L’histoire de Karen Bello commence comme beaucoup d’autres : une jeune fille qui désire connaître une nouvelle culture et sa langue débarque à Genk comme fille au pair, moyennant un permis de travail. Seulement, son parcours en Belgique n’aura pas grand chose du rêve attendu : une famille peu accueillante, des démarches administratives interminables, de l’exploitation, des menaces… Dégoûtée par sa situation, elle pense rentrer au pays en Colombie. Et c’est alors que Laurent Santini, un jeune Belge d’origine italienne, croise son chemin.
« J’ai connu Laurent en décembre 2011, presqu’un an après mon arrivée ; on a commencé à sortir ensemble, puis on est tombé amoureux » se souvient la jeune colombienne en regardant tendrement celui qui est devenu son mari. « Peu après, j’ai reçu mon premier ordre de quitter le territoire. » Elle ne part pourtant pas car ils ne veulent pas se séparer. Ils souhaitent vivre leur histoire d’amour et, si elle quitte la Belgique, ses chances de retour seront très faibles. « Nous avons demandé le conseil d’un avocat. Pour lui, la seule solution était le mariage. En cas de départ, il y avait 80 % de possibilités que je ne revienne pas. » Après y avoir réfléchi longuement, ils ont décidé de faire le pas, pensant que cela leur permettrait d’avancer dans leur vie commune : « ce n’était pas une décision facile, c’est un engagement très fort » affirme Laurent. Malgré les nombreuses démarches, des successions de refus administratifs, la radiation de la commune de Karen… Ils finirent par se marier, entourés par la famille et les amis.
Par contre, le mariage n’allait pas vraiment changer la situation de Karen. Quelque mois après le « plus beau jour de sa vie » elle reçoit un nouvel ordre de quitter le territoire. Nos deux amoureux n’avaient pas été mis au courant d’une modification de la loi sur l’accès au territoire et le regroupement familial concernant l’âge des conjoints. L’article 4 de celle-ci stipule désormais qu’elle s’appliquera uniquement à : « son conjoint étranger ou l’étranger avec lequel il est lié par un partenariat enregistré considéré comme équivalent à un mariage en Belgique, qui vient vivre avec lui, à la condition que les deux personnes concernées soient âgées de plus de vingt et un ans ». Or, Karen n’a que vingt ans : elle tombe donc sous le coup de cette loi.
Ce changement de loi vise « à éviter les mariages forcés ou arrangés ». Pourtant, Laurent l’affirme : « on voit bien que nous sommes ensemble parce qu’on s’aime : il suffirait d’un passage de la police à la maison, d’un regard à nos photos de vacances ensemble, d’une enquête pour confirmer que ce n’est pas un mariage blanc. De plus, notre mariage n’a jamais été contesté par les autorités, donc on ne comprend pas cette loi, qui est en soi contradictoire. » Laurent est visiblement exaspéré par la situation.
Leur avocat a fait un recours en annulation de la décision qui viole l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Selon celle-ci, « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ». Si leur recours est rejeté, ils pensent aller à la Cour Internationale pour continuer leur combat contre une loi qu’ils vivent comme injuste. Pendant ce temps, l’anniversaire de Karen approche lentement. Elle aura vingt et un ans, enfin, en juin prochain. Il lui faudra alors recommencer l’ensemble des nombreuses démarches déjà entreprises pour obtenir son permis de séjour.
Nos deux jeunes tourtereaux ne sont pas pour autant rassurés : « Il faudrait refaire tout le dossier, mais quelle
loi vont-ils encore sortir après ? » se demande ironiquement Laurent. « Je suis dégoûté de mon pays, je trouve la situation ridicule. » Karen, de son côté, se questionne sur les priorités de l’état : « j’ai vécu menacée et j’ai été exploitée dans un restaurant pendant des mois; ils voulaient même me marier de force à un ami du propriétaire ! C’est Laurent qui m’a fait sortir de là. Nous avons tout raconté à la police et ils n’ont rien fait. »
En attendant que son problème soit résolu, le jeune couple ne parvient pas à faire sa vie : « on ne te laisse pas avancer en tant que couple ni en tant que personne. Je ne peux pas travailler, ni entamer des études, moins encore sortir du pays… ça fait tellement longtemps que je ne vois pas ma famille » regrette la jeune femme. « Ce n’est pas une vie, on a peur de sortir, de nous retrouver pris dans un contrôle de police… comment réagirait alors le représentant de la loi ? » se demande son mari. Expulsion ou internement dans un centre fermé, tout peut arriver à Karen. Tout peut t’arriver quand tu n’as pas de papiers – et que tu es considérée comme une personne sans quasiment aucun droit.
Marta Luceño Moreno
malheureusement c’est le cas pour moi aussi.