Les 20 ans de C4 auront été produits par 1115 collaborateurs.
À certains anciens illustrateurs, nous avons demandé un dessin, à certains rédacteurs, nous avons demandé quelques mots pour nous raconter leur expérience dans nos colonnes. Bien sûr, il manque des centaines de témoignages tout aussi pertinents. Mais on était complètement à la bourre au moment de boucler. Il y a des choses qui ne changeront peut-être jamais.
(Don) Diego (della Vega) Friso
Pendant une certaine période, au sein du Conseil de l’Union Européenne, je me suis occupé des deux publications produites par un des syndicats internes. On m’avait donné la tâche de relancer ces magazines, du point de vue graphique et politico-syndical.
Un jour, je suis tombé sur un article qui parlait d’une nouvelle publication type journal qui avait été confectionnée par des chômeurs, et pour des chômeurs, et qui faisait parler d’elle par la teneur des articles ainsi que par sa façon d’aborder les problèmes propres aux chômeurs et aux personnes et familles en détresse.
Sans hésiter, j’ai formé le numéro de téléphone au bas de l’article. Une ou deux semaines plus tard on avait un représentant du journal qui était assis avec nous et qui participait à une mini-réunion de rédaction de notre magazine.
Au moment de prendre congé, cette personne nous invite à son tour à nous rendre à Liège pour faire la connaissance de la rédaction de C4.
Ça nous a beaucoup changé de nous rendre à Liège. Les problèmes que l’on pouvait avoir à l’intérieur de notre sphère européenne n’étaient en rien comparables à une réalité plus cruelle et plus réaliste (d’une certaine manière). Les articles étaient écrits d’une empreinte éditoriale différente et les rédacteurs pensaient d’une tout autre façon, suivant les canons d’une vie différente, en marge d’autres vies différentes.
Les idées d’articles étaient innombrables et ça fusait de tous côtés : les recettes à bas prix, les astuces pour payer moins cher, les échappatoires légales, les interviews de personnes que l’on n’aurait jamais interviewées a priori, les subterfuges administratifs, les chômeurs en une !
C’était la première fois que l’on démontrait, par A plus B, que personne ne se souciait des chômeurs, de les aider vraiment, de les soutenir, que ce soit du point de vue moral, politique ou social.
C’était la première fois que je me rendais compte que les syndicats de tous les pays civilisés se souciaient beaucoup plus des travailleurs et de tous ceux qui ont déjà une activité professionnelle, que de ce qui se passait dans la tête d’un chômeur, de longue ou de courte durée, belge ou étranger.
Je suis reparti de Liège avec la promesse réciproque de participer à nos rédactions respectives, de trouver un moyen de collaborer, de trouver un moyen de « socialiser » les différences, la méconnaissance de l’autre et la peur du vide culturel.
J’ai collaboré pendant des années, parfois en écrivant, parfois en écoutant, parfois en discutant, parfois en étant présent, en admiration devant une énergie collective qui a réussi à changer pas mal de choses et, pour ma part, même du fin fond de la France languedocienne, je dis haut et fort C4 FOR EVER !
Laurence V.
Je suis arrivée pour le numéro 1, en 1993, sans avoir jamais fait de journalisme et sans avoir même d’expériences d’écriture. Je fréquentais le Cirque Divers, je n’avais pas de boulot, j’ai rencontré Antaki. Il m’a proposé d’écrire, d’abord, puis plus tard de devenir secrétaire de rédaction. Je suis partie en 1997.
Au début, le comité de rédaction était séparé de l’équipe de rédacteurs. A l’époque, les articles étaient décidés pendant les comités de rédaction, et ensuite on faisait appel à des pigistes. Ça a commencé
à changer quand les Bruxellois sont arrivés au comité, et puis finalement la plupart des pigistes nous ont rejoint. Ça devenait plus collectif, et c’était vraiment un fonctionnement d’équipe, où l’on avait une vie ensemble parce qu’on se voyait aussi en dehors du journal. On se voyait au Cirque, c’était un lieu important, où des choses se passaient.
Dans le contenu, il y avait aussi un lien fort avec la culture. Ce n’était pas des pages culture qu’on faisait, mais par l’ancrage au Cirque Divers et nos liens avec des artistes comme André Stas, la culture imprégnait C4, dans sa forme. Avec Antaki, on pensait les illustrations dans ce sens, les Unes se concevaient comme une espèce de petite œuvre.
