Un ordre professionnel, c’ est une structure d’un type particulier qui organise, gère et régule l’ensemble d’une profession libérale. En Belgique, l’Ordre des médecins est un organisme professionnel, administratif et juridictionnel de défense et de régulation de la profession médicale. Créé en 1938, l’Ordre des médecins est organisé au niveau provincial. Il y a aussi deux conseils d’appel fédéraux, plus un conseil national. Comme c’est le cas pour les avocats tenus de s’inscrire au Barreau, l’inscription à l’Ordre des médecins est une obligation pour tout médecin pratiquant en Belgique. Il ne s’agit pas d’une simple association, mais d’une personnalité civile de droit public qui jouit du pouvoir d’organiser la profession, ainsi que d’un pouvoir disciplinaire. On la saisit pour régler des problèmes d’éthique ou de déontologie, on y règle des conflits entre médecins, ou entre médecins et patients. Ainsi, l’Ordre a pour mission de « veiller au respect des règles de déontologie et au maintien de la dignité, de la probité et de la responsabilité des médecins, à la qualité des soins, ainsi qu’à la relation particulière de confiance entre le médecin et ses patients (…) A cette fin, il est chargé de réprimer les fautes de ses médecins, commises pendant l’exercice de la profession ainsi que les fautes graves commises en-dehors de l’activité professionnelle lorsqu’elles sont de nature à entacher la profession. » Les sanctions peuvent aller du blâme à l’interdiction temporaire ou définitive d’exercer. Sanctions et enquêtes sont internes, elles ne sont pas communiquées au public. Même un patient qui aurait déposé plainte n’est pas tenu au courant des suites réservées à celle-ci. C’est là l’une des grandes critiques souvent émise contre l’Ordre. Des projets de réforme en la matière existent, mais rencontrent des résistances et des contre-arguments. 1
Des médecins qui font désordre
Il y a les belles définitions et intentions. Il y a, c’est vrai, un certain unanimisme— du moins de façade — gâché seulement par certaines pratiques, contestées, mais à la marge… Et si l’on reconnaît la possibilité de quelques dysfonctionnements possibles, des réformes sont à l’étude.
Pourtant, une poignée de toubibs résiste encore et toujours à cet Ordre établi. Réunis sous la bannière de l’organisation « Médecine pour le Peuple », ils ne (se) reconnaissent pas (dans) cet « Ordre des Médecins ». Ils contestent ouvertement sa pertinence, son existence même. Dès lors, ils refusent d’adhérer et de verser des cotisations à cette organisation professionnelle unique, ce qui est pourtant une obligation pour tout médecin belge! Depuis le jour de sa création, fin des années 70 , « Médecine pour le Peuple » et l’ « Ordre des Médecins » se livrent une inextricable guerre d’usure…
« Médecine pour le Peuple », c’est onze « Maisons médicales » de première ligne, disséminées sur tout le territoire belge. Dans l’organisation travaillent pas moins d’une centaine de professionnels de la santé, ainsi que du personnel administratif et une centaine de bénévoles. Vingt-cinq mille patients y sont soignés gratuitement! « Servir le peuple » est le leitmotiv de ces médecins pas comme les autres. Pour eux, le droit à la santé est un droit fondamental. Droit pas toujours respecté, même dans nos « pays développés ». Plus largement, « MPLP » a une visée socio-politique et tente de « sensibiliser la population dans l’optique d’un processus de changement profond de la société »… Il faut préciser que « Médecine pour le peuple » est d’abord une initiative du PTB, le Parti du Travail de Belgique. Et la dynamique ne fonctionne pas si mal, si l’on considère que, localement, l’implantation politique grandissante du PTB correspond à un remarquable travail de terrain de la part de « Médecine pour le Peuple ».
« Les gens d’abord, pas le profit » est l’un des slogans historiques du PTB, et c’est
en fonction de ce principe que « Médecine pour le Peuple » développe et évalue ses initiatives et alternatives en matière de soins de santé.
Mais, en fin de compte, pourquoi cette philosophie est-elle, selon ces « toubibs rouges », si difficilement compatible avec les fondements et pratiques de l’« Ordre des Médecins »?
Entretien avec Hans Krammisch, Médecin généraliste à la Maison Médicale de « Médecine pour le Peuple » de Seraing depuis 1984 et Conseiller Communal P.T.B. à Seraing depuis 2006.
