L’art c’est l’or

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Alors qu’ArcelorMittal s’apprête à fermer le dernier haut-fourneau de Seraing, c’est toute une région qui s’émeut du sort des dix mille familles qui risquent gros dans cette histoire. Mais au-delà de ce « bain de sang social », c’est une tradition millénaire qui pourrait s’arrêter très prochainement.

Il semblerait que nos métallos furent les premiers ferrailleurs de la préhistoire en sillonnant la région et en installant leur bas-fourneau là où ils trouvaient du minerais et du bois. Il s’agissait d’un simple trou creusé dans le sol où étaient jetés combustible, minerais et fondant.

Vers l’an 1000, les bas-fourneaux furent construits en brique et terre cuite et ne dépassaient guère un ou deux mètres. On flanquait à leur base un soufflet pour amener l’air. Leur rendement était meilleur mais le principe restait le même : les fondeurs obtenaient une masse pâteuse qu’il martelaient pour éliminer les scories et souder les molécules de fer entre elles. 1

C’est au IXe siècle que les fondeurs s’installent le long des cours d’eau, sur le sillon Sambre et Meuse, pour utiliser la force motrice de l’eau. Les moulins initiaux actionnaient des masses (makas, en liégeois) capables de marteler des loupes de fer de plusieurs centaines de kilos. « On pourra désormais quasiment superposer la carte du développement industriel et celle du réseau hydrologique. » 2

La méthode wallonne et les boulets de canon

L’histoire de la métallurgie mosane et liégeoise en l’occurrence fait un bond technologique vers la fin du XIVe siècle. Les premiers haut-fourneaux seront d’ailleurs construits au pays de Liège 3. De plus, la région regorge de matière première (houille et minerai). « Par sa coulabilité, la fonte se prête à être moulée en ustensiles de cuisine, taques de foyer, canons, boulets, tuyauteries et œuvres d’art. C’est le bronze du pauvre. » 4

Jusqu’au XVIeme siècle, tout le bassin mosan et ses confluents (Ourthe, Vesdre) se développent et on exporte à gogo vers les Pays-Bas… jusqu’à la crise de 1566 5. La région rebondit cependant grâce à de nouvelles inventions technologiques. « L’ingéniosité liégeoise se révélera dans la construction de machines permettant l’évacuation de l’eau submergeant les mines (« Édit de conquête » 6, 1581-1582 ) » Par ailleurs, l’ambiance « guerre civile » inter-religieuse a dû donner des idées à certains puisque se développe fortement au début du XVIIe siècle l’industrie de l’armement et du clou 7. C’est le développement du capitalisme, sous la houlette d’Ernest de Bavière. C’est également l’époque où le savoir-faire liégeois s’exporte, avec les techniciens eux-mêmes. Un des exemples notoires est Louis de Geer, marchand de fer
notable expatrié à Amsterdam qui s’en va développer la sidérurgie en Suède. S’ensuit une immigration de 5 à 10.000 ouvriers et techniciens wallons, dont il subsiste encore actuellement des patronymes suédois « bien de chez nous ». 8

De la coke à Cockerill…

Au XVIIIe, c’est la déforestation assurée partout où il y a un haut-fourneau, « l’ogre » engloutissant une quantité faramineuse de combustible pour produire la fonte, combustible qui devient de plus en plus cher. L’Ardenne (bien moins fournie que maintenant) ressemble à un terrain de foot…

En 1799 a lieu la première révolution industrielle. A Liège, on trouve des entreprises familiales fondées par des Orban (Grivegnée), des Lamarche (à Ougrée-Marihaye), des Behr et Dotées (Espérance-Longdoz)… 9 qui prospèrent dans le secteur. C’est le capitalisme de l’arrière-arrière grand-papa… jusqu’à l’apparition de John Cockerill qui va dépoussiérer tout ça…

Fils d’ouvrier mécanique originaire d’Angleterre, il est embarqué par son père qui débarque alors dans la région liégeoise, avec un nouveau procédé mécanique pour filer la laine. Il s’installe avec sa famille au pied du Pont des Arches où il démarre un atelier de construction des machines. Nous sommes en 1807. La principauté de Liège est annexée à la France. Quelques années plus tard, Napoléon est dégagé par Guillaume 1er des Pays-bas qui offre pour une bouchée de pain l’ancienne villa d’été du Prince-Evêque à Seraing où il fait construire une usine métallurgique.

En 1821, John Cockerill construit le premier haut-fourneau à coke à Seraing et la région liégeoise s’affranchit technologiquement de l’Angleterre en construisant des machines à vapeur pour le continent, jusqu’à devenir la deuxième puissance industrielle mondiale. John Cockerill meurt en 1839 et la société anonyme du même nom est créée quelques années plus tard.

En 1850, le complexe de Seraing/Liège est le plus grand pôle sidérurgique du monde avec 46.000 mètres carrés de zone d’exploitation. On y construit différentes locomotives, chaudières, machines à tisser, ponts de bateau… 4200 ouvriers y sont employés.

