S’il existe un journalisme en ligne, le décrire nous obligerait à imaginer quelque chose entre un champ de bataille conceptuel et un laboratoire de physique expérimentale. A moins qu’il ne s’agisse d’un hackerspace. Sur ce territoire tumultueux, la webradio occupe une place particulièrement résistante à la mutation. En Belgique francophone, peu de mouvement, quelques expériences – comme radio Rectangle – et un service public qui se limite à archiver sa production analogique sous forme de podcasts, quand il n’alimente pas la toile avec des playlists à la consistance discutable.
Passionnée par la radio en ligne, j’ai commencé ma formation en journalisme à l’Université de Cluj-Napoca, en Roumanie. J’ai rapidement choisi de me spécialiser dans ce domaine. Puis, j’ai eu l’opportunité de venir faire mon Master en Belgique.
Contrairement à l’image que la Roumanie pourrait parfois véhiculer dans certains esprits, la presse locale s’est vite adaptée aux technologies de l’information – notamment en matière de webradio. Dans ce domaine précis, un nombre impressionnant de pure players voit le jour – et il convient d’y ajouter la version en ligne des stations analogiques. Je me retrouve à travailler dans un univers plutôt innovant. Et c’est donc tout logiquement que je choisis ce sujet pour mon Travail de Fin d’Etude, à L’ULg. C’est alors qu’à ma grande surprise, je découvre que le paysage webradiophonique de la Fédération Wallonie Bruxelles est plutôt calme.
Très vite, tous les conseils orientent ma recherche vers la RTBF. Une série d’interviews avec des membres de la rédaction me permet d’isoler deux pôles en matière de conception d’une webradio. D’un côté, ceux qui croient que « l’écriture web est totalement différente de celle utilisée pour un média classique » et de l’autre, ceux qui croient qu’il « s’agit simplement d’un transfert de la radio vers l’Internet : le contenu est le même alors que le “canal” est différent ». Bref, on retrouve une ligne de clivage relativement classique dans la profession.
Un bref regard posé sur ce qui se fait en ligne me permet de penser que c’est plutôt la position “conservatrice” qui semble s’être imposée (peut-être par défaut). Il y a trop peu d’exploration du potentiel architectural qu’offre un site Internet en terme de non-linéarité du discours, d’hypertextualité ou d’interactivité. Que trouve-t-on? Les podcasts des émissions produites pour les programmes analogiques et abrités derrière un onglet pompeusement nommé “webradios” – qui sont en fait une série de playlists très classiques (années 60’, 70’, 80’) –, ou encore l’ineffable OUFtivi – un “projet” destiné aux plus jeunes dont on a beaucoup de mal à comprendre les finalités pédagogiques sans s’inquiéter au plus haut point. Tenter de comparer ce qu’on a sous les yeux avec ce qui se fait sur FranceCulture.fr ou FranceInter.fr ne peut se faire sans tenter d’expliquer un différentiel aussi abyssal. Il faut chercher, poser des questions pour comprendre ce qui pourrait caractériser une production webradiophonique ambitieuse ou innovante – et pourquoi pas expérimentale.
Félix Paties, président de Radio Campus Paris, pourrait peut-être nous servir d’éclaireur : « certaines radios en ligne ne font que de la musique non stop, sans construction, sans grille de programmes, sans discours derrière. Sur le Web, tu peux avoir du flux, de la musique ou du talk, mais pour moi ce n’est pas de la radio, parce qu’il n’y a pas un flux alimenté constamment, une régularité. Arte a une webradio qui met en ligne des reportages, mais est-ce que c’est encore de la radio ? ». Aucune définition claire n’émerge. Peut-être est-ce trop tôt encore? Internet offre néanmoins un vaste panel de stations, privées, publiques ou associatives, de la plus spécialisée à la plus généraliste dans son contenu. Et ça, par rapport à ce que permet un spectre d’ondes forcément limité et son cortège de discussions complexes pour l’attribution des fréquences, c’
est déjà un bouleversement de taille. Mais c’est un effet, pas vraiment une caractéristique. Poursuivons, donc.
Qu’en est-il au niveau du journalisme ? François Colmant, assistant-chercheur en communication et nouveaux médias à l’ULg, considère qu’« au niveau de la radio, l’écriture ne change pas. Si tu prends un billet d’un journal, qu’il soit diffusé en radio ou sur Internet, il y a pas de raison que l’écriture change fondamentalement, puisque la manière de faire un billet, elle, n’a pas évolué, elle n’a pas changé. Maintenant, on ne va pas révolutionner la chose puisqu’on est dans un vecteur auditif, on n’est pas dans un support écrit, on est dans la radio. L’Internet n’a rien changé à ce niveau-là, on n’écoute pas différemment la radio sur le Web, c’est juste de l’audition ». Les positions conservatrices qui semblent présider au développement de l’outil à la RTBF trouvent ici une légitimité académique. Mais n’est-ce pas négliger un peu trop vite les possibilités inhérentes aux nouveaux formats d’information que les technologies numériques rendent disponibles ?
