Dépasser la culpabilisation pour faire la révolution

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La question de la fin date de Mathusalem. Pourtant, elle continue à faire rage dans nos sociétés contemporaines. La fin du monde approche, selon le calendrier maya, et l’hystérie collective se rue dans les médias, les débats, les conversations… D’Une Certaine Gaieté rejoint la mode en organisant dans le cadre des Nuits du Paradoxe de décembre une table ronde sur la question de la fin, celle de notre système économique et social. Pensions, plein emploi, sécurité sociale, pétrole, ressources naturelles… Tout ça, c’est terminé! Les mutations économiques et leurs conséquences sociales surchauffent les esprits, mais font également ressortir les peurs, la culpabilité et les mots d’ordre de la pensée dominante. 

Animé par Patrick De Lamalle, journaliste RTBF, le débat (bien) lancé par le sociologue du travail Mateo Alaluf et le représentant de CADTM (Comité pour l’annulation de la dette du Tiers Monde) Eric De Ruest, a fait ressortir les nombreux questionnements qui se répandent dans notre société comme une traînée de poudre. Est-ce la fin des droits sociaux (chômage, pensions et autres) ? Est-ce la fin de notre manière de vivre où tout dépend du pétrole et des ressources limitées ? Est-ce la fin de la démocratie à l’heure des gouvernements technocrates ?

« La fin ne se produira pas »

La fin ne se produira pas, affirme Mateo Alaluf, « la seule chose qu’on sait est que les tendances ne se prolongeront pas comme elles le font parce que toute chose ne sera pas égale. Notre histoire témoigne de ça, c’est le cas du vieillissement de la population wallonne quelques années auparavant qui a été renversé, malgré les prédictions des géographes. Toutes les choses que nous entendons – fin des pensions, des contrats CDI… – ne se feront pas, à la fois parce que le seul instrument que l’on possède pour prédire est de projeter les tendances actuelles et d’autre part, parce que l’avenir que les discours dominants prédisent est celui que les puissants veulent voir se réaliser. Mais les gens ont des capacités de résistance à ces prédictions ».

Donc, on serait plutôt dans une transformation, on irait vers une nouvelle ère historique. Le capitalisme a eu deux grandes phases : la première va de la fin de la seconde guerre mondiale aux années 70 ; les idées socio-politiques en Occident s’attachaient à un type de capitalisme contrôlé par l’État, dont les réformes politiques visaient à en tempérer les violences. La deuxième, la nôtre, commence après les années 70 avec la crise qui va faire évoluer ce capitalisme contrôlé par l’État vers un « capitalisme à la place de l’État ». « Dans ce nouvel espace, on a un nouveau capitalisme tout à fait vorace, sans limite, qui a deux phobies : d’une part, l’état social doit disparaître, d’ailleurs ce capitalisme utilise la dette étatique afin de maîtriser l’état. La deuxième phobie est la résistance ouvrière et qu’on essaie de mettre un frein grâce à la compétitivité, mais ce ne marché pas car on voit bien que l’austérité ne donne pas des résultats » conclut Mateo Alaluf.

Cette nouvelle crise financière se présente donc comme l’opportunité de changements car « le système s’autodétruit », affirme Eric De Ruest. Cependant, quand on donne la parole aux publics, l’autocritique et la culpabilisation reviennent plus souvent que la critique du pouvoir dominant. Ils n’accusent pas les banques de mal placer leur argent, ni les agences de notation de jouer avec la note de nos états, ni l’état de n’être qu’une marionnette du marché… Ils critiquent leur façon de vivre, leur propre consommation, leur manque de liens sociaux, la montée de la droite ou du religieux. Il existe un décalage, le peuple a appris par cœur ces mots d’ordre avec lesquels on nous matraque quotidiennement : « il faut diminuer la consommation », « vous avez vécu au-dessus de vos possibilités » ou « il est temps de payer ce que vous devez ». Des récits qui culpabilisent le peuple pour les
erreurs d’autrui. «C’est un piège de nous demander si nos besoins sont légitimes, s’il faudrait réduire ceci ou cela, car on rentre ainsi dans un rapport très moralisateur… Comment pourrait-on sortir de ça ? » se demandait Thierry, un des participants au débat. « Il y a un problème, on est en train d’affronter la problématique de l’austérité et donc du démantèlement et de la fin de l’état social à travers la figure du consommateur. Or, il me semble que le problème ne réside pas dans une simple question de consommation et qu’il faudrait plutôt en faire un problème de production, bref d’organisation, et donc de politique » – ajoutait Greg. Il faudra sortir de la position où nous poussent parfois les narrations affirmant que « les ressources sont limitées » et que nous devons nécessairement « payer nos dettes en diminuant notre niveau de vie (en dégraissant le Welfare State au passage) » car il s’agit là d’un gros piège. La question fondamentale ne réside pas dans notre type de consommation ou dans l’ampleur de nos dettes… Elle est enracinée au capital, aux piliers du capitalisme.

