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Ben Merdre alors ! Qu’est-ce qui a bien pris à Belfond de nous faire lanterner jusqu’en Pédale 139 È.P. (mars 2012 vulg.) pour nous permettre de dévorer le troisième livre d’1Q84 d’Haruki MURAKAMI ? À ce qu’il semblerait, le brave Tengo devrait s’en sortir vivant et l’on imagine que l’automatique Heckler & Koch d’Aomamé s’est providentiellement enrayé au moment où elle voulut s’exploser la cervelle… En attendant, que ceux qui ne se sont pas encore farci les deux premiers passent à l’acte : c’est assez scotchant, même si l’histoire se déroule en prenant tout son temps (à la Japonaise). Mais ce best-seller mondial tant est un peu tout partout encensé que ça me permet de n’en point dire davantage, ceci parce que les merveilles se sont bousculées en nombre ces temps-ci ! Ainsi l’irremplaçable Yak RIVAIS a eu l’excellente idée de faire paraître, chez Sous la cape, un coffret de cinq volumes qui nous offre l’intégrale du Cycle Francoquin : les Cinq Frères Cyclopus ; Aventures de Francoquin (I. Au Pays des Frères Cyclopus ; II. Filasse) ; Francoquin décide ; Dans le Grand-Marécage. En 1967 vulg. , on avait pu lire une partie de ce chef-d’œuvre publiée dans la collection blanche de Gallimard, le manuscrit, déposé par Simone de Beauvoir, ayant été retenu et publié par Jacques Lemarchand et Raymond Queneau (qui ne cacha pas qu’il adorait littéralement ce bouquin). Mais une bonne partie du reste était demeuré inédit. Certes, aux aficionados n’avait pas échappé le Condottiere (Pierre Belfond, coll. “Humour Noir”, 1971 vulg.) mais le premier épisode de la saga (que pourtant Alain Bosquet et/ou Jean-Edern Hallier avaient eu l’intention de publier) ainsi que la pièce radiophonique commandée par France-Culture après la parution des Aventures, ça, c’est du Nanan jusqu’ici inconnu au bataillon. C’est foisonnant, picaresque, tonitruant, excessif, Énôrme, absurde, délirant, parfaitement inoubliable… et cette fois-ci, ce qui ajoute grandement à notre plaisir, tout est illustré par les somptueux dessins de l’auteur. Bref, on secoue son libraire préféré pour qu’il vous fournisse cet Exceptionnel ovni toutes affaires cessantes ! Autre saga à ne pas rater la Saga Maigros, d’Éric DEJAEGER (Cactus inébranlable éditions), un ignoble flic carolo, demeuré et alcoolo, que vous ne risquez guère d’oublier non plus. Tous les épisodes (100) ont pratiquement la même longueur car ils furent jadis – du moins pour la plupart – mis en ligne (sous forme de feuilleton sur le net) avec quelques contraintes (même formatage, même police de caractères, format A4 max pour la longueur). C’est effroyablement désopilant, pathétiquement vulgaire à souhait, crapuleusement grandiose, lamentablement sublimissime et l’on eût voulu que ça ne s’arrêtât jamais… On se rue sur Journée d’un opritchnik, de Vladimir SOROKINE (Points, n°2336), un écrivain moscovite du genre sulfureux. Il imagine qu’en Russie, en 2028 vulg., une oligarchie sanguinaire exerce un contrôle totalitaire absolu. Le pays est replongé dans un néo-féodalisme sanglantissime où la vie ne vaut rien si l’on ne la ferme pas. Cette Ubuesquerie monstrueuse se lit d’une traite et laisse des traces indélébiles dans notre inconscient (mais je suis sûr que ça ne va pas faire rire tout le monde). Pour en finir avec les romans, tapez-vous Op Oloop, de Juan FILLOY (une méthodique publication de Monsieur Toussaint Louverture). Lorsque ce livre fut publié en 1934 vulg., deux événements se produisirent : d’abord, il reçut les éloges de Sigmund Freud ; puis, il fut interdit par l’administration publique argentine pour pornographie et atteinte à la morale et aux bonnes mœurs. Ce bouquin retrace une journée de l’existence d’un statisticien finnois vivant à Buenos Aires dans les années 30, qui ordonne son univers – de son petit déjeuner à ses visites aux bordels – avec une rigueur “psychorigide”, minutieusement chronométrée. Vous
imaginez bien qu’un grain de sable va venir perturber cette parfaite organisation et que ce déraciné méthodique va donc choper un max… C’est absolument saisissant autant que passionnant : l’Absurdité souveraine.

