Un Lays paprika -Soliloque noyé-

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« Faut faire du sport, c’est bon pour toi » qu’on m’avait dit. Alors, bon d’abord, je savais pas trop quoi faire, hein, parce que le foot, c’est aussi emballant qu’une couille sur un toit pointu, le basket, ben le basket, qu’est-ce qu’on avait déjà pu m’emmerder avec ça ! Mettre la balle dans le panier, oui, mais pas sur un terrain plein d’aspérités avec des parents investis sur le côté qui gueulent à qui veut le savoir que leur rejeton est sans doute le meilleur tireur depuis longtemps. Non, le basket, j’avais décidément déjà donné ! Et quitte à donner encore, je préférais un bon lit bien battu avec plein de boules vanille en perspective. Alors ? Alors y avait bien le squash mais paraît que c’est le seul sport qui est pas bon pour les cardiaques. Même que j’ai vu une émission où tu vois un sachet de frites avec une sphère de mayonnaise brillante et des cristaux de sel collés comme des paillettes sur la gueule d’un marathonien en transpiration ; on te montre aussi une bonne bière moussue qui dégouline sur les bords, enfin plein de trucs qui te foutent en l’air sans rien faire et puis le choc : le squash ! Le squash, c’est comme une grosse bière : tu crois que c’est bon, ben non, c’est pas bon. Ah bon ! Après ça, je me suis dit que j’allais juste faire du badminton en attendant que le BBC de mon jardin soit prêt. Hein, tu vois, ça c’est aérien, c’est doux, on bouge, on rit et puis y a personne à dire que ça fait du tort. Mais y a personne à dire que ça fait du bien non plus. Du coup, on sait pas trop et quand on sait pas trop, on s’abstient ! Ca aussi, on me l’avait déjà dit ! Ce qui est bien la preuve qu’on peut dire des choses qui vont pas ensemble : faut s’abstenir ou faut faire du sport, pour finir ?! Les gens disent tellement n’importe quoi tout le temps. Si tu mets tout cela bout à bout, parfois tu te demandes s’ils se foutent pas de ta gueule. En tout cas, tu peux toujours devenir schizo en un rien de temps avec toutes ces salades si tu les prends premier degré. J’avais pensé à l’escalade aussi parce que ça peut toujours servir en temps de guerre. Si on t’attaque quelque part, tu grimpes au mur, comme un chat, et tu te barres sous les rafales de mitraillette impuissantes. J’aimais bien ça comme idée. Mais suffit d’enfiler une fois tes varappes pour comprendre que ce sport, y te servira jamais à rien. Tu peux toujours aller boire des bières en varappe au cas où, tout ce qui t’arrivera, c’est d’avoir l’air con. C’est dommage parce que j’avais des potes qui en faisaient, alors j’aurais rejoint le groupe. C’est plus facile de faire un sport à plusieurs. Y a beaucoup de choses qui se font mieux à plusieurs. Ben, dedans, y a le sport. Quoique t’as des sports d’isolés, hein. Y en a même que tu connais pas les noms. Parce que tu penses facilement tennis, boxe, hockey, javelot et tout ce que tu vois à la télé. Mais si je te dis uni-hoc ou kin-ball tu la ramènes déjà moins avec tes connaissances de pro dans tous les secteurs parce que toi aussi t’as fait plein de sport et que t’as une bonne expérience dans le domaine et que tu rates pas une occasion de la partager pour bien montrer que t’es au fait. Alors, tu peux me dire ce que c’est ça de l’uni-hoc, du speedminton, du kin-ball ou du bonker-ball ? Kin et Bonker, on dirait deux frères qui sont nés dans une famille difficile. Tu vois, le genre je-cherche-un-nom-qu’a-pas-encore-été-pris : Kin et Bonker ! J’ose pas imaginer les tronches des gars qui s’appellent ainsi. « Dis, chérie, y a Kin et Bonker qui viennent manger ce soir, n’oublie pas ! ». Ouais, ben, c’est justement là que j’ai envie de faire du sport. Au moins, tu t’oublies quand tu fais du sport. De la gym, par exemple. C’est bien, la gym. Ca développe tous les muscles, HARMONIEUSEMENT. Ca équilibre la psyché. T’es bien dans ton corps et dans ton esprit avec un truc pareil. Tu coures en trottinant, tu t’arrêtes, tu reprends, tu lances un serpentin en l’air en donnant un coup de pied arrière, tu retombes sur tes pattes puis tu recommences jusqu’à ce que le
prof soit content ! Ah voilà, le problème : jusqu’à ce que le prof soit content. Et le prof de gym, il a comme une propension à l’être fort difficilement, content. Fait tout le temps la tête, y s’exprime tellement haut dans le volume que t’entends juste les larsens, y te montre comment faut faire mais c’est pas ça qui va changer tes capacités à le faire si tu vois ce que je veux dire. Alors tout le monde rentre pas content après le cours. Tu râles toute la soirée, t’as juste envie de le tuer ou de lui éclater le guidon au prof de gym, tu dors mal et tu finis par déprimer. Donc, ça a l’air de rien la gym mais c’est p’têtre pas un si bon plan que ça. Faut y réfléchir. Alors, oui, j’ai aussi envisagé un sport de réflexion : les échecs. Là, tu vois, tu bouges les pièces, pas trop lourdes pour le bras, tu déplaces des symboles et surtout tu penses beaucoup. Paraît que c’est bon aussi de réfléchir. Alors, pourquoi pas ? Ben, j’ai essayé. J’me suis inscrit et tout, même qu’on m’avait dit que j’avais des dispositions. Mais alors, fais pas ça en pleine puberté, hein. Parce que rapport à la meuf, c’est pas top. Un : y en a pas une qui joue et quand c’est le cas tu préfères l’oublier rapidement. Deux : y en a aucune qu’aime regarder ça. Faut dire, vu de l’extérieur, c’est vrai que ça a un côté chiant. Kasparov, il a dû bouffer de la sueur de barbe avant de se faire pomper comme Nicolas II. Et sur le coup, je voyais plus que cette longue route de barbe et de sueur, interminable, infinie, avec toujours des nouveaux tournants qui débouchent sur des nouveaux morceaux de route puant la sauce et la chaleur. Alors, j’ai arrêté aussi, tu comprends bien. Je pouvais pas continuer dans ces conditions. En même temps, fallait que je m’active. L’inaction, ça finit par mal tourner. Tu deviens gros, bouffi, acariâtre, laid et t’arrives même plus à respirer au bout du compte. Comme un poisson au bord de l’eau. Ben, voilà, justement, un sport d’eau que j’ai pensé. Ca, ce serait bon. Tu folâtres comme un koy, t’as bon la peau, tu t’sens bien, tu renais, tu revis et tu vois la vie en rose. D’abord, je dois te dire que dans l’émission, après les frites et avant le squash, y avait les crevettes, grises les crevettes. Ben, paraît que c’est pas bon non plus, les crevettes grises. Alors, te réjouis pas trop vite, hein. Le poisson, c’est pas toujours bon. Je m’dis, faut un truc avec de l’eau mais sans poisson. De la piscine, quoi. Voilà, DE LA PISCINE. J’vais faire de la piscine. Ca mange pas de pain et ça y en a pas un qui trouvera à y redire. Putain, même les maîtres nageurs, on les trouve sympas, en général. Alors, oui, à fond dans la piscine. Oui, sauf qu’le lays au paprika, après que t’as nagé comme une huître, c’est pas bon non plus.

 

Jean-Paul BONJEAN.

 

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