Grandeur et décadence

La fin du XIXe siècle voit naître l’apparition des moteurs au gaz de pétrole, puis électriques, détrônant les machines à vapeur. La SA John Cockerill se lance dans la construction de chaudières et de centrales électriques produites par des groupes électrogènes au gaz. Avant le démantèlement par les Allemands lors de la Première guerre mondiale, l’usine compte 10.600 ouvriers. 10

Alors que la sidérurgie liégeoise innove et rebondit, crise après crise et ce depuis le Xe siècle, elle loupe pour ainsi dire la troisième révolution industrielle. « Un nouveau système technique se met en place avec le nucléaire, l’informatique, les plastiques et les nouveaux matériaux. Il n’y a plus d’avancée technologique majeure sans recherche scientifique. (…) Les sidérurgistes wallons ont méconnu l’ampleur de la mutation, à la différence des périodes précédentes. Ils se sont modernisés un peu au hasard, dans une concurrence fratricide. » 11

Durant les années 50, 60 et 70, histoire de rester concurrentiels sur le marché mondial, c’est le slogan « Grandir ou mourir » qui prévaut. Les différents groupes de la cité fusionnent pour former la société Cockerill. Dans les années 80, Albert Frère fusionne le groupe avec les sociétés du sillon Sambre et Meuse pour créer Cockerill-Sambre. Le groupe est nationalisé et passe à la Région Wallonne en 1981. Il regroupe plus ou moins 200 sociétés et couvre ainsi une gamme étendue d’activités et de produits. Aux 34.000 travailleurs du groupe s’ajoutent 41.000 emplois indirects.

nLe Français Jean Gantois dirige le groupe dans les années 90. Il restructure, achète par ci par là des usines de par le monde et dégraisse en région liégeoise. Cockerill-Sambre reste tout de même la troisième entreprise du pays avec 25.000 travailleurs. Il recherche des « alliances stratégiques » (sic) en Europe et ouvre le capital du groupe, alors détenu quasi exclusivement par la Région Wallonne.

Le 9 février 1999, Usinor offre de racheter les parts du gouvernement wallon, à savoir 53,77%, pour 26 milliards de francs belges. Usinor possède alors 78,8% des parts et la Région Wallonne garde une minorité de blocage. 12

Puis, c’est l’accélération des fusions/acquisitions. Usinor est à son tour racheté par le nouveau groupe européen Arcelor. L’agglomérat devient le premier producteur mondial d’acier. En 2003, il est question de fermer les deux derniers haut-fourneaux de Seraing. Cela fait un bail que les « analystes » prédisent la mort des haut-fourneaux qui ne sont pas installés près des ports maritimes. Tuer le chaud en privilégiant le froid, serait-ce à terme la mort de l’industrie du métal à Liège ? Et comme le ridicule ne tue pas, Arcelor est à son tour englobé en 2006 par le géant indien Mittal steel, qui devient à son tour premier producteur mondial d’acier avec Arcelor-Mittal. Aujourd’hui, il reste un haut-fourneau menacé de fermeture dans les prochains mois et quelques 3000 travailleurs autour, ce qui mettra un terme à six siècles de coulées continues dans la région liégeoise.

 

Joël Napolillo

 

Notes:

  1.  Houbrechts G., Petit F., 2004. Evolution des techniques sidérurgiques pré-industrielles et aperçu des critères de localisation de la métallurgie en « Terre de Durbuy », Terre de Durbuy, 89, pp. 3-29.
  2.  Robert Halleux, Anne-Catherine Bernès, Luc Étienne, 1995 « L’évolution des sciences et des techniques en Wallonie »
  3. Plusieurs théories s’affrontent tout de même, relatant l’invention à la même époque en Chine, ou en Europe du nord en Westphalie, un peu plus tard [wikipedia].
  4.  Robert Halleux, Anne-Catherine Bernès, Luc Étienne, 1995 « L’évolution des sciences et des techniques en Wallonie »
  5. Bruno Demoulin, « La Principauté de Liège de sa Renaissance à la Révolution » http://www.gedhs.ulg.ac.be/ebibliotheque/historique/demoulin.html
  6. Edit de la conquête : Embroglio juridique lié au brevet d’une machine permettant de pomper l’eau des mines. En gros les inventeurs et propriétaires de ces machines raflaient les mines inondées que les anciens propriétaires n’arrivaient plus à exploiter [wikipedia : http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89dit_de_Conqu%C3%AAte].
  7. Bruno Demoulin, « La Principauté de Liège de sa Renaissance à la Révolution » http://www.gedhs.ulg.ac.be/ebibliotheque/historique/demoulin.html
  8.  Les Wallons de Suède (en bref) in La Revue Toudi : http://www.larevuetoudi.org/fr/story/les-wallons-de-su%C3%A8de-en-bref
  9. Cockerill-Sambre sur Wikipedia
  10.  Cockerill-Sambre sur Wikipedia
  11.  Carrozzo Serge, Le Soir : Histoire Cockerill, deux siècles d’existence d’une entreprise qui s’est coulée dans le bassin liégeois. Une histoire trempée dans l’acier (13 nov 2002).
  12.  Informations sociales Cockerill-Sambre : http://www.sodia.org/vf/arcelor/belgique/socbel.htm
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