avec elle? N’est-ce pas là un danger pour la démocratie ?

Et, au fond, la question de savoir si Internet est ou non un espace démocratique en soi est-elle vraiment la bonne ? A C4, nous pensons que le Web est un outil qui ouvre des possibilités démocratiques puissantes, dont beaucoup restent à expérimenter. Mais nous croyons aussi qu’il n’est qu’un outil. Il n’est ni bon, ni mauvais en soi. Tout dépend des usages qu’on en fait et de la capacité d’investissement qu’on place ou non dans ce nouveau langage qui n’a pas encore dévoilé toutes ses potentialités, et dont la société n’a pas encore pris toute la mesure.

A travers ces trois rencontres, ce sont surtout des pratiques, des usages et des investissements personnels différents que nous avons cherché à révéler. Croiser des parcours afin d’aller un peu plus loin dans le débat autour des nouvelles technologies de l’information, ces outils qui sont à la fois des langages et des dispositifs et qui, maintenant c’est sûr, vont révolutionner à long terme et en profondeur non seulement nos manières de communiquer, mais aussi nos manières d’être au monde.

Philippe Bodeux, la quarantaine, est chef de la rédaction régionale du Journal Le Soir de Liège.

Sylvain Malcorps, vingt-six ans, est diplômé en journalisme de l’ULg. C’est un stage à Rue89 qui lui ouvre la voie du journalisme numérique. Aujourd’hui, il travaille pour la version francophone du site d’information “Apache” [www.apache.be]

Claudia Vago a trente-cinq ans. Italienne, elle vient de s’installer à Liège. Elle travaille depuis plusieurs années dans le champ des réseaux sociaux et du journalisme numérique. Environ vingt-mille personnes la suivent sur Twitter – @tigella. Plutôt que « journaliste », elle préfère se définir avec le terme anglais de « storyteller ». Elle travaille notamment pour le Huffington Postitalien. Son blog : tigella.tumblr.com –

Chemins

Sylvain Malcorps, « un peu au culot », a fait une demande de stage à Rue89. C’est de cette façon qu’il est entré dans le monde du web journalisme. « C’était il y a quatre, ans, c’était encore les débuts de Facebook et de Twitter. Mon stage m’a donné l’impression d’un vent de fraîcheur. C’est à ce moment que je me suis rendu compte de toutes les possibilités du net. En même temps, c’est un monde qui bouge tellement vite que tu ne sais pas très bien quelle sera la tendance d’ici six mois. Je me suis surtout rendu compte qu’on pouvait s’amuser dans une rédaction, alors qu’à la Meuse, par exemple, où j’avais fait un stage, ou même dans une autre rédaction d’un quotidien papier en ce moment, on a un peu l’impression que tout le monde tire la gueule… » Claudia Vago a d’abord travaillé dans l’équipe web du secteur promotion du Tourisme de la Région d’Emilie-Romagne. Mais son activité de blogueuse indépendante a vraiment débuté au moment de la révolution en Tunisie. « C’est un pays dont je connaissais le cadre et le contexte. En plus, mon mari est Tunisien et par les contacts avec sa famille sur place, on a eu l’intuition qu’il se passait quelque chose de très important, bien avant que les médias mainstream arrivent là-bas. Pour savoir ce qui se passait et relayer l’info, je me suis d’abord
concentrée sur des blogueurs que je suivais déjà, des gens de confiance… Pour moi, l’intérêt des réseaux sociaux et des médias numériques n’est pas dans la vitesse, mais plutôt dans la profondeur. Twitter ou Facebook permettent qu’un événement soit perçu de l’intérieur, avec divers points de vue, ce qui permet de construire un récit collectif.
 » Raconter une histoire, c’est d’ailleurs ainsi que Claudia définit son travail : « je ne me définis pas comme une journaliste, même si la plupart des gens estiment que c’est ce que fais en réalité. Je préfère me définir comme une passeuse d’histoires. J’aime bien aussi le terme anglais de “storyteller” ».