Le 12 février 2012 vulg. (18 Gueules 139 È.P.), se terminera au Musée d’Art moderne de Strasbourg une exposition sensationnelle : l’Europe des esprits ou la Fascination de l’occulte, 1750-1950. Je ne pourrais trop vous conseiller d’aller voir tant de choses éberluantes en même temps. Non seulement tout ce qu’on peut bien aimer (et qu’on connaît déjà peu ou prou) mais encore un lot de choses hallucinantes dont on ignorait jusqu’à l’existence (dont les peintres et sculpteurs de l’Est profond) se trouve rassemblé pour notre bonheur Absolu. C’est bien simple : une seule visite ne suffit pas ; d’ailleurs, les organisateurs ont inventé un ticket à deux vitesses, l’une pour la découverte, l’autre pour une visite seconde, dont la gratuité est assurée. Les sédentaires se consoleront en commandant le catalogue, tout en sachant qu’ils n’éprouveront guère l’émotion qui les aurait saisis au contact des œuvres (sans parler de la somptueuse choucroute qu’ils auraient pu déguster le soir). À la librairie du Musée en question, j’ai découvert l’Anthologie de la Littérature occultiste, XIXème & XXème siècles français, d’Emmanuel DUFOUR-KOWALSKI (Éditions Delphica, l’Âge d’Homme), une somme extraordinaire que j’ai rangée, après lecture, aux côtés des Fous littéraires de Blavier. Dans les Visionnaires et Cabalistes, on retrouve Grasset d’Orcet, Verne, Leblanc, Leroux, Roussel ; aux Hydropathes & Poètes humoristes du Chat noir (Cros, Masson, Goudeau, Allais, Dubus) et aux Poètes Kabbalistes et Rose-Croix (Eliphas Lévi, Péladan, de Guaïta, Papus, Warrain), succèdent les Gnostiques symbolistes (dont Jules Bois) et les Spiritualistes, Sociologues et Théosophes (Flammarion, Denis, etc.) ; on n’en a pas fini car les Lucifériens et Alchimistes (Fulcanelli, Milosz, voire Breton, pour n’en citer que quelques-uns) sont bien présents, ainsi que les Historiens, Médiateurs et Traditionnalistes (Schuré, Michelet, Lebesgue, Abellio), quelques Néo-Symbolistes achevant le tour d’horizon. Je n’ai pu résister, au même endroit, à faire l’acquisition d’un ouvrage excitant : le Troisième Œil, la Photographie et l’occulte, un livre publié par Gallimard en 2004 vulg. et qui m’avait échappé. Photos des esprits, des fluides, des médiums, tout y est. C’est assez formidable, même si l’on sait pertinemment que les subtils trucages abondent. Au même endroit, j’ai découvert Images de la pensée, un ouvrage dû à Marie-Haude CARAËS & Nicole MARCHAND-ZANARTU, publié par la Réunion des Musées Nationaux (R.M.N.). Des pages de cahiers de brouillon, des marginalia épistolaires, des croquis sur une nappe, un lot d’esquisses, de schémas sommaires, de tracés aléatoires (sinon minutieux), nous assistons au fil des pages à des pensées en train de naître, à un solide paquet d’univers mentaux en gestation. On y trouve Descartes, Darwin, Mendeleïev, Freud, Goethe, Dreyfus, Klee, Nabokov, mais aussi Fritz Lang, Valéry, Jean-Christophe Averty, Queneau, Perec, sans parler de nombre de penseurs anonymes. C’est plus qu’intéressant. On n’en dira pas autant de l’expo Erre, Variations labyrinthiques, visible au Centre Pompidou de Metz. On s’y emmerde profondément, même si le thème avait l’air d’avoir tout pour séduire. Le catalogue est à l’avenant, foutoir massacré par des graphistes insanes, dont on ne fait l’acquisition qu’à regret, question d’y glaner quelque jour l’un ou l’autre renseignement (allons savoir ! ) Pour résumer : un quintuple bravo à Serge Fauchereau & Joëlle Pijaudier-Cabot (ainsi qu’aux commissaires associés) pour Strasbourg, et un double blâme à Hélène Guenin & Guillaume Désanges pour Metz. Attendez, j’vais pas m’priver : Merci à la librairie magnifique de Strasbourg et honte à celle
de Metz, où l’on ne propose que des étronneries à la mode (de quand ?) et autres zizi-gougous. Même la cafétéria y est abjectement exigüe.