On peut maintenant réaliser des “diaposonores” (un diaporama de photos sur lequel est apposé un reportage audio), développer une édition appropriée à l’environnement web en intégrant du son à même le texte ou, inversément, écrire des commentaires sur des pistes audio. Alors, peut-être d’aucuns ne jugent-ils pas ces possibilités si révolutionnaires que cela?
Le problème, c’est qu’un potentiel technologique doit être investi pour produire quelque chose. Si on n’y croit pas, il n’existe pas réellement. Il faut se doter d’infrastructures innovantes et, surtout, se donner les moyens en termes de formation. Or, les enquêtes que j’ai menées au sein de la rédaction de la RTBF ont montré que, dans ce domaine, on pense encore qu’il sera possible de se former “sur le tas”. C’est sans doute un indice intéressant pour comprendre le retard accusé par le service public francophone…
Une situation qu’on pourrait tenter d’expliquer de deux manières. D’une part, les journalistes qui travaillent dans la rédaction web de la RTBF ne se considèrent pas comme des journalistes de radio en ligne – et il reste difficile de produire un truc qu’on ne croit pas produire, à moins d’espérer le faire par hasard. D’autre part, leur travail consiste à rédiger des papiers pour le Web sur base, souvent, d’émissions déjà diffusées sur les ondes, sans réelle “valeur ajoutée” ou innovation. Selon François Colmant, « on demande aux journalistes de faire encore plus qu’avant, on leur demande de travailler plus longtemps et plus rapidement, parfois dans des matières qu’ils ne maîtrisent peut-être pas nécessairement, et là il y a un danger effectivement pour la qualité de l’information ». Si le passage au numérique des unités de production analogique se vivait comme une promenade de santé, on aurait sans doute lu cette histoire quelque part.
D’autres font le chemin inverse. Radio Campus Paris, par exemple, a lancé sa radio d’abord sur le Web puis est passée sur bande FM. « En FM, tu as accès à beaucoup plus de gens d’un coup. C’est sûr qu’avec le Web, tu peux toucher plus de gens partout dans le monde, mais pour nous, ce n’est pas considérable. Avec notre streaming, on ne peut de toute façon pas toucher plus de quarante personnes en même temps en direct, parce que ça coûte cher », explique Félix Paties. Le streaming (ou lecture en continu) demande en effet une bande passante largement supérieure à celle d’un site web et cette bande passante a un prix. Et, encore une fois, le potentiel démocratique de cette technologie ne se réalisera véritablement que si on imagine des politiques publiques à la hauteur des perspectives – ne pourrait-on pas imaginer gérer des quantités de bande passante conçue comme un bien commun ?
Au-delà de la situation des webradios, c’est quasi tout le monde du webjournalisme belge qui semble un peu à la traîne. Les grands quotidiens n’engagent que très peu de professionnels spécialisés dans le domaine de la production de contenu “en
ligne”. Souvent, on demande à ceux qui font du “classique” de se mettre au numérique. Or, gare à simplifier ainsi le problème : les métiers ne sont pas en tous points identiques. Internet change la donne et pousse à travailler la non-linéarité, l’interactivité et l’hypertexte – le tout en ayant accès à des quantités d’archives inouïes et en se connectant à de puissants réseaux sociaux.
En terme de formation, là aussi, la nécessaire mutation tarde quelque peu à s’envisager. L’Université de Liège n’a introduit un cours de “web journalisme” que l’année dernière, alors qu’aux États-Unis, ce genre de cursus a été introduit dans les universités à partir de 1994. Plus près de nous, en France, il existe des programmes post-universitaires destinés en grande partie aux journalistes “traditionnels” qui désirent se spécialiser pour le travail “en ligne”. Le “Centre de formation et de perfectionnement des journalistes”, un institut très reconnu, offre des cours généraux ou spécialisés. Entre la question de la non-reconnaissance de la profession de web journaliste et le manque de formation en la matière, le cercle demeure vicieux. Qui joue le rôle de la poule, qui de l’oeuf?
Il n’en va, somme toute, pas très différemment des webradios que des autres médias en Communauté française de Belgique. Le problème pourrait juste sembler plus aigu et apparaître comme une sorte de cas critique. En radio comme ailleurs, il importe aujourd’hui de comprendre ce qui peut se créer et ce qui fonctionne sur le Web, de développer des compétences, d’imaginer des expériences. Se limiter à copier une info “traditionnelle” pour la coller sur le web ne marchera pas. On le sait déjà, mais il ne semble pas inutile de le répéter. Quand on entend ce qu’on entend (ou l’inverse).
Iuliana Volosciuc