Fric, foot, loose

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En Europe, les footballeurs pro sont considérés comme les rois du monde. Eden Hazard, international belge de 21 ans vient de signer un contrat pour 500 000 euros par mois avec Chelsea. Mais que se passe-t-il en-dehors de nos frontières ? Petite visite dans les coulisses du foot-business, jusqu’au Burkina Faso. Là-bas le footballeur est toujours une star, mais une star qui galère.

Avant, quand on voulait être une star et gagner des millions, on s’imaginait devenir le prochain Michael Jackson. Aujourd’hui, on espère être le nouveau Messi. On ne devient pas simplement footballeur parce qu’on aime le jeu ou parce que c’est ce qu’on sait faire, on le devient parce qu’on espère la jouer comme Beckham. La compétition quitte le terrain de jeu pour entrer dans l’univers de la communication et de la négociation.

Il y a donc des gagnants, et des perdants. Les perdants étant bien évidemment ceux qui n’arrivent pas à dégager un salaire complètement extravagant, les obligeant à ne pas vivre en mode villa-piscine-décapotable (pour ne pas reprendre de cliché suranné). Même si plus de la moitié footballeurs participent aux matchs officiels, seule une infime partie bénéficie « d’un contrat écrit avec un club et […] perçoit une indemnité supérieure au montant des frais effectifs qu’il encourt dans l’exercice de cette activité footballistique. Tous les autres joueurs sont réputés amateurs. » (d’après le règlement de la FIFA)

Car tous les sportifs de haut niveau ne sont pas payés de la même façon. Le premier gagne, la coupe, la prime, les sponsors. Et le dernier ? Même l’avant-dernier ? Des cacahuètes. L’important n’est plus de participer si on veut pouvoir avoir un salaire à la fin du mois. L’important est de briller. Avec et devant les bonnes personnes.

Au Burkina Faso aussi les jeunes rêve de devenir Eto’o. Mais la comparaison avec nos contrée pourrait s’arrêter là. Sur les 816 583 joueurs belges, 443 383 sont enregistrés auprès de la FIFA (Fédération Internationale de Football) – cela signifie qu’eux seuls peuvent participer aux compétitions officielles, en tant qu’amateurs ou professionnels – pour 2 058 clubs. En comparaison, sur les 605 000 joueurs du Burkina Faso, seuls 23 200 sont enregistrés pour 100 clubs.

80e au classement FIFA, le Burkina Faso est un pays encore peu connu pour son football. Pourtant, il serait une source riche en nouveaux talents. Il a même été champion d’Afrique des moins de 17 ans en 2011. Sans doute pour cela qu’un recruteur belge est en ce moment-même en train de tester les footballeurs burkinabé afin de les acheter, et les revendre aux plus offrants.

Ces jeunes espèrent tous, dès leur entrée en centre de formation, être repérés par les recruteurs et agents venus d’Europe. Des centaines de joueurs, pour quelques places en championnat. S’ils restent au pays, ils ne peuvent espérer gagner leur vie. Cheick Coulibaly est en plein dedans. Originaire de Bobo-Dioulasso, il entre d’abord dans le centre de formation Sacrabutu, un des plus connus au Burkina. Puis, avec son lycée, il gagne deux années de suite le championnat inter-établissement. Le bac en poche, Cheick se rend à Ouagadougou, la capitale, et s’inscrit en fac de droit.

« C’est là que j’ai fait la rencontre de trois présidents de club : le président du CFO (Commune Football de Ouagadougou, qui est devenu le centre de formation de Ouagadougou), celui de l’USFA (équipe militaire) et celui du Canon du sud (un club de D2 qui vient de monter en D1). Les trois voulaient que je signe avec eux. Comme on n’arrête jamais d’apprendre, et souvent aussi, il faut suivre son cœur, je suis allé au CFO. Parce que mon frère jouait là-bas, et que j’en étais le supporter n°1 ! Lorsque j’ai commencé à jouer, des propositions venaient de partout. Avant tout, le coach de l’équipe nationale espoir était aussi mon manager. C’est lui qui avait parlé de moi au président du Canon du sud. Il a exigé que je signe au Canon pour qu’après il m’appelle en équipe nationale. Mais le
Canon du sud est un club que je n’ai jamais aimé. J’ai refusé. »

Après un parcours assez classique, le voilà joueur de football de haut niveau. Dans nos esprits européens, football rime avec argent, beaucoup d’argent, surtout à un niveau professionnel. Mais pas au Burkina. « Le salaire ce n’est pas trop ça. La récompense, c’est après l’effort fourni. C’est-à-dire, jouer, se donner à fond et se contenter de ce que le président donne, tout en espérant être vu par les agents de joueur d’Europe. Comme le disait un grand footballeur d’ici, le football ne nourrit pas son homme au Burkina. »

Le salaire d’un footballeur équivalant au salaire d’un employé d’entreprise ? Cela semble inimaginable. Et pourtant c’est bien le cas au Burkina Faso. « Il y a des joueurs qui peuvent toucher 80 000 FCFA (122,4 euros) et plus, quand la prime dans certains clubs est de 50 000 FCFA (76,5 euros) et plus. Il y a des joueurs qui peuvent toucher 200 000 FCFA (305 euros), surtout ceux qui jouent en équipe nationale. » Quand le salaire moyen au Burkina Faso tourne autour de 60 000 FCFA par mois, soit 90 euros environ.

