Occupy deux mille douce

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Quoi qu’on en pense, l’année 2011 aura été bien chargée ! Soulèvements contre les dictatures dans les pays arabes, indignation contre la démocratie représentative en Europe et, sur le même ton, des occupations aux Etats-Unis contre la « dictature financière »… Qui dit mieux ? Images de guérilla urbaine en Amérique latine (Chili, Bolivie,… ), mouvements révolutionnaires en Afrique (Sénégal, Angola,… ), l’Asie n’est pas en reste (Chine, Malaisie… ) et des manifestations monstres ont eu lieu récemment en Russie  1 ! Pendant ce temps, s’organisant sur la toile, des groupes de hackers naissent à l’échelle mondiale et n’hésitent pas à s’attaquer et à faire plier des « piliers » de notre société (Etats, grandes entreprises, cartels de la drogue…).

Le 15 octobre 2011, sous des slogans tels que « Peuples du monde, levez-vous ! » ou « Descends dans la rue, crée un nouveau monde ! », les indignés avaient appelé à manifester dans 951 villes de 82 pays, et plus d’un million de personnes ont répondu à l’appel ! Un mouvement global a émergé…

Considérés tout un temps par le monde politique (et médiatique) comme émargeant de bandes de farfelus sans vision cohérente, ces nouvelles formes de revendications ont acquis une reconnaissance puisqu’au fur et à mesure de leur ampleur et du relais qu’en ont fait les médias, les politiques n’ont pas hésité à en récupérer la rhétorique. Que peut réserver au monde ce mouvement global naissant pour 2012 ?

Autonomisation de l’individu

Alors que les mouvements altermondialistes avaient transformé la culture politique en mettant fin à la vision pyramidale (le principe d’horizontalité y prévalait : les paroles y étant considérées comme équivalentes les unes aux autres), tout en étant porteurs de rapports collectifs pour s’exprimer, les indignés et participants aux « occupy » proposent d’aller plus loin et ramènent la mobilisation à l’échelle de l’individu. Cela traduit notamment une confiance en chute libre envers, notamment, les syndicats et la gauche de parti, perçus comme collaborant trop étroitement avec les gouvernements dans la gestion de la crise économique mondiale et lors des mises en place des mesures d’austérité.

Mais pas que ça : depuis les années 2003-2005, les réseaux sociaux sont devenus partie intégrante de nos vies et les informations volent sur toute la toile. Il n’y a plus de point central où trouver -recevoir- l’information, mais tout un chacun peut la chercher, l’intégrer quand il le souhaite et devenir acteur de sa propagation. A chacun son cheval de bataille, et plus besoin d’intégrer une structure pour rencontrer d’autres personnes partageant la même… indignation.

Le rapport à l’espace public s’est inversé : si, avant, on était militant avant de sortir ensemble dans la rue, aujourd’hui la manifestation est un lieu de rencontre ! La nuit, l’individu construit peu à peu du sens, « seul » face à son écran, et la journée il sort sur les places publiques. C’est sur ces places, dans ces rencontres, que le mouvement se construit au quotidien. Pour cette année (et les suivantes), il nous propose non seulement de créer du « bien commun », des ressources partagées par une communauté, mais également d’inventer les moyens de le gérer de manière collective tout en le partageant sur un mode situé hors de la privatisation ou du bien public : le mode du partage.

Vers l’abondance ?

Grâce au support numérique, connaissance et savoir peuvent être diffusés en tant que biens non matériels, non rivaux et non exclusifs (si je vous partage un fichier, je n’en suis pas pour autant privé, ça ne vous prive pas d’en avoir d’autre et je peux
toujours le partager avec d’autres). A divers niveaux et dans divers domaines, nous assistons à la création de nouvelles règles de gouvernance par chaque communauté pour les ressources, en fonction des besoins et de la spécificité de la communauté. Les logiciels libres en sont un exemple de plus en plus connu, mais nous pouvons également citer la « science ouverte » lorsque des chercheurs préfèrent avoir des publications ouvertes plutôt que privées et revendues à prix d’or aux bibliothèques publiques, les « ressources éducatives ouvertes » qui permettent aux enseignants de partager leurs cours entre collègues, les «open hardware » qui permettent aux usagers de connaître les codes des composants d’une machine et de pouvoir ainsi la transformer et faire évoluer l’outil selon les besoins propres de son utilisateur…

