Peu de sujets de société, et encore moins de textes de lois précis, font l’objet d’autant de débats passionnés dans l’opinion publique et le monde politique que celui concernant l’application des mesures de libération conditionnelle. A chaque cas de figure extrême et extrêmement médiatisé, lorsque des Dutroux-Martin, un Fourniret, ou un Amrani débarquent dans nos vies et bouleversent notre rapport au monde, la politique de libération conditionnelle se retrouve sur la sellette, remise en cause à la une de tous nos médias et de toutes nos conversations. Alors, le monde politique réagit par des réformes, pour le meilleur ou le pire.
On essaye d’objectiver au maximum le cadre dans lequel se prennent les décisions relatives aux libérations conditionnelles, on multiplie les conditions nécessaires à l’octroi d’une éventuelle libération anticipée… Mais rien n’y fait, les décisions de justice restent l’objet privilégié de critiques acérées de la part de la vox populi.
Pourtant, peu nombreux sont finalement les politiques qui cèdent aux sirènes populistes et remettent radicalement en cause les logiques de remises de peine. Pourtant, les personnes autorisées et autres experts, criminologues, psychiatres et autres directeurs de prisons, continuent, par delà les quelques dysfonctionnements sensationnels, à juger globalement positifs les dispositifs autorisant et organisant les libérations conditionnelles.
Alors, la conditionnelle? Une pratique toxique et aventureuse? Un dispositif vital pour l’équilibre de notre système carcéral et pour la paix sociale? Ou un simple mal nécessaire ?
Jugements de la rue versus réalités scientifique
Ces dernières semaines, dans les bus et les rues de Liège ou d’ailleurs, au fil de nos pérégrinations dans la blogosphère, ou sur les forums des sites des médias mainstream revenait sans cesse, repris en chœur, le même refrain. « Mais comment a-t-on pu laisser sortir de prison un type comme Amrani ? »
Ou encore… « Il est grand temps de demander la restauration pour tout crime et délit des peines incompressibles. Le drame de ce 13 décembre prouve encore le risque des libertés conditionnelles. Il faut que les criminels sachent ce qu’ils risquent en enfreignant la loi en Belgique. Tant pis pour leur réinsertion, ils n’avaient pas besoin de commettre un crime ou délit. Il faut cette mesure pour que nos rues redeviennent sécurisées. Nos enfants ont le droit de vivre en sécurité… » (lapetition.be)
Témoignages
Les associations de détenus, ainsi que les intervenants sociaux en milieu carcéral, font actuellement le même type de constats. D’abord, depuis quelques années les libérations conditionnelles se font de plus en plus au compte-gouttes, ce qui a comme effet d’aggraver le problème de la surpopulation en prison et qui crée chez les détenus un climat malsain, très «no-future»…
Ces acteurs de terrain remarquent une tendance de plus en plus marquée chez les détenus à ne plus jouer le jeu des mécanismes de libération conditionnelle, Trop compliqués, trop aléatoires, trop contraignants… Etonnant, non?
Extraits d’un entretien à bâtons rompus avec Seb, 36 ans, petit délinquant multiforme, toxicomane. A fait plusieurs aller-retours en prison pour des séjours plus ou moins courts…
« Perso, je n’ai encore jamais demandé directement de libération conditionnelle, car je n’ai jamais été condamné à des peines de plus de trois ans. Mais j’ai suivi des co-détenus empêtrés dans ces démarches, pris entre des périodes d’espoir et de désespoir. Certains dans des démarches sincères, d’autres feignant seulement de jouer le jeu…
Mais si demain je devais (quand je devrais) retourner là-haut, avec les probations, les sursis qui tomberaient et tout ça, au tiers ou à la moitié de ma peine, je devrais me poser la question de mon éventuelle libération conditionnelle. Maintenant, c’est automatique, tu ne dois plus la demander directement, mais si tu veux avoir une chance,
il faut préparer un plan de reclassement en béton, et puis venir le défendre sérieusement devant le tribunal d’application. Si tu t’y présentes pas, t’as aucune chance. Et bien, franchement, j’y réfléchirais à deux fois! D’abord, en général, ta première et ta deuxième présentation est négative. Et puis, il faut prévoir d’avoir des revenus et/ou un boulot fixe, un domicile fixe aussi, s’engager parfois dans un plan de dédommagement des victimes, et puis il y a l’interdiction de voir certaines personnes, des anciens amis ou des potes que t’as rencontré en prison… Et après, ils vérifient tout ça régulièrement. Moi j’ai jamais vécu comme ça, un boulot et un domicile fixe, j’ai jamais eu, et franchement je sais pas si c’est comme ça que je veux vivre! Et beaucoup pensent comme ça en prison. »
