Un peu d’idéologie pour nous sauver du chaos ?

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Le problème avec l’ordre, c’est qu’il peine à s’imposer comme quelque chose qui ne fait pas débat. Les grandes idéologies, qui tentent d’envisager le question dans son ensemble, ont d’ailleurs toujours pas mal de difficultés à cohabiter.

L’anarchisme, ou l’ordre moins le pouvoir

Pour les anarchistes, les idéologies socialistes, libérales, fascistes… octroient à une minorité de privilégiés le droit de gérer la société à la place des concernés, pour son propre profit, via un mode de gestion particulier : l’Etat.

L’anarchie désigne la situation d’un milieu social où il n’existe pas de chef, pas d’autorité unique. La conception anarchiste de l’ordre repose sur l’entente (principe de liberté VS celui d’autorité) et l’entraide (principe de coopération VS celui de compétition). Pour les organisations anarchistes, une société libertaire ferait disparaître la plupart des causes de transgression des « lois». Les quelques cas de crimes isolés seraient réparés via une solution réfléchie par la Communauté.

L’expérience espagnole

1936 – Espagne. Le puissant syndicat anarchiste (CNT) comptait près d’un million d’adhérents. Il collectivisa, en Catalogne, 70% des entreprises. Les directeurs furent remplacés par des comités élus, composés de membres des syndicats. Rien n’empêchait les anciens directeurs de continuer à travailler dans leur ancienne entreprise (avec un salaire égal à celui des autres employés). Les campagnes s’organisèrent aussi : l’assemblée générale des paysans élisait un comité d’administration, dont les membres ne recevaient aucun avantage matériel. Le travail s’effectuait en équipes, sans chef, cette fonction ayant été supprimée. Les conseils municipaux se confondaient fréquemment avec les comités, qui constituaient de fait les organes du pouvoir local. Généralement, le mode de rémunération était le salaire familial, sous forme de bons là où l’argent avait été aboli 1.

La pénurie et les multiples fronts, à la fois contre les fascistes et les communistes, eurent raison du rêve anarchiste, devenu réalité l’espace de quelques années, marquant ainsi les esprits: « L’aspect saisissant de Barcelone dépassait toute attente. C’était bien la première fois dans ma vie que je me trouvais dans une ville où la classe ouvrière avait pris le dessus. A peu près tous les immeubles de quelque importance avaient été saisis par les ouvriers et sur tous flottaient des drapeaux rouges ou les drapeaux rouge et noir des anarchistes. (…) Tout magasin, tout café portait une inscription vous informant de sa collectivisation; jusqu’aux caisses des cireurs de bottes qui avaient été collectivisées et peintes en rouge et noir ! (…) Tout cela était étrange et émouvant. Une bonne part m’en demeurait incompréhensible et même, en un sens, ne me plaisait pas : mais il y avait là un état de choses qui m’apparut sur-le-champ comme valant la peine qu’on se battît pour lui » 2.

L’ordre communiste

Le communisme vise à instaurer une société sans classe, une organisation sociale sans État, basée sur l’abolition de la propriété privée des moyens de production et d’échange au profit de la propriété collective. Ces principes rassemblent des courants politiques très divers (socialistes utopiques, marxistes, anarchistes…), dont les avis divergent quant aux moyens pour parvenir à cet idéal.

Compte tenu de l’ampleur de la transformation à réaliser et des capacités de résistance de la société capitaliste, l’idée de la nécessité d’une période révolutionnaire s’est imposée dans la plupart des courants liés au communisme. Les marxistes prônent ainsi une révolution et une évolution en deux phases : une phase de transition sous la direction du parti (dictature du prolétariat), puis la disparition progressive de cet état au profit de la société communiste – sans
classe.

Le communisme imagine une production « de chacun selon ses capacités » : chacun peut généralement à son gré se livrer aux occupations de son choix, on peut abolir la division sociale du travail sans mettre en péril la production, supprimer toute force coercitive (police ou armée). Bref, fonctionner sans État. La démocratie directe pourrait juguler les conflits.
Nombres de mouvements communistes se développèrent durant le siècle passé, ils servirent surtout de prétexte à des dictatures. L’idéal théorique ne vit jamais le jour.

L’ordre communiste est centré sur la protection des libertés sociales et lutte contre les formes d’exploitation des travailleurs. L’État démocratique ne garantirait à ses citoyens que la liberté politique, sans supprimer l’oppression et l’exploitation des travailleurs dans la société.

Les libertés « bourgeoises », comme la liberté syndicale, le libre accès à la culture, le droit de vote… garanties par l’ordre des sociétés démocratiques, ne serviraient en rien le prolétariat parce que sa situation de classe dans la société capitaliste lui en empêcherait l’usage. Seul un passage par la révolution permettrait de renverser cet état de fait, car « l’Histoire nous apprend qu’une classe dominante et privilégiée n’a jusqu’à présent jamais abandonné volontairement sa position dominante » 3

Le piège fasciste

Le fascisme naît en Italie autour de Benito Mussolini. Il fera de nombreux émules, notamment en Allemagne ou en Amérique du Sud. Le terme désigne une conception politique qui s’appuie sur un pouvoir fort et l’exaltation du sentiment nationaliste – et se caractérise par le rejet des institutions démocratiques, la répression de l’opposition et un contrôle de la société civile. L’État fasciste soumet tous les individus à une idéologie unique – le problème de l’ordre se trouve résolu, une «bonne » fois pour toutes. Ce monopole idéologique se traduit par une souveraineté incarnée à travers un guide suprême, Duce ou Fürher. Les principes de séparation des pouvoirs sont supprimés. Seul compte l’intérêt national 4.

Le fascisme s’organise à travers un parti de masse dont la tactique consiste à provoquer le désordre pour invoquer l’ordre. Avec la classe moyenne en ligne de mire. Les slogans anticapitalistes et socialistes touchent certains groupes plus défavorisés, tandis que les patrons de l’industrie ne voient pas d’un mauvais œil l’instauration d’un certain ordre dans leurs usines.
Mussolini, Il Duce, emprisonnait ou tuait ses opposants. Dirigeait les médias pour sa propagande. Organisait de grands rassemblements populaires pour maintenir la ferveur des foules. La jeunesse italienne embrigadée, dès l’âge de 6 ans, est élevée dans le culte du Duce et de l’Italie, en exaltant les valeurs de l’héroïsme guerrier, de l’obéissance, de l’abnégation, de la camaraderie. La devise des jeunes fascistes est : «Croire, obéir, combattre ». Tout est dit… La vie des Italiens est encadrée par les syndicats fascistes. Tous les métiers sont organisés en corporations. Ne pas avoir sa carte du parti ou du syndicat, c’est se voir refuser certains emplois, l’accès à certains loisirs ou tout simplement l’impossibilité d’acheter du pain 5.

Notes:

  1. Quand l’Espagne révolutionnaire vivait en anarchie, Le Monde Diplomatique, Frédéric Goldbronn et Frank Mintz, décembre 2000
  2. Hommage à la Catalogne, George Orwell,, 1938
  3. Olivier Camy, cours de droit constitutionnel/Le droit constitutionnel fasciste, Faculté de droit et de science politique de l’Université de Bourgogne/IEP Paris.
  4. Olivier Camy, cours de droit constitutionnel/Le droit constitutionnel fasciste, Faculté de droit et de science politique de l’Université de Bourgogne/IEP Paris.
  5. Encyclopédie Larousse/fascisme.

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