Sous la plage, les pavés

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Depuis quelques années déjà, les plages « événementielles » sont à la mode. Aux plages artificielles que l’on trouve un peu partout, de Rotterdam à Copenhague et de Hong-Kong ou Monaco à Singapour ou Toronto, sont venues s’ajouter des plages urbaines, permanentes ou temporaires. La plus célèbre de ces opérations estivales – sous nos latitudes, qui n’ont pas le climat de Copacabana toute l’année – est celle initiée en 2002 par la Mairie de Paris sous le nom de « Paris-Plages », bientôt imitée par de nombreuses villes françaises (Metz, Clermont-Ferrand, Cahors, etc.) et capitales européennes comme Berlin, Budapest, Prague ou Metz. La ville française pionnière de ce genre d’opération est toutefois Saint-Quentin en Picardie. Dès 1996, les difficultés sociales d’une partie des 60.000 habitants ont incité la municipalité à transformer la place de l’Hôtel de ville en plage avec sable, jeux et bassins. L’opération se poursuit chaque année depuis lors.

Houtsiplou-les-Bains

Chez nous, le succès de « Bruxelles-les-Bains » (depuis 2003) ne se dément pas, avec toujours le même alibi « d’offrir un sentiment de vacances à ceux qui ne peuvent pas partir ». [http://www.bruxelleslesbains.be/] Ceux qui n’ont pas d’argent doivent avoir de l’imagination à revendre pour s’imaginer à la plage, car le sable sans l’écume, c’est comme le sel sans le poivre, comme disaient les Inconnus. Ce ne sont pas les pataugeoires pour gosses qui peuvent faire illusion. Ni le canal de Willebroek, le long duquel on dispose le sable (tout comme Paris-Plage est installé sur les quais de Seine), dont les pouvoirs publics tentent de nettoyer la réputation, faute de pouvoir toujours garantir la qualité des eaux. Au départ d’un simple tournoi de beach-volley, les « Beach Days » d’Esneux, qui se tiennent depuis vingt ans fin juin, début juillet, est un des plus gros événement de la région liégeoise. Créé en 1995 dans le sillage de Antwerpen ’93, capitale culturelle de l’Europe, le festival « Zomer van Antwerpen » (L’été d’Anvers, http://www.zva.be/) propose chaque année une installation, « le plus beau spectacle du monde » : admirer le « zonsondergang » (coucher de soleil) dans un transat sur un bord ensablé de l’Escaut. Le cinéma en plein air, mais à l’abri d’un hangar industriel, on ne sait jamais ce que nous réserve la nature, se déguste lui aussi les pieds dans le sable.

Avant que notre admirable réseau d’autoroutes ne mette Ostende à un peu plus d’une heure de Bruxelles (quand il n’y a pas d’embouteillages), les Bruxellois les moins fortunés ont recherché des plages « alternatives » à portée de tram vicinal. C’est ainsi qu’un habitant de Wauthier-Braine nous apprend que le paisible étang de pêche situé presque sous le fameux viaduc autoroutier – où malfrats et policiers se sont illustrés en avril 2010 dans un rodéo digne de Clint Eastwood – était avant-guerre une plage envahie le dimanche par les gens de Bruxelles, déversés en masse par le vicinal de la ligne 115. Le site de la ferme de Rossomme, à Waterloo, immortalisé par Victor Hugo dans les Misérables, avait, dans les années septante, son « solarium » (piscine en plein air). Un des étangs de la belle vallée de l’Yssche (ou Isque) était un « zwemvijver » connu sous le nom de « Plage d’Overijse ». Plus central encore, jusque dans les années septante, le « solarium de la rue de Genève », à Evère, a accueilli plus d’un gosse. Cette piscine en plein air a été démolie pour laisser la place à un lotissement.

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Mais la « plage de Bruxelles » la plus connue, parce que toujours en activité, celle qui reste gravée dans la mémoire de plusieurs générations de Bruxellois, c’est celle d’Hofstade. Le domaine provincial, aujourd’hui géré par le Bloso, fait malheureusement régulièrement parler de lui pour les bagarres qui s’y déroulent. [voir article dans le dossier] Les autres parcs récréatifs, provinciaux ou autres, ont aussi leur plage. Autour de Bruxelles, c’est le cas des domaines provinciaux brabançons d’Huizingen, le plus proche, de celui
de Kessel-Lo, du Bois des Rêves (Ottignies) ou encore d’Hélécine. Tout proche de la limite du Brabant, le petit domaine De Gavers (Grammont) offre une plage. A Willebroek, le « Hazewinkel » (Bloso-domein également) est dédié aux sports nautiques. La qualité des eaux est variable. Le domaine de Vijvers dans la très belle région de l’abbaye d’Averbode a vu ses eaux interdites de baignade en 2008, par arrêté du bourgmestre de Montaigu-Sichem.

