Quel bistrot n’a pas aujourd’hui son écran plasma ? On y regarde le sport, le football de préférence, bovinement. Autrefois, et parfois encore aujourd’hui, les habitués n’étaient pas si passifs. Les sports et les jeux, on les pratiquait. Au café.
« Au Bienvenu », « Au Bon Coin », « Café des Sports», « Café de la Gare »…, autant d’enseignes qui ont traversé le temps. Café de sportifs aussi. Les cafés ont servi à tout, aussi de lieux de rendez-vous et de réunion aux associations de sportifs amateurs, aux cyclo-clubs notamment. De relais pour les randonneurs aussi. En Flandre, il existe tout un réseau de cafés « fietsvriendelijk » (« amis des vélos ») lié au réseau cycliste balisé. Une brochure répertoire précise les cafés où vous trouverez un parking adapté, où l’on peut amener son casse-croûte ou même sécher ses vêtements. Les cafés sont de précieux alliés pour le sportif, ce sont aussi d’extraordinaires conservatoires des sports et jeux.
Auberge du Lièvre
Le Payottenland, la campagne à l’ouest de Bruxelles, est connu pour avoir su préserver ses paysages ruraux, un peu plus qu’ailleurs du moins. Ses fermes rustiques ne sont pas toutes encore squattées par des nouveaux riches. Plus étranges encore, ses cafés de village n’ont pas tous disparu, ou été remplacé par un resto loundge dernier cri. A Gooik, « Den Haas » est un des plus anciens de la région. Il est situé très à l’écart du village, au lieu-dit Woestyne, près du bois de Neighem. Les dimanches de beaux jours, il est pris d’assaut par les excursionnistes du coin, idéalement situé entre les réserves naturelles forestières et le « moulin tragique » de Lombeek, buts de promenades fort prisés. A l’intérieur, des livres du cercle d’histoire locale de Gooik livrent quelques fragments de la vie d’autrefois dans la région. Il existe depuis près de 150 ans.
Le dimanche matin, les « Hazebolders » y jouent aux boules dans cette variante régionale de la pétanque française, proche de la bourle (ou boules flamandes) pratiquée dans le Nord de la France, en Flandres et dans une partie du Hainaut. Un manuscrit du XIVe siècle atteste déjà de la présence des jeux de boules dans nos régions, qui, comme ailleurs, y sont pratiqués depuis plus longtemps encore. Le jeu de boule plate reste populaire dans le Payottenland. Pratiqué à couvert ou en plein air, il requiert une piste (« bouloir ») de 12 à 20 mètres (pour 2 à 3 de large), recouverte de terre battue, mêlée de farine de seigle et de sang de bœuf… La boule plate se joue avec une sphère (disques) aplatie en bois dur (aujourd’hui, dans des matières plastiques), d’environ un kilo, lancée en roulant pour arriver, idéalement, le plus près possible d’un plumet vertical. La difficulté vient du fait que la piste est légèrement déclive en son milieu et qu’une face du palet est plus arrondie que l’autre. Ce palet asphérique » doit alors suivre une trajectoire en spirale pour atteindre son but, qui pouvait jadis être un trou, un bâtonnet, une petite boule, un plumet, ou encore un anneau. Le choix des terrains et la qualité des boules influencent directement le niveau du jeu.
Les jeux de boules antiques sont les ancêtres directs de jeux ou de sports pratiqués de nos jours, les jeux de quilles et le bowling, bien sûr, mais aussi le curling. Notez que ce dernier était déjà connu au XVIe siècle. Le célèbre tableau de Breughel « Paysage d’hiver avec patineurs et trappe aux oiseaux » (1565) le représente dans un coin. Comme les autres jeux de boules, les jeux de quilles n’étaient pas snobés par les notables, bien au contraire. Dans un panorama de Bruxelles datant du XVIIIe siècle, on peut voir des bourgeois de Bruxelles s’adonner à ce jeu depuis les hauteurs de Laeken, alors hors-les-murs – la bière était moins chère dans les faubourgs qu’en ville. Plus populaire, le jeu de bouchon est une variante du jeu de boule d’où la notion de force a totalement disparu – c’est un jeu d’adresse pure, qui se joue à même la rue, s’improvise sans terrain ni
matériel, un peu comme les jeu de billes des cours de récré de notre enfance.
Tournée d’adieu
Le bouloir de l’« auberge du lièvre » est dans une annexe perpendiculaire au bâtiment principal, qui sépare la terrasse aujourd’hui déserte, de la route. Alors que le café a été récemment remis à neuf – on en regrette presque le papier peint à fleur qu’on voit dans les livres du présentoir, près du bar, où figurent quelques archives de « Den Haas » – cette cahute d’une vingtaine de mètre ressemble aux cabanes de chasseurs dans les forêts d’Ardennes, avec son toit de tôle ondulée et ses parois de cartons contrecollés. Les équipes et leurs supporteurs prennent place sur les chaises décaties qui s’alignent asymétriquement le long des deux longues parois intérieures. Contrairement à l’évolution de bien d’autres jeux, les boules sont restées un délassement, le seul prix à payer étant celui de la tournée offerte par le perdant. Cette ambiance rustique devenue rare n’est malheureusement plus portée que par quelques vieux habitués du coin, dopés au lambic.
Vinz