La manière dont on traitait les sujets était tout à fait différente de la presse habituelle. On laissait une grande place à la parole des gens. Si on parlait des chômeurs par exemple, c’était impensable de ne pas passer par leur parole. Je crois que c’est ça qui continue à nous différencier. Prendre garde à respecter la parole de la personne. Et puis, avoir une analyse qui réfléchit sur elle-même, en essayant de ne pas concevoir les choses à partir d’un point de vue fixé, dominant, traditionnel.
Il y a eu des évolutions à C4, mais ça je crois que c’est quelque chose qui est vraiment resté : l’ancrage dans des questions sur le fonctionnement de la société ; le relais de points de vues et de luttes minoritaires. On est d’ailleurs plusieurs à avoir développé une pratique activiste à l’intérieur de C4, ce qui est mon cas, par exemple avec la question des droits des personnes étrangères, des sans-papiers et des réfugiés. C’est en écrivant sur ces thèmes que je suis passée à l’activisme et que j’ai quitté C4.
C’était clair aussi, dès le départ, que c’était un endroit de passage. Certains ont continué à y travailler pendant plusieurs années, mais je crois que personne d’entre nous n’imaginait rester 20 ans à C4 et y faire carrière. Ce n’était pas le but, ni l’esprit.
Toute la question de la militance est arrivée petit à petit. C4 m’a vraiment apporté une ouverture à l’autre – appris à écouter leurs histoires, à avoir un échange. Je le portais en moi évidemment, sinon je n’aurais pas écrit ces articles-là. « Eux parmi nous » ce n’est pas moi qui l’ai proposé, c’est venu du comité de rédaction. Mais on m’a donné la possibilité de le faire comme je l’entendais, et on m’a laissée, à partir de ces rencontres, dire qu’il fallait aller plus loin et qu’il fallait faire des articles sur la situation des personnes étrangères en Belgique. Parce qu’on ne peut pas juste se contenter d’écouter, il faut aussi aller voir.
Donc, oui, C4 est une étape importante de mon parcours. Et même si je ne suis plus dans l’activisme pratique aujourd’hui, ça a changé quand même ma perception des choses, ma façon d’analyser, ma façon de rencontrer les gens.
Ben Martin
C4 a permis à plein de gens, dont moi, de rentrer dans le journalisme par un chemin de traverse, sans en avoir l’air et de manière informelle. Et pourtant, j’ai vraiment appris une forme de journalisme très pro là-bas. J’ai aujourd’hui une idée très précise de ce qu’est la création d’un journal de A à Z et je suis capable de diriger une petite rédaction (ce que j’ai fait plusieurs années pour la rédaction de C4 à BXL).
L’aventure de C4, c’est avant tout une histoire de liens humains. Moi j’y suis rentrée car je connaissais des gens de Liège qui y bossaient. Et puis, j’ai écrit çà et là d’autres articles avant qu’on ne lance la rédaction à Bruxelles et que je m’investisse à fond dedans.
Au travers du magazine, plein de gens qui n’avaient rien à voir avec le journalisme ou même avec l’écriture se sont lancés : on leur offrait un encadrement, un suivi, et des outils. Après, je ne vais pas dire que tout était rose. A la rédaction de Bruxelles, on n’était payé que pour les piges, alors qu’on faisait
tourner une réelle rédaction, cela demande du temps et des moyens humains et matériels. Ces derniers, c’était la débrouille, et en termes humains, on était tous bénévoles… C’est un peu la face B du côté informel de C4, son aspect déstructuré et précaire. Je suis convaincue que si on avait bénéficié d’un cadre plus structuré et mieux financé, la rédaction tournerait encore aujourd’hui. Les gens finissent par s’user ou simplement trouver un job rémunéré (il faut bien payer ses factures !), et quittent le projet.
A l’époque, on avait vraiment mis sur pied un travail de rédaction collective. On rendait nos pages Bruxelles (qui sont passées de 2 jusqu’à 8 pages, et même durant la période dorée, on prenait en charge un dossier sur deux) totalement finies, sous forme de maquette, qu’il restait juste à imprimer. Ça veut dire que le choix des thèmes, la rédaction, les illus, la mise en page, … on faisait tout et tout ensemble.
C’est génial de participer à une telle initiative collective, non seulement tu as la charge du début à la fin de ton projet, mais en plus cela demande un investissement de soi et une très bonne entente et coordination des membres de la rédaction. C’est une expérience inoubliable en termes d’apprentissage et de richesse humaine. C’est une forme d’accompagnement sans pression, sans jugement, sans hiérarchie, et même souvent avec de l’entraide et de la bienveillance. Tout ça est extrêmement précieux.