Nucléaire : en sortir… ou pas? Ou comment choisir sous influence

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Le 26 avril 1986, le réacteur numéro quatre de la centrale nucléaire de Tchernobyl explosait en raison de dysfonctionnements nombreux et importants. Vingt-cinq ans plus tard, le 11 mars 2011, à la suite d’un séisme survenu le long de la côte Pacifique de Tohoku, les cœurs de trois réacteurs présents sur le site de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi fondent. Ces deux événements ont été classés au niveau sept de l’échelle internationale des accidents nucléaires. À côté de cela, régulièrement, des incidents « mineurs » ont lieu. Et pendant que le césium 137, accompagné d’une ribambelle de particules radioactives, planent au-dessus de nos têtes, les « nucléocrates » s’obstinent à réagir en adoptant des stratégies de communication tour à tour ouvertement mensongères, soi-disant transparentes, voire parfois même banalisantes. Tous cela sans compter le fatras publicitaire qu’on nous assène régulièrement à grands coups de campagnes nationales, entre deux incidents nucléaires « peu importants », en argumentant bien souvent que la radiophobie est irrationnelle et qu’elle n’a pas lieu d’être.

La politique de « transparence » relative

Les incidents nucléaires à répétition font, depuis un certain temps, la une des médias, et ça ne date pas d’hier. Dès sa première apparition publique, le 6 août 1945, l’énergie atomique a été présentée et perçue comme « Une Révolution scientifique ». Titre choisi par le journal « Le Monde » de l’époque pour aviser le public du bombardement et de l’anéantissement quasi-total d’Hiroshima.

Cependant, depuis Tchernobyl, la question concernant la stratégie médiatique adoptée par l’industrie du nucléaire se pose, car elle a évolué et a été profondément modifiée. L’ère de la politique de la « transparence » a succédé au règne de la stratégie ouvertement mensongère. Au silence, s’est subrogé le bruit. C’est ce que confirment les propos de Fabian Duquesne, un représentant du collectif anti-nucléaire « Wake-up » : « Le nucléaire, de par son origine militaire, a toujours fait l’objet de censure et de mensonges. Lors du bombardement d’Hiroshima, et face à l’ampleur de la destruction, les responsables ont dû s’exprimer, mais là encore, seules quelques parcelles d’information ont été divulguées et certainement pas les plus pertinentes. Aujourd’hui, on doit faire face à un flot de désinformation. »

Les citoyens sont donc continuellement abreuvés d’un courant quasi ininterrompu d’informations diverses concernant le nucléaire. Une nouvelle en balaie une autre sans que les individus aient réellement le temps d’analyser les propos qui lui passent sous le nez. Cette prétendue « transparence » finit par banaliser le propos et les risques encourus. On peut supposer que cette stratégie vise plusieurs objectifs. D’abord regagner la confiance de l’opinion publique et se positionner comme un interlocuteur responsable. Mais elle peut éventuellement, aussi, servir à détourner l’attention des personnes concernant les réels problèmes liés à l’activité nucléaire. Et peut-être également préparer les mentalités à la prolongation des parcs vieillissants, ou encore tenter de définir les limites d’exaspération de la population. Fabian Duquesne reprend : « La communication concernant le nucléaire est opaque, on minimise les accidents, on les classe en-dessous de leur réel niveau de dangerosité, les populations sont prévenues trop tard lors d’accidents majeurs… En gros, tout tourne autour du mensonge, du déni et de l’omission ».

Réaction versus étonnement

Mais quand la population finit par s’exprimer concernant ses appréhensions, la réaction des « nucléocrates » ne se fait pas attendre et, bien souvent, revêt les signes de l’étonnement. Ils en viennent ainsi parfois à qualifier de psychose les craintes et les inquiétudes des citoyens. Ainsi, Anne Lauvergnon, dirigeante d’entreprises françaises notamment présente à la tête de Areva 1 jusqu’en 2011, déclarait dans les lignes de Libération en 2008 : « Si à chaque fois que nous sommes transparents, nous provoquons des craintes, il y a un problème ». Et Jean-Pierre Lambertin, maire d’une des communes françaises qui abrite le site nucléaire de Tricastin, de reprendre à la même époque dans un quotidien régional : « Le revers de la transparence, c’est le risque de psychose ».

Le principe de culpabilité

Rien d’étonnant donc à ce que les « nucléocrates » tentent de vaincre la méfiance de la population via d’énormes moyens de communication, en travaillant entre autres sur la culpabilité. C’est ce qu’a fait le Forum Nucléaire lors de sa campagne publicitaire en 2009. Souvenez-vous, en moins de temps qu’il n’en fallait pour les lire, les slogans de ce géant du lobby de l’énergie fossile qui se compose entre autre d’Areva et d’Electrabel tapissait les abribus, les journaux, les panneaux publicitaires des autoroutes… Toujours présenté comme un argumentaire pour et contre le nucléaire, le spot télévisé se concluait sur cette question : « Et vous, l’énergie nucléaire, vous êtes pour ou contre ? Ou vous n’utilisez pas d’électricité ? »

Le Forum Nucléaire a très vite dû faire face à trois plaintes déposées notamment auprès du Jury d’Éthique Publicitaire à propos de la diffusion d’informations mensongères et de la dissimulation des objectifs réels. D’après Fabian Duquesne : « Ça relève de la propagande de désinformation, on tente de conditionner la population en rapportant de faux arguments ».

En matière de communication, il est donc toujours intéressant de savoir qui diffuse le message et donc, dans ce cas-ci, de comprendre qui se cache derrière. Le Forum Nucléaire est une association sans but lucratif qui existe depuis une quarantaine d’années et qui a été conçue comme une organisation professionnelle ayant comme visée de créer un réseau de contacts entre ingénieurs, exploitants, fournisseurs, scientifiques et autorités fédérales. Ce regroupement englobe dix membres de l’industrie nucléaire dont certains sont des associations d’entreprises. Les Membres du Forum paient une cotisation qui sert entre autres à financer les différentes missions d’information comme la campagne de 2009 qui a coûté deux millions d’euros. Un financement à déplorer car certaines de ces sociétés bénéficient de subsides publics qui sont directement réinjectés dans des campagnes publicitaires au bénéfice des sociétés privées.

Dès lors, on comprend aisément que l’industrie du nucléaire est intimement liée à la société dans laquelle nous vivons, ainsi qu’au système économique qui l’accompagne, d’où l’intérêt des pro-nucléaires à faire gober la pilule au peuple ― et pas uniquement celle d’iode ― grâce notamment aux campagnes de publicité. Selon Fabian Duquesne, « Le problème est mondial, la radioactivité n’a pas de frontière et les liens entre le nucléaire, l’économie et la politique sont trop importants. L’intérêt des industriels prime sur les risques encourus par les populations et l’environnement. D’où la nécessité de se mettre l’opinion publique en poche en lui cachant la vérité ».

 

Laïla Hadi

 

Notes:

  1. Ce groupe industriel français est spécialisé dans l’énergie
    électrique d’origine nucléaire. C’est l’un des leader mondial du secteur.
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