Philippe Bodeux, lui, est amené dans son métier à s’adapter aux changements générés par la montée en puissance du numérique. « Maintenant que le Soir a un site internet, celui-ci doit être tout le temps rafraîchi. On nous demande de twitter et, si un truc chaud se passe, comme par exemple l’explosion rue Léopold, alors il faut publier très vite une première version sur le net. On ne peut pas se contenter des dépêches. Nous, journalistes qui sommes sur le terrain, devons alimenter directement le site avec du texte et des photos. Idéalement, il faudrait de la vidéo aussi… Les situations peuvent varier : soit c’est un journaliste qui twitte directement et qui devient un petit média à lui tout seul sur un événement, soit c’est quelqu’un de la rédaction qui, une fois que le journaliste a publié son article sur le net, twitte au nom de la rédaction, du journal. »

Valeur ajoutée

Pour Claudia, c’est très clair : « Aujourd’hui, tout le monde a accès à toutes les infos qu’il veut. La valeur du travail du journaliste, c’est de donner du sens à celles-ci. » Sylvain adhère à cette vision, et ajoute : « Toutes les photos que les gens prennent avec leur smartphone, on peut toujours les utiliser et les intégrer dans un article, mais la question qui se pose toujours, c’est celle de la vérification de l’information. »

Mais pour donner du sens avec les médias numériques, il faut repenser le contenu en adéquation avec le support. Claudia insiste : « Il ne s’agit pas d’un simple transfert. Il faut penser et proposer le contenu différemment. Les médias numériques sont faits de liens, de portes qui s’ouvrent, de directions multiples, ce n’est pas linéaire… Chacun peut choisir son parcours, sa lecture. Par exemple, lorsque j’ai travaillé sur le récit de la journée du 17 septembre 2009 d’Occupy Wall Street, chaque élément que j’utilisais – un tweet, une photo, un extrait de récit d’une réunion – était classé selon des mots-clés que je choisissais et qui permettaient ensuite aux usagers de pouvoir, à partir d’un élément, retracer tout le matériel similaire. »

Temporalités

On le sait, le web constitue un flux d’infos continu. Produire un contenu fouillé, de vraies analyses, une info de qualité, ça prend du temps. Comment concilier ça avec les impératifs du web où il faut donner sans cesse de la « chair fraîche » aux internautes ?

Philippe Bodeux cerne bien les écueils induits par l’immédiateté du web : « J’ai constaté plusieurs fois combien l’exigence d’être rapide et prêt à passer tout de suite à autre chose sur les sites d’info en continu pouvait mener à des erreurs. Par exemple, le site reprend une dépêche qui est erronée ou incomplète. Plusieurs fois, nous avons dû rectifier le tir en rédigeant nous-mêmes quelque chose et en demandant de supprimer la dépêche. De même, le tweet d’un quidam est parfois balancé sur le site au même titre qu’une info de journaliste et, à partir du moment où c’est sur le site, ça acquiert un statut d’info journalistique, alors qu’il n’y a eu ni vérification, ni recoupement. » Les propos de Claudia vont dans le même sens : « Souvent, c’est plus intéressant de s’extraire du flux continu et de prendre quelques minutes de recul pour analyser et recouper ».

Philippe note aussi que la nécessité d’aller vite oblige
parfois le journaliste à « sélectionner de façon beaucoup plus drastique le nombre d’interlocuteurs qu’il va interviewer ».

avatarClaudia, elle, estime qu’il y a une place pour d’autres temporalités sur Internet. « Justement, pour le moment, avec des amis italiens, on travaille sur un projet lié à l’agenda politique de Monti. Notre objectif est de raconter les conséquences concrètes des lois et des décisions politiques sur la vie, sur le quotidien des gens pour qui, bien souvent, tout ça demeure très abstrait. Ce projet ne permet absolument pas une diffusion quotidienne. On va sans doute produire un dossier toutes les trois semaines environ. Or, généralement, un site a besoin de plus de dynamisme. Mais on peut considérer qu’on s’en fout d’être en première place sur Google ou d’avoir une remise à jour constante. On peut faire autrement et utiliser les réseaux sociaux pour partager le contenu au moment où il sort, au moment où on l’a décidé. Si celui-ci est de qualité, il trouvera forcément sa place. » Sylvain expérimente ce questionnement, lui aussi, dans le cadre de son travail à la rédaction francophone d’Apache. « L’info chaude, ce n’est pas pour nous. On s’inscrit plutôt dans la tendance du “slow journalism”. On conçoit davantage notre façon de fonctionner comme celle d’un hebdomadaire. On prend le temps d’analyser l’information, sans chercher à être dans la réaction immédiate. Mais prendre du temps coûte de l’argent, et c’est un peu le souci. On voudrait pouvoir mieux rémunérer les journalistes, là est l’enjeu de trouver un modèle économique viable… »

