« Prends la place » : un été d’indignation

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« Interpeller en disant que si l’urgence ne se fait pas sentir comme dans d’autres pays, si les chevaux de bataille sont dispersés, on sent tout de même bien qu’il y a des origines communes à tout ce qui ne va pas et à tout ce qui se dégrade de jour en jour » 1

prendslaplace

C’est en réponse à un appel des « indignados » espagnols à camper dans chacune des villes européennes le week-end du sommet du G82, mais également à l’appel à des actions décentralisées par diverses coalitions anti-G83, que le mouvement « Prends la place » des indignés liégeois est né le 27 mai 2011. Bruxelles, Namur, Mons… compteront rapidement leur lot d’indignés.

Alors que le vent de révolte du « printemps arabe » traversait la Méditerranée et que certains parlaient d’une propagation du souffle vers un « été européen » suite aux soulèvements citoyens en Espagne et en Grèce, la belle saison tire tout doucement à sa fin… Laissant les indignés liégeois sur leur faim ?

Tout semblait pourtant bien commencer le 27 mai, lorsqu’ils se retrouvent sur la place Saint-Lambert, posant leurs tentes et leur cuisine prix libre, leur stand d’information et leurs instruments de musique. Les assemblées populaires s’enchaînaient chaque midi et soir, réunissant rapidement plus de deux cents personnes. Sujets variés mais toujours politisés, volonté de réappropriation de l’espace public afin d’y faire (re)naître la parole politique citoyenne : curieux et sympathisants passaient partager un repas préparé avec des produits de récupération tout en bavardant, lisant les premiers textes et manifestes4 « consensués » par tous.

La démocratie par des assemblées et du consensus

C’est autour du consensus que tout se passe sur cette place. Un mode de réunion et d’assemblée que ces indignés veulent faire connaître et partager. Afin que tous et toutes puissent prendre part au processus décisionnel, de façon transparente et en évitant les prises de pouvoir…

Des professeurs, artistes et travailleurs sociaux côtoient de jeunes chômeurs sur-diplômés, des « sans » (sans-abri, sans-papiers) venus planter leurs tentes et prendre part à ce mouvement désiré non-excluant. Chacun venant tel qu’il est, sans étiquette d’appartenance quelconque. L’assemblée populaire, au fil des places traversées, est devenue un outil à part entière : très rapidement, des ateliers quotidiens et ouverts à tous proposent de se pencher toujours plus profondément sur les notions de consensus, de dynamisation, d’ouverture de la parole. Les rôles tournent et chacun est libre de se proposer animateur, donneur de parole, scribe…

La présence policière se fait plus rare que les journalistes5 place Saint-Lambert et le bourgmestre surprend même, au journal de 13h de la RTBF (complétant un direct du camp), en annonçant que s’il avait eu vingt ans, il aurait certainement été sur la place ! Malgré cela, l’épée de Damoclès de la sécurité et de l’hygiène (connue de toutes les petites organisations) est brandie. Les rencontres entre le cabinet du bourgmestre et le groupe « négociation » des indignés commencent.

Une ville pour vivre ensemble ?

Mais le centre-ville de Liège, particulièrement soumis au diktat du commerce et de la volonté toujours plus grande d’attirer les visiteurs d’un jour, n’est plus un lieu de vie et de rencontres : il s’est transformé en un lieu de passage diurne, respectant les horaires des Galeries Saint-Lambert, de la Fnac et des bus… Se réapproprier l’espace public n’y est pas si facile et l’insécurité des nuits passées sur la place fait plier les indignés qui décident après une semaine de déménager pour un lieu plus calme, au cœur d’un quartier populaire : l’esplanade Saint-Léonard.

Étrangement, bien que proche, ce lieu ne draine plus les foules alors que le camp s’y installe plus confortablement et que les activités s’y multiplient. La cuisine s’y organise plus
sereinement, un tipi et une yourte faite maison y apparaissent à côté d’une friperie. Les journées sont bien remplies et il y en a pour tous les goûts : yoga matinal, atelier de confection en osier, information sur Linux et les logiciels libres, désobéissance civile non-violente, écriture par l’absurde, philosophie et politique pour les nuls… les échanges de savoir vont bon train.