Pour les footballeur burkinabés, l’espoir de vivre un jour de leur sport implique donc forcément de quitter le pays. L’Europe étant leur Terre Promise. Quand on sait qu’un joueur de Ligue 1 peut toucher jusqu’à 40 000 euros par mois et jusqu’à 20 000 euros par mois en Ligue 2 en France, on les comprend.

« Évoluer en Europe, c’est mon rêve parce que non seulement je serais connu sur le plan international mais aussi je serai plus riche ! (rires) Mais, quand même, le foot, d’abord c’est le plaisir. Ici, en réalité les joueurs ne sont pas bien payés. Ça permet juste de survivre. Ici, l’énergie dépensée n’est pas égale à la somme reçue. Etoo touche des millions par an. Quand les joueurs du Burkina à l’extérieur reviennent, nous les joueurs d’ici, nous nous cachons, sais-tu pourquoi ? Ils circulent dans des voitures pas possible, ils ont les plus grandes villas et ils n’ont pas à envier les fonctionnaires ! »

Dans le football, plus jeune on est repéré, mieux c’est. Les recruteurs le savent bien. Ils sont nombreux à faire le voyage en Afrique à la recherche de nouveaux talents auxquels ils font miroiter monts et merveilles. Certains amis de Cheick ont « réussi ».

Bertrand Traoré est le frère d’Alain Traoré, qui joue pour l’AJ Auxerre en France (un club de Ligue 1 qui descend en Ligue 2 cette saison). Âgé de 16 ans, il est le plus jeune joueur sélectionné pour la CAN 2012 (Coupe d’Afrique des Nations) dans l’équipe nationale du Burkina Faso. « C’est son frère qui l’a aidé à partir, et depuis il a prouvé son talent ». Annoncé à la Chelsea Academy, le jeune joueur n’a en fait participé qu’à une période d’essai de six semaines. Cheick n’en sait pas plus, et la page wikipédia s’arrête là.

Si Bertrand Traoré, encore très jeune, a une chance de poursuivre en Europe et de ne pas rentrer bredouille, pour Mamadou Sakho (on parle d’un joueur sénégalais et non pas du Mamadou Sakho du PSG qui, lui, n’a aucun problème de trésorerie), le rêve s’est brisé. Seul le journal français Libération a relayé l’information en 2009. L’article relate comment ce joueur arrive au Sporting Lokeren en 2007, sans rien, ni même avoir encore signé son contrat : « Le frigo est vide, et Mamadou n’a pas de vêtement pour affronter l’hiver belge. » Il ne touche sa prime à la signature, d’un montant de 10 000 euros, que le 28 janvier 2008. Son contrat assure 2 500 euros mensuels et une indemnité de 250 euros pour un appartement meublé (« à charge pour le joueur de payer gaz et électricité »).

Passe encore les conditions douteuses de son arrivée. Le pire reste à venir. Mamadou Sakho se blesse. Il est opéré aux adducteurs dans une clinique d’Anvers en avril 2008. Mais pas à la bonne jambe… c’est un chirurgien orthopédique à Brest qui le constate :  «Patient opéré, mais du côté gauche, alors qu’il souffre du côté droit» (WTF ?) Son contrat avec le Sporting Lokeren n’est évidemment pas reconduit, son permis de séjour expire.
Mamadou Sakho rentre chez des amis en Bretagne. En 2009 il vivait dans la crainte de la police aux frontières. Qui sait ce qu’il sera devenu ?

Ils sont nombreux, comme Mamadou, qui une fois en Europe se retrouvent livrés à eux-mêmes. La loi du sport (business) est celle du plus fort, et du plus entouré. Sans agent, sans manager, sans appui, même avec du talent, il n’est pas si évident d’arriver au sommet.  Un casting permanent, où ceux qui n’ont pas la chance de décrocher un contrat vivotent de manière précaire.

Lors des Rencontres économiques en 2010, Didier Adès, journaliste économique français, faisait le constat suivant : « au départ, les sportifs, c’était la beauté du sport, maintenant c’est du business. Les agents sont là pour valoriser leur poulain et également pour négocier les contrats avec les sponsors. Ces sportifs doivent être un peu rares pour être chers, etc. C’est un business fabuleusement juteux. » Mais si le « poulain » ne porte pas ses fruits, il est laissé sur le bord de la route, et l’agent recrute une nouvelle poule aux œufs d’or. Il y en aura toujours un autre.

Le modèle du star-system s’est maintenant imposé dans le football, comme il s’est imposé dans le monde de la musique ou du cinéma. La masse galère, et la minorité au-dessus du panier récolte les lingots.

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