Extraits d’un entretien donné en 2006 au «Soir» par Léopold Van Eesbroeck. Il est alors âgé de 56 ans et apparemment «rangé», il vient de publier deux livres sous le nom de «Popolino». Soupçonné un moment d’être l’un des tueurs du Brabant, il a en tout cas fait partie du grand banditisme. En 87, il a été condamné à 20 ans pour 7 braquages à main armée. Il a bénéficié d’une première libération conditionnelle après onze ans de détention…
« Ma première conditionnelle, c’était avant l’affaire Dutroux. Je devais disposer d’une source de revenus et d’un domicile fixe. Les contrôles étaient alors très cool. Je rencontrais mon agent de probation une fois par mois. Il suffisait de lui raconter ma petite histoire et j’étais tranquille…
Hélas, je retombe en 99 pour trafic de drogues, en Norvège ! J’y suis condamné à 5 ans et en fait 3. J’ai eu ainsi l’occasion de comparer un système carcéral scandinave beaucoup plus humain et performant, entièrement tourné vers la réinsertion… A mon retour en Belgique en 2003, je ne suis pas directement réincarcéré. J’attends un an avant d’être convoqué par la commission de libération conditionnelle qui révoque alors ma conditionnelle. J’aurais compris s’ils m’avaient réincarcéré dès mon retour de Norvège. Mais après un an… ! »
Neuf mois plus tard, il présente un nouveau plan de reclassement, et la commission lui accorde une nouvelle chance, lui imposant de ne plus fréquenter d’anciens détenus, d’éviter les endroits criminogènes (bars…), de se trouver un domicile fixe, d’avoir une source de revenus et de payer les parties civiles.
« Plus question donc de bosser dans l’horéca, mais je trouve alors un boulot intéressant et bien payé. Tout se passait bien jusqu’à ce que la secrétaire révèle mon passé à mon patron qui m’a licencié. J’ai dû me replier sur le CPAS dont je ne perçois que 600 euros/mois alors que mes frais de loyer et de gaz-électricité représentent 430 euros. La galère ! »
Libéré sous le régime de l’avant et de l’après-Dutroux, Léopold Van Esbroeck a vu se renforcer les mesures de contrôle. « On m’a menacé de révoquer ma libération parce qu’il m’arrivait de dormir chez mon amie plutôt qu’à mon domicile. Et les agents de probation sont informés de détails de ma vie, de mes déplacements, par le parquet. C’est dur! Il me reste 5 ans sous ce régime… Par contre, je salue l’instauration des tribunaux d’application des peines. Il y aura moins d’arbitraire, de décisions prises à la tête du client. Et puis des recours seront prévus. La présence des victimes sera aussi une bonne chose! Mais si je dois retourner un jour en prison, je ne demanderai plus de libération conditionnelle. Je préférerais aller à fond de peine pour éviter tous ces contrôles… » 1
Résolument contre l’inégalité, le business carcéral, la criminalisation de masse…
S’il y a une bonne résolution à prendre en matière de politique carcérale pour ces prochaines années, c’est au moins d’éviter qu’on en arrive à une justice d’application des peines à deux vitesses. Un système où seuls les éléments déjà intégrés au modèle social dominant pourraient bénéficier de mesures de
clémence et de suivi, tandis que les taulards les plus marginaux se verraient marginalisés encore plus parce qu’ontologiquement incapables de coller aux prédispositions requises pour envisager une libération conditionnelle.
Cette logique de quasi normalisation forcée et d’exclusions systématiques est d’autant plus perverse qu’elle s’inscrit dans un contexte de crise globale et permanente où les rapports sociaux se complexifient de plus en plus, parallèlement à un tissu social qui, lui, se désagrège toujours plus.
Mais plus grave encore qu’un simple constat d’inégalité des chances en matière de justice, existe le risque bien réel qu’on se résolve peu à peu à un modèle de société qui enfermerait et exclurait en masse de larges franges de sa population. On accepterait alors de tomber dans une véritable politique de criminalisation et d’isolement des éléments de la société les plus précarisés, pourtant tentés ou contraints à avoir des comportements plus ou moins border-line par simple volonté de survie…
Quelles que soient les politiques sociales, culturelles et économiques mises en œuvre en amont, quelles que soient les peines alternatives qu’on privilégie, il faut résolument lutter contre cette tendance à l’industrialisation du système carcéral et contre des politiques d’enfermement et d’exclusion de masse!
« Et si jamais c’était ton fils la victime », dit l’un! « Et si jamais c’était ton fils qui se retrouvait enfermé à vie », répondit l’autre…
Raf Pirlot
Notes:
- http://archives.lesoir.be/parcours-d-un-libere-conditionnel_t-20060928-006GZ0.html ↩