Claudia considère qu’il s’agit là de questions complexes : « C’est compliqué mais c’est un défi, il faut essayer. On se trouve dans un moment où tout est ouvert, où tout peut être expérimenté. On fera sans doute des erreurs, mais ce n’est pas grave. »

Formation, technique

A propos de formation aux techniques des médias numériques, Claudia raconte cette anecdote : « Un jour, en Italie, j’étais à une conférence et j’expliquais qu’il ne s’agissait pas seulement d’être sur Twitter et Facebook, qu’il fallait se familiariser avec des techniques, des logiciels permettant d’exploiter au mieux les possibilités de ces outils. Et une journaliste mainstream m’a dit : “Mais ça prend du temps, tout ça !” Evidemment ! Ce n’est pas comme si un diplôme te donnait une légitimité de fait : le monde change, le travail change, et il faut s’adapter sans cesse. » Les propos de Philippe renforcent ceux de Claudia : « Chez les journalistes plus anciens, il n’y a pas eu de formation continuée, c’est un vrai problème de la profession. Il est temps que ça se mette en place ». Claudia poursuit : « D’ailleurs, aujourd’hui, un journaliste qui travaille sur le web doit, je pense, être formé un minimum en programmation, afin d’être capable d’entrevoir toutes les potentialités qui lui sont offertes. » Sylvain va dans le même sens : « C’est important d’apprendre le code html parce que c’est ce qui structure toute page web. Tu n’es pas forcé de savoir coder, mais tu dois comprendre comment cela fonctionne. »

A la question de savoir si les étudiants en journalisme étaient armés pour affronter les médias numériques, Philippe affirme : « Oui, ils sont même sans doute mieux formés qu’avant. On remarque aussi que, bien souvent, les étudiants ont aussi une formation personnelle, que ce soit en infographie, en programmation, en data journalism… ». Des propos nuancés par Claudia : « Ce n’est pas parce qu’on est digital native  2 qu’on comprend forcément les enjeux des médias numériques et d’Internet ».

Modèle économique ?
Pour Claudia, la question est essentielle, mais, comme beaucoup, elle n’a pas la réponse. A un niveau davantage micro-économique, par exemple dans son travail de “storyteller” pour le Huffington Post italien, elle constate un manque de critères permettant de définir son salaire : « Je travaille ponctuellement pour eux. Par exemple, pour la Nuit des élections américaines, j’ai construit un storify  3 en reprenant les tweets et les commentaires des électeurs. Et en fait, ils ne savent pas trop comment ni combien me payer. Comme on ne peut pas comptabiliser au signe, ce qui est la balise habituelle en journalisme, ils sont un peu perdus. De même, quand je travaille sur base du crowdfunding, comme lorsque je suis allée à New York pour suivre Occupy Wall Street, je me questionne sur la façon de rétribuer les personnes qui ont cotisé. Je tente de définir des formes de rétribution adaptées aux montants des contributions des gens qui me suivent. »