Que ce soit à la côte belge ou sur les plans d’eau wallons, la qualité des eaux de baignade, satisfaisant à des normes européennes, est médiocre. Selon que l’on se réfère à des critères plus ou moins stricts, le plongeon de la qualité est d’autant plus spectaculaire. Nos forêts ardennaises recèlent quelques beaux plans : lac de Virelles, de l’Eau d’Heure, barrages de la Gileppe ou de Nisramont, cascades de Coo, etc., mais leurs eaux sont parfois peu ragoûtantes. En Brabant wallon, la plage de Renipont à Lasne fait partie des 36 zones de baignade autorisées en Wallonie, la seule de la « jeune province ». C’est un des bons élèves de la liste des contrôles. Renipont-Plage, c’est un étang artificiel créé en 1935, complètement réaménagé pour accueillir les familles. Mais pas les chiens, qui sont interdits, tout comme les pique-niques. Et l’entrée est payante. Et que ceux qui croient pouvoir piquer un petit plongeon dans la Mer de sables de Stambruges, près de Beloeil, réfrènent leurs ardeurs nautiques : cette réserve naturelle domaniale, patrimoine majeur de Wallonie, est formée de landes sèches à callune, de landes tourbeuses à bruyère quaternée, de fosses à sphaignes colonisées par les rossolis, forêt jeune de bouleaux têtards – mais pas d’eau.

Plages sauvages

Du coup, face à ce plagisme très encadré, certains préfèreront l’aventure. Anciennes carrières et sites naturels offrent des plages, certes interdites, mais tellement attirantes. Les vieilles sandalettes de plage en plastique, ou désormais en chanvre (sous label déposé, allure décontractée et responsable garantie pour 25 €), sont à ressortir, car on passe des plages de sables (plus ou moins) fins à celles de galets, voire de rochers. A Scoufflény (Ecaussinnes), les jeunes du coin, jusqu’à une centaine malgré les descentes de la police locale, n’hésitent pas à plonger avec leur « Nike » aux pieds. On y déplorerait déjà une dizaine de morts depuis la fermeture du site, à mettre sur le compte du club de plongée qui s’y était établit, et qui s’est vu retirer son autorisation suite aux accidents. Des carrières désaffectées, le sud de la Belgique n’en manque pas. Celles d’Opprebais (Incourt), de Grand-Leez (Gembloux), de Soignies, de Gourdinne (Walcourt), de Mont-sur-Marchienne, de Dour, de Lixhe (Visé) – la liste n’est en rien exhaustive – sont régulièrement envahies par les nageurs pirates, surtout pendant les canicules. Que ne ferait-on pas pour se rafraîchir un peu ? On a même vu l’été passé des baigneurs dans le canal de Charleroi où, d’habitude, seuls nos compagnons à poils longs se risquent à affronter les streptocoques fécaux.

Les interdictions d’accès, via petits panneaux et maigres barbelés, ne servent pas à grand-chose. Mieux vaudrait aménager certains sites pour offrir des espaces gratuits en plein air et sécurisés. L’ancienne carrière de l’Orient, à Tournai, est désormais exploitée comme centre récréatif sous le nom d’Aqua Tournai, les baignades y sont interdites, mais pas le canotage ni le pédalo. Reste le squat de la piscine du voisin, parti en trekking avec ses mioches en Andalousie, pendant que sa nouvelle compagne tresse des paniers en osier, assise en tailleur sur un duvet de plumes de tinamous étalé devant son authentique tipi à 300 € les deux nuits. Du moins, pour ceux qui ont la chance d’habiter dans un quartier de villas. Sinon, il faudra abandonner les rêves de sea, sex and sun et se rabattre sur les piscines publiques. Bruxelles compte quelques perles aquatiques, les nageurs esthètes privilégieront la piscine Victoire Boin à Saint-Gilles, de style art deco. Vu le sous-financement, le manque
chronique de moyens des communes pour supporter leur coût, elles deviendront de toutes façons vite des musées.

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