« Ce 24 août encore, plus d’une centaine de personnes se sont mobilisées pour soutenir Sofie Merckx, médecin et membre de « MPLP», dans l’un des épisodes judiciaires qui l’oppose à l’Ordre des Médecins. Dans cette affaire, l’Ordre a été jusqu’à faire bloquer l’ensemble d’un processus d’héritage familial, dans lequel sont impliquées des personnes n’ayant rien à voir avec le conflit en question, juste pour récupérer quelques centaines d’euros de cotisations obligatoires que Sofie a toujours refusé de payer! Il faut préciser qu’elle est la fille de l’un des fondateurs de « MPLP »…
Au départ, l’Ordre reprochait à nos membres fondateurs de s’impliquer trop dans les luttes ouvrières, et de sortir ainsi de leur « devoir de réserve », si l’on peut dire. Plus fondamentalement, on reprochait à ce groupe de médecins progressistes de pratiquer une médecine gratuite pour tous, sans même faire payer de « ticket modérateur ». C’était contraire à la pratique courante, et constituait en quelque sorte selon eux de la « concurrence déloyale »… Aujourd’hui, quand nos médecins s’affichent un peu trop dans les mouvements sociaux ou lorsqu’ils affichent dans leur cabinet des supports à caractère politique —pour une manif, ou contre une loi injuste , ils sont attaqués parce qu’ils font de la publicité, ce qui est contraire à l’éthique médicale! C’est ironique, car c’est nous qui défendons fermement l’interdiction de toute pub pour ce qui est du domaine médical, alors que peu à peu, au sein des « ordres professionnels » et de l’Ordre des médecins, la tendance est plutôt à transiger avec cet interdit fondamental et à « encadrer la pub sous certaines conditions »…
A la base, nous ne reconnaissons pas l’Ordre parce qu’il s’agit d’un privilège, hérité d’un corporatisme d’un autre temps. C’est un système où certaines professions se considérant comme plus importantes que les autres, bénéficient d’un régime d’exception! Dans les ordres, face à un problème, on est à la fois juge et partie! Quand un enseignant frappe un élève, ou si quelqu’un commet du harcèlement au travail, il y a une action en justice. Et la justice est la même pour tous, en théorie, non? Et bien, pas pour les médecins…
L’Ordre des Médecins tente de faire croire qu’il est seul habilité à régler les conflits entre médecins, ou entre médecins et patients, mais on peut très bien saisir la justice pour toute affaire médicale, et les décisions du tribunal priment sur celles de l’Ordre, heureusement!
Historiquement, même s’il y avait des structures avant, et qu’il y a eu refonte après, l’Ordre des Médecins a été créé sous l’Occupation (en France, pas en Belgique – ndlr) ! « L’Ordre » a d’ailleurs notamment été créé pour remettre au pas les médecins anti-nazis qui distribuaient des certificats de complaisance évitant aux hommes d’être réquisitionnés pour le travail obligatoire en Allemagne. Je ne veux pas dire que tous les médecins étaient des fascistes! Il y a toujours eu des médecins progressistes. Mais tout de même, il y a beaucoup de notables conservateurs et capitalistes chez les médecins.
Pour toutes ces raisons, nous, médecins de MPLP, refusons de rentrer dans « l’Ordre des Médecins ». Nous ne payons donc pas nos cotisations, pourtant obligatoires! C’est là-dessus que l’Ordre nous attaque. Alors nous sommes convoqués, nous refusons de nous présenter, on nous donne un blâme, nous nous retrouvons devant la Justice de Paix, etc. Mais jamais aucun de nous n’a reçu d’interdiction de pratiquer.
Idéalement, nous sommes pour la suppression de l’Ordre. Nous militons pour son remplacement par un « Conseil d’éthique » où seraient représentées les différentes catégories de médecins —ce qui n’est pas le cas actuellement—, le personnel hospitalier, des scientifiques, et puis bien sûr les patients! Mais en attendant, nous soutenons le projet de réforme de l’Ordre des Médecins proposé par Ecolo, par exemple. Celui-ci mettrait fin aux cotisations obligatoires! Il obligerait aussi l’Ordre à communiquer aux plaignants les résultats d’une enquête, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, où tout se décide en interne, sans aucune forme de transparence… »
Notes:
- Pour les connaître, www.ordomedic.be/fr/l-ordre/pouvoirs-disciplinaires ↩