Le modèle économique est aussi au cœur des questionnements et des expériences du côté d’Apache. Sylvain raconte : « Après un stage de trois mois à la rédaction d’Anvers, où j’écrivais quelques articles en français et proposais des traductions du contenu en néerlandais pour les francophones, je suis rentré à Liège et ils m’ont demandé de continuer l’expérience. Comme j’avais très peu de moyens, j’ai introduit divers dossiers de demandes de subventions. Nous avons reçu 15.000 euros de la Communauté française pour 2013, ce qui va permettre de lancer la version française du site en attendant de trouver un modèle économique qui fonctionne, afin de ne pas dépendre que des subsides et de préserver notre indépendance. Sinon, du côté de la rédaction flamande, celle qui ramène des recettes (l’accès à la partie francophone est gratuit pour l’instant), on fonctionne sans aucune publicité. Nous avons un mur payant et environ 70% des articles publiés sur la version néerlandaise d’Apache sont accessibles via un abonnement qui peut être annuel ou mensuel. On a actuellement environ 500-600 abonnements, principalement annuels. Nous avons aussi un subside de la Communauté flamande pour lequel on doit développer du contenu axé sur la critique des médias. Mais d’autres idées de développement pour assurer notre viabilité économique sont encore à l’étude… »

Au Soir, Philippe Bodeux est un chef d’édition pour le moins isolé : il est le seul salarié. Une seconde personne a un statut particulier, et pour le reste, l’équipe de collaborateurs indépendants s’est réduite. « Ça a encore le nom d’un bureau régional, mais ça n’en a plus vraiment le fond… On fait de plus en plus de synergies avec la Meuse, ce qui ôte encore un peu plus d’autonomie rédactionnelle et qui empêche un vrai travail d’équipe. »

Le budget des piges fond comme neige au soleil, de même que le nombre de pages : « la norme, c’était trois pages… Je n’ai pas encore regardé le chemin de fer mais je suis sûr que cette semaine, je n’aurais que deux pages, et qu’on m’aura mis une page de pub pour réduire les dépenses ». Pour Philippe, ces difficultés de la presse papier sont liées en partie à l’émergence du numérique : « Le numérique ne tient pas la route au niveau économique. Il rapporte peu en termes de publicité. Et même si l’opération “News tablet” – qui permettait d’amortir sur deux ans l’achat d’une tablette avec, dans le package, un abonnement à Belgacom et un au Soir – a rapporté environ quatre à cinq mille abonnements numériques, elle a aussi généré des coûts… Il a fallu installer des cellules, des desks numériques, et ces coûts-là ne sont pas compensés par des recettes. De plus, au niveau des recettes publicitaires, on est en stagnation, voire en régression. Et les coûts de fabrication du journal papier, eux, restent les mêmes, tandis que les ventes s’érodent toujours plus. De plus, il faut considérer le fait que l’abonnement
numérique coûte deux fois moins cher. Bref, le modèle traditionnel ne tient plus la route. Un nouveau plan de restructuration visant à supprimer 10% des effectifs nous attend d’ailleurs très bientôt. 
»

piouLe papier au bûcher ?

La presse papier va-t-elle disparaître ? « Non », répond d’emblée Claudia. « La presse papier ne va pas disparaître, elle va changer. En ce qui me concerne, je ne vois pas l’intérêt aujourd’hui d’acheter un quotidien dans lequel je vais trouver des infos qui sont déjà sur Internet. Mais je serais intéressée par un journal qui me propose un vrai point de vue, une vraie construction narrative, peut-être à un rythme différent, une ou deux fois par semaine… »

Pour Sylvain, « on va forcément arriver à une forme d’éclatement de l’univers médiatique. On va peut-être aller davantage vers un marché de niches. Personne ne sait vraiment dire dans quel sens ça va aller. »

Philippe est pragmatique : « Ce que je constate, c’est que ça coûte cher de produire un journal papier. Les frais d’impression et de distribution ne cessent d’augmenter. De plus, le modèle est tout de même basé sur le volume : il faut un volume minimum pour que les coûts soient répartis. Et donc, je ne pense pas que le papier va disparaître, mais qu’on ira peut-être vers un modèle de journal comme Métro, gratuit et hyperconsensuel, tandis que d’autres produits de niche proposeront un contenu dont il faudra payer la qualité. »

vieux-nbAtomisation versus démocratisation ?