Paradoxe : l’entrée dans cette ère de l’abondance met le monde économique en crise – il ne sait pas comment faire face à l’émergence d’un secteur d’activité qui aurait dissout la rareté. Pendant toutes les années 2000, et notamment sous l’impulsion de plan tel que la Stratégie de Lisbonne, nos élites auront tenté d’intégrer un modèle économique pour la société de la connaissance en se refusant à mettre de côté le sacro-saint principe de propriété (dans ce domaine on l’appelle copyright). Les mouvements protéiformes tels que ceux des indignés ou de occupywallstreet naissent essentiellement dans leurs échecs. Ils sont portés par celles et ceux (beaucoup de «jeunes») qui savent qu’il n’y a plus aucune place à espérer dans ce genre de projet délirant et toxique 2.

Quitter les places… et occuper le quotidien!

Alors que certains sont tombés dans le fatalisme, depuis le temps qu’on leur rabâche les oreilles avec cette foutue crise (mais au vu de sa longueur, on dirait plutôt un état normal), les indignés, ayant quitté les places qu’ils occupaient pour retourner s’organiser dans leurs quartiers, n’hésitent pas à braver les lois afin de concrétiser la solidarité. Ainsi, en Espagne, en France et en Grèce, des collectifs se forment afin de rebrancher l’électricité aux familles endettées qui ne peuvent plus payer leurs factures ! Bien souvent, des membres des sociétés d’électricité aident concrètement au rétablissement d’énergie. Et cette pratique fait boule de neige, puisqu’en Grèce, certains maires n’ont pas hésité à se déclarer prêts à remettre l’électricité aux foyers 3.

En Espagne, où l’on estime à 300 les familles expulsées chaque jour de leurs habitations pour défaut de payement, des citoyens se réunissent, parfois à plusieurs centaines, pour empêcher physiquement les expulsions ! Parallèlement, des groupes d’indignés locaux réquisitionnent des bâtiments vides et y logent les familles à la rue… Et ce ne sont pas des militants aguerris qui ont obtenu une première victoire juridique à Barcelone le 7 novembre, mais bien des victimes de la crise du logement. Des services d’aide juridique bénévole se mettent également en place. Bref, il y a du mouvement dans la société, la population s’organise et remplace elle-même les services sociaux dépassés par la spéculation immobilière, la crise financière et le chômage massif 4.
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Abattre le dinosaure de la démocratie représentative corrompue

Face aux urgences sociales, environnementales, économiques, sanitaires, éducatives, judiciaires, énergétiques…, ces mouvements pacifiques remettent en cause le processus démocratique tel qu’il est vécu et réclament la fin de la dictature financière ainsi qu’une démocratie directe telle qu’elle est déjà vécue par ses participants. Des expériences intégrées qui, quoiqu’il arrive, auront bouleversé les fonctionnements humains d’une quantité inimaginable de personnes, qui avancent pleines de bonnes résolutions dans cette nouvelle année…

Publiée fin décembre comme un souhait pour 2012, voici un extrait de la vidéo « LE MOMENT EST VENU! Message du Mouvement Occupy Wall Street à l’Humanité » :

« Un gouvernement démocratique tire son pouvoir légitime du peuple, mais les entreprises se passent d’autorisation pour extraire les richesses du peuple et de la Terre. Aucune VRAIE DÉMOCRATIE n’est atteignable si le processus est déterminé par le pouvoir économique. Nous venons à vous à une époque où les entreprises qui placent le profit au-dessus des gens, l’intérêt personnel au-dessus de la Justice et l’oppression au-dessus de l’Egalité, pilotent nos gouvernements […] Population du monde, […] nous vous recommandons d’affirmer votre pouvoir […] créez un processus pour appréhender le problème auquel nous faisons face et générez une solution à la portée de tous. A toutes les communautés qui agissent et forment des groupes dans l’esprit de la démocratie directe, nous vous offrons soutien, documentation et toutes les ressources à notre disposition. Rejoignez-nous et faites entendre votre voix ! » 5

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