No pasarán !

Ne pas tomber dans l’auto-flagellation comportementale et la pénitence individuelle pour nommer et affronter l’ennemi – qui n’est pas tant la consommation (qu’il faut réduire, d’accord) que le système dont elle est un rouage. Comme disait Mateo Alaluf, notre état social et nous-mêmes, les travailleurs, nous sommes les principales phobies de ce système qui nous craint comme un méchant virus. Et essaie de nous contrôler à travers des discours culpabilisateurs : la dette, la production, la compétitivité, les besoins, etc. Il faudrait s’évader de la prison que constituent ces mots d’ordre pour remettre en question les vrais problèmes, voracité du capitalisme en tête. Il faudrait arrêter de questionner la montée de la droite extrême ou du sentiment religieux qui surfent sur les peurs générées par les signes de fin de certains de nos droits sociaux. Halte aux solutions faciles : une Marine Le Pen n’a rien d’une sauveuse en temps de crise.

La tension monte d’un cran dans la débat. « Il faut se débarrasser du capital, il faut donner de nouvelles perspectives d’organisation sociale, mais personne n’en parle, on continue à nous faire croire et à croire que moyennant certains efforts, on pourrait transcender cette passe difficile. Autant on manifeste à Bruxelles, à Liège, partout, autant les socialistes qui suivent une ligne social-démocrate nous orientent vers cette culpabilisation et la perte d’acquis qui nous semblaient vraiment essentiels à notre survie. Ce n’est pas du luxe ! On nous prive de l’essentiel de plus en plus », affirme Jean-Paul. Et de poursuivre : « On doit vraiment, dans les semaines qui viennent, mettre à jour les étapes nécessaires pour faire comprendre à tout le monde qu’on ne peut plus travailler avec le capital. Malheureusement, beaucoup de gens ne pensent pas comme ça car ils se disent « j’ai quand même beaucoup à perdre, et il y a le tiers-monde qui pleure pour prendre mes acquis, je préfère ce que j’ai, même un peu moins ». Mais on ne va pas perdre un peu, nous risquons de tout perdre et il faut comprendre ceci pour choisir notre chemin. Il faut mettre les cartes sur la table et se demander comment on veut lutter contre le capitalisme financier qui nous étouffe ; deux choix : la lutte pacifique ou une phase révolutionnaire ».

Arrêtons de nous questionner sur l’avenir proche et commençons à le fabriquer nous-mêmes : « L’avenir n’est pas prédictible, on ne sait pas ce qu’il va se passer, donc il faut proposer des formes d’expérimentation tant individuelles que collectives pour trouver un nouveau paradigme » revendiquait un des intervenants. « Il y a des alternatives, elles ne sont pas certes suffisamment médiatisées mais il y a un mouvement occidental, qui porte le nom de « mouvement de transition », qui est en train de mettre en place des monnaies alternatives sur lesquelles on ne peut pas spéculer, qui se réapproprie la production
et non la consommation réplique Eric De Ruest. L’objectif de la transition, c’est de faire face au choc à venir : la fin des produits fossiles, le réchauffement climatique, etc.
»

Cherchons nos alternatives, pour que la fin du capitalisme ne signifie pas la fin du monde. Il est temps de se réveiller, d’arrêter de nous faire des reproches à nous-mêmes pour agir contre ce qui nous impuissante. Osons le changement de paradigme car la restructuration du capitalisme ne nous augure que des pertes dans nos acquis sociaux.

 

Marta Luceño Moreno

 

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