Les Pathaphysiciens ont fêté dignement la parution de Jarry en Ymages (Gallimard, le Promeneur), ouvrage indispensable s’il en est, riche d’une iconographie éberluante et (pour une fois) totalement dénué d’erreurs (pour ça, nous pouvons faire absolue confiance à Thieri Foulc). Les meilleurs d’entre eux ont commandé dans le même temps, via Amazon par exemple, Alfred Jarry, a Pataphysical Life, du Régent Alastair BROTCHIE (Massachusets Institute of Technology), la langue de Shakespeare ne les ayant pas arrêtés car l’ouvrage regorge de documents rarissimes. Quant à la connaissance des Transcendants Satrapes, nous sommes semblablement servis ces temps-ci ! Au catalogue de l’expo Boris Vian à la Bibliothèque nationale (qui s’est terminée le 15 janvier vulg.) publié par Gallimard, on ajoutera Boris Vian, le Swing et le Verbe, de Nicole BERTOLT & François ROULMANN (Textuel) et Boris Vian Post-scriptum, dessins, manuscrits inédits rassemblés et agencés par la même Nicole BERTOLT (au Cherche Midi). Faut dire qu’après J’irai cracher sur vos tombes dans La Pléiade, on ne s’étonne plus de rien ! L’excellent François NAUDIN nous livre, pour sa part, les Terreurs de Queneau, Essai sur les 12 travaux d’Hercule (chez Calliopées). Ce brillantissime essai “tente de traquer les terreurs (depuis le frémissement d’inquiétude jusqu’à l’épouvante convulsive) qu’a souffertes l’homme et qui ont inspiré l’artiste” : mauvais sort, misère morale, deuil, maladie, craintes éprouvées par la gent féminine ou par la souffrance que l’homme inflige à l’homme, tout y est passé en revue “comme autant d’adversaires de l’écrivain, qu’il a terrassés sans trêve par son art, par son érudition et par son rire”. En tout point remarquable ! J’ai beaucoup apprécié aussi les Frontières du délire : écrivains et fous au temps des avant-gardes, d’Anouck CAPE (chez Honoré Champion). Dans la première moitié du XXème siècle, on peut voir, en effet, le fou devenir la figure privilégiée de l’artiste “moderne”. Le bouleversement des valeurs est manifeste et, entre la littérature et la pathologie, les barrières se déplacent et, de ce fait, les jugements se modifient. Dada, le surréalisme, les Feuilles libres, la Méthode Paranoïa critique de Dali, Ferdière face à Artaud, si ces sujets vous intéressent, ce livre est pour vous ; il n’a qu’un défaut : il est abominablement cher !

Courage ! Cinq bouquins encore dont je me dois impérieusement de dire un mot (pour les autres qui s’entassent tant pis, j’ai pas la place). 1. Palais idéal du Facteur Cheval, de Gérard DENIZEAU (nouvelles éditions Scala), parce que j’adore depuis toujours cette dinguerie architecturale, absolu chef-d’œuvre de l’Art brut, et que les photos en couleurs sont magnifiques. 2. les Fiancées du Diable, de Camille LAURENS, parce que cette Enquête sur les femmes terrifiantes est assez bouleversante : la femme ne serait-elle pas un monstre impossible à vaincre sans mourir soi-même ? La question est loin d’être résolue… 3. les Objets du désir au Japon, d’Agnès GIARD (Drugstore), parce que j’ai été “éberlué” au fil des pages par ce catalogue assez dépaysant. 4. Mon Dico illustré, du génial SINÉ (Hoëbeke). Ça fait du bien par où ça passe à quasi toutes les pages. 5. l’Empire de la Mort, Histoire culturelle des ossuaires et des charniers, de Paul KOUDOUNARIS (Éditions du Regard), parce que c’est bien la première fois qu’on peut appréhender (autant que situer) tous ces lieux en même temps. Fascinant ! Il n’y a pas d’autre mot.

M’attendraient deux chefs-d’œuvre, à ce que m’affirme mon vieux complice, qui me les fila obligeamment après les avoir fort appréciés : le Désert et sa semence, de l’Argentin Jorge Baron BIZA (chez Attila) et l’Homme-
Alphabet
, de l’Américain Richard GROSSMAN (le Cherche Midi, coll. Lot 49). Le code-barres du premier est du genre ébouriffant : Un livre aussi beau ne peut décemment coûter moins de 21 Euros. Ce que je m’apprête à lire : “Jorge Baron Biza est le fils de Rosa Clotilde Sabattini et de Raul Biza : lui, figure paradoxale de la politique argentine et auteur de romans sulfureux inspirés du Marquis de Sade ; elle, femme engagée et pédagogue influente, rivale d’Eva Peron. Un couple romantique et passionnel, qui a passé la moitié de sa vie en exil, alternant ruptures et réconciliations. Un jour, le père vitriole sa femme sous les yeux de leur fils. Jorge a 20 ans. Commence pour lui un voyage à travers les meilleures cliniques de la planète, pour tenter d’aider à la reconstruction du visage maternel. De Buenos Aires à Milan, il oscille entre quête de la mère, mémoire du père et perdition dans les bas-fonds délétères des grandes villes.” Quant au second, c’est un polar qui m’a l’air 100% jeté, au vu de la typographie de certaines pages : “Clyde Wayne Franklin a passé vingt ans derrière les barreaux pour le meurtre de ses parents. Surnommé l’Homme-Alphabet – son corps est entièrement tatoué de lettres -, il est le poète le plus controversé des États-Unis. Lorsque sa fiancée Barbie, une ex-prostituée qui a voulu faire chanter un sénateur aux ambitions présidentielles, se retrouve en danger de mort, Clyde décide de prendre les choses en main… “ L’un et l’autre ont l’air prometteurs… Sans la consolation de la lecture, nous mourrions d’ennui présentement, écrivait la Marquise de Sévigné, en 1661 vulg. déjà ; cette brave Marie de Rabutin-Chantal aurait pu aussi aller aux truffes, elle demeurait juste là où il fallait.

 

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