L’évolution des médias telle qu’elle se dessine ne comporte-t-elle pas un risque d’atomisation, avec un nivellement par le bas pour le plus grand nombre ? Une info à deux vitesses avec, d’un côté, une élite capable de comprendre, d’exploiter et/ou de bénéficier du potentiel de démocratisation du web et d’avoir accès à des contenus de qualité payants sur papier, tandis que la plupart des gens n’auraient à disposition qu’une info gratuite en flux tendu, sans analyse ni point de vue ?

Pour Claudia, l’une des causes importantes du changement, c’est la désintermédiation. Aujourd’hui, tout le monde a accès aux informations. « Cette situation génère aussi de nouvelles intermédiations et de nouvelles figures d’intermédiaires. Je suis une de ces figures. Et si n’importe qui peut devenir intermédiaire, il est aussi très facile de perdre ce statut si tu ne fais pas ton travail honnêtement, si tu n’es pas fiable. Si je commence à raconter n’importe quoi sur mon blog, il ne faudra que quelques jours avant que ma légitimité soit foutue. Il ne s’agit pas d’être naïfs face au numérique, on doit préserver un certain recul et une forme d’analyse critique. La technologie n’est pas un dieu. Et c’est vrai qu’il y a pas mal de conneries et de LoLCat sur le Web, mais ce n’est pas un problème. Si ce n’était pas sur Facebook ou Youtube, ce serait ailleurs, forcément, puisque ça fait partie de la vie. En attendant, on a le choix, on peut aller chercher ce qui nous intéresse, et ça, c’est l’essentiel. »

Philippe considère le risque : « Un lecteur plus passif risque effectivement de se trouver face à une presse de plus en plus consensuelle, capable de fédérer un maximum de profils et ayant abandonné les créneaux qui sortent des sentiers battus ». La question démocratique, il l’entend de deux façons : « il y a évidemment l’enjeu de l’accès à une info de qualité pour tous, et on ne va pas vraiment vers ça. Mais l’autre versus de la démocratie dans la presse, c’est aussi l’accès à tous les courants
de pensée, et l’intérêt des journalistes pour TOUS les phénomènes de société. Pour une presse diversifiée, il faut des acteurs économiques qui le soient aussi. La concentration n’est pas bonne pour l’instant. Si des acteurs disparaissent, ou s’il y a des concentrations, il faut que de nouveaux émergent, même s’ils sont plus confidentiels. Par exemple, de nouveaux acteurs avec d’autres modèles de financement. C’est ce qui est intéressant avec XXI : il y a une implication du lecteur à acheter un produit certes un peu cher, mais qui donne de la valeur à l’info. D’autres modèles pointent leur nez, comme le financement coopératif, ou encore le crowdfunding, grâce à des jeunes qui se lancent et qui sont peut-être un peu moins frileux que ceux installés dans le secteur depuis longtemps. 
»

Pour Sylvain, le principe démocratique réside dans le côté participatif du média numérique : « Les feedbacks, les retours possibles de la part des internautes, je trouve ça essentiel. On est davantage dans un système d’échange de savoirs. Tu peux vraiment être remis en question et je trouve ça très sain. Je tente au maximum d’interagir avec mes lecteurs. Et quand, sur un article, j’ai par exemple une quinzaine de commentaires, ce qui est plutôt pas mal, j’essaie d’en faire une revue, voire un deuxième article. »

Et Claudia de conclure : « On est dans un moment historique hyper intéressant. Tout s’écroule, ce qui signifie aussi qu’il va falloir tout reconstruire. C’est vrai dans le champ des médias, mais aussi en politique et en économie. C’est une époque incroyable où tout est ouvert, il y a comme une immense prairie qui s’étend, là, devant nous. C’est exaltant. Ça fait peur, aussi. On se doit d’essayer, d’expérimenter, de faire des choix. »

danseur

Angélique de Waha

RaF Pirlot

Nat Ryckewaert

 

Notes:

  1. E. Lévy et P.Cohen, « Notre métier a mal tourné« , Mille et une nuits, 2008.
  2. Se dit de la génération qui est né et a grandi dans un environnement numérique.
  3. Ligne du temps multimédia pouvant reprendre des tweets, des photos, des extraits vidéo, des commentaires…
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