« On parle de révolution, mais restons modestes. Nous expérimentons notre manière de changer de vie. Ici on donne des exemples concrets et pratiques de ce qui peut se faire. »

Du global au local

Se sont organisées sur cette place deux journées « fête de partage » pour et avec le voisinage les 11 et 12 juin, ainsi qu’une manifestation qui aura rassemblé le 19 juin entre deux cents et trois cents personnes posant des scellés sur la Banque Nationale, le Forem, les Galeries Saint-Lambert ou encore le journal La Meuse. Si certains voisins sont partie prenante du mouvement — jusqu’à parfois installer leur tente sur la place —, avec d’autres, dont une partie du comité de quartier, les rapports sont plus conflictuels… par autorités interposées.

Le travail politique tente également de s’y intensifier et des groupes de travail sont créés autour de plusieurs axes de réflexion : inégalités, écologie, médias, stratégies de résistance, modes de vie, éducation, patriarcat, autocritique,… Aucune réelle revendication politique ne sort pour autant des communiqués de presse ni des contacts avec le cabinet du bourgmestre. La situation des plus précaires (sans-papiers et sans-abri), forts présents sur le camp, préoccupe intensément et des demandes précises et individualisées arrivent à l’Hôtel de Ville, sur demande du bourgmestre : aide à la régularisation de certains dossiers de sans-papiers qui avaient introduit leur demande en 2009, octroi d’un bâtiment vide de la Ville afin d’y loger les sans-abri (un projet pilote basé sur l’expérience d’auto-gestion du camp a d’ailleurs été soumis au bourgmestre) etc. Le mouvement s’est également solidarisé avec Erol Uyar, sans-papiers depuis plus de vingt et un ans et participant au mouvement, qui a fait une grève de la faim de 47 jours et avait planté sa tente devant l’Hôtel de Ville.

Un nouveau départ ?

Mais, le 1er juillet, le commissaire de quartier apporte aux indignés une ordonnance d’expulsion de l’esplanade qui sera mise à exécution cinq jours plus tard. Sans résistance de la part des indignés (alors qu’une dizaine de camionnettes du Peloton Anti-Banditisme et un car pour des arrestations massives étaient en réserve quelques rues à l’écart). S’ensuivirent plusieurs déménagements (avec ou sans avis d’expulsion) sur un court laps de temps (parc du Jardin Botanique, ancienne dentisterie de l’espace Bavière), pour finalement installer le camp à l’écart de la ville, sur un terrain du Thiers à Liège, où il se trouve depuis le 15 juillet. Déserté par les militants et la population, semble-t-il. Seule une vingtaine de sans-abri et de sans-papiers tient encore ce symbole de réappropriation de l’espace public.

Le mouvement « Prends la place » s’est-il pour autant éteint ? Il semblerait plutôt qu’il se transforme : des assemblées populaires se tiennent toujours et les groupes de travail se rencontrent. La volonté d’essaimer les assemblées populaires dans les quartiers (avec leurs histoires, leurs luttes et leur tissu social spécifiques) et autres lieux est maintenue. En plus des assemblées quotidiennes sur les camps, certaines se sont déjà tenues dans la salle d’attente du service chômage de la FGTB6 sur l’esplanade Saint Léonard, la place du Marché, dans le quartier Pierreuse, en Outremeuse7.
Si l’on creuse un peu sur la toile, les perspectives pour l’automne existent : le 17 septembre sera la journée mondiale contre les banques (les indignés américains veulent occuper Wall Street) et, depuis maintenant plusieurs semaines, des marches européennes convergent sur Bruxelles8! Ainsi, des indignés d’Espagne, de France, d’Italie, du Portugal, d’Allemagne, des Pays-Bas et sans doute de
Grèce et d’Angleterre arriveront dans la capitale européenne le 8 octobre pour une semaine d’ateliers et de conférences préparant la journée internationale d’actions du 15 octobre…

« Soyons réalistes et demandons l’impossible. Le capitalisme a fait une OPA sur l’imaginaire : on nous apprend à aimer et désirer ce qui nous écrase. Il faut mener la bataille de